La continuité vs. la rupture: les principales différences entre les gouvernements flamand et francophones (analyse)
Le nouveau gouvernement flamand est installé, deux mois après les deux exécutifs francophones. Quelles différences entre les équipes du sud et celle du nord du pays?
Les Flamands y ont mis le temps, long, qu’il fallait, mais la «raketcoalitie» dirigée par le N-VA Matthias Diependaele est enfin installée. Le «regeerakkoord», intitulé «Travailler ensemble pour une Flandre chaleureuse et prospère» a été validé ce week-end par les congrès des trois partis associés (N-VA, Vooruit et CD&V) dans la nouvelle majorité flamande. Lundi 30 septembre, le ministre-président a présenté sa Déclaration de politique régionale aux parlementaires flamands réunis pour l’occasion. Les francophones s’y sont pris beaucoup plus vite. Le jour de la fête de la Communauté flamande, le 11 juillet, les deux présidents Georges-Louis Bouchez (MR) et Maxime Prévot (Les Engagés) présentaient à la presse les Déclarations de politique régionale (DPR) et communautaire (DPC), «Oser le changement pour que l’avenir s’éclaire» pour la Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles, avant que les ministres-présidents et leurs équipes soient connus. Cette célérité dans la rédaction, et cette présidentialité –ne dites surtout pas particratie, c’est démodé désormais– dans la présentation des accords francophones est une différence importante. Il y en a d’autres, qui distinguent la Flandre, dominée depuis toujours par la droite, dirigée depuis quinze ans par la N-VA, et son accord d’une droite de continuité, de cette rupture avec le PS incarnée par les nouveaux gouvernements francophones, dans un espace politique depuis longtemps régi par la gauche.
Ce que les Flamands ont fait grâce aux francophones
La saine émulation dans laquelle se sont confrontées les deux Régions pour réduire le niveau des impôts sur le patrimoine est une conséquence directe de la vitesse francophone. Le 11 juillet en effet, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez étaient très fiers d’annoncer une forte réduction des droits d’enregistrement pour l’achat d’une première maison, de 12,5% à 3%, et la division par deux des droits de succession à tous les degrés. La Flandre, où les droits d’enregistrement avaient déjà été réduits à 3% il y a plusieurs années, et où les droits de succession (notamment) en ligne directe n’étaient déjà que de 3%, 15% et 27% –contre des taux allant de 3% à 30% en Wallonie avant la future réforme–, ne pouvait pas sortir perdante de son été à négocier. C’est pourquoi les négociateurs, Matthias Diependaele en tête, avaient décidé, dès ce jour de la Communauté flamande, de refaire mieux que les Wallons. Les droits d’enregistrement pour le premier bien seront abaissés à 2%, et le regeerakkoord promet que les droits de succession seront encore «réformés et abaissés». «Nous serons particulièrement attentifs aux petites et aux moyennes successions», précise-t-il. Sans toutefois avancer de chiffres. Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez avaient été, sur ce sujet, beaucoup plus précis (en ligne directe, ce sera un taux unique de 5%) que les formateurs flamands.
Ce que les Flamands ont fait malgré les francophones
C’est là une des seules propositions mieux chiffrées par les francophones que les néerlandophones. Car, alors que les Flamands se sont d’abord accordés sur des chiffres avant de poser des lettres dans leur «akkoord», le MR et Les Engagés se sont, on le sait, arrangés pour ne pas livrer au public, donc à l’opposition, leurs tableaux budgétaires avant les élections communales du 13 octobre. N-VA, Vooruit et CD&V, engagés à revenir à l’équilibre budgétaire en 2027 (contre 2029 pour la Région wallonne et la Fédération Wallonie-Bruxelles), se caractérisent là par une précision plus nordique. Ils n’ont donc pas été tenus par l’habile précédent créé par leur homologue.
La nécessité de brandir à l’électorat francophone des symboles d’une rupture de droite a poussé à de plus fortes annonces.
Mais cette rigueur supérieure est surtout permise par la meilleure santé financière des entités fédérées (en Flandre, la Région a fusionné dès sa création, en 1980, avec la Communauté) du nord du pays que celles du sud. Ce meilleur état budgétaire autorise, avec le retour des socialistes flamands aux affaires après dix ans de tripartites N-VA-CD&V-Open VLD, à une forme de douceur générale, celle d’une droite en tranquille continuité, alors que la nécessité de brandir à l’électorat francophone des symboles d’une rupture de droite a poussé Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez à de plus fortes annonces. Le nouveau gouvernement flamand n’y a pas été obligé, comme il l’avait été en 2019 après les négociations Vlaams Belang-N-VA. Certaines mesures d’investissement et de refinancement (dans l’enseignement, les soins et la culture) sont aujourd’hui impensables au sud du pays. En Flandre, les profs continueront d’être nommés (ils le sont après 290 jours de travail depuis 2021). Et la VRT, après des années de «reprise en main» financière et éditoriale, soufflera un peu ces cinq prochaines années alors que, de l’autre côté du couloir de séparation de l’audiovisuel public, boulevard Reyers, la RTBF, elle, entame une législature difficile. La tripartite de Matthias Diependaele, et en particulier son parti, ne s’est pas sentie là contrainte de suivre l’exemple wallo-bruxellois.
Ce que les Flamands ont fait comme les francophones
On l’avait déjà noté pour les exécutifs wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le constat est duplicable à l’accord de gouvernement flamand: les questions identitaires ont été un ressort de campagne, elles ne sont pas un moteur de politiques publiques. Bart De Wever a fait des conférences et publié un livre sur le wokisme, Conner Rousseau (Vooruit) a dit et répété qu’il ne se sentait pas chez lui à Molenbeek, et Sammy Mahdi (CD&V) a construit sa popularité sur la question migratoire, mais le regeerakkoord est aussi discret que les DPR et DPC sur les «guerres culturelles» que les présidents de parti en campagne appelaient à mener partout.
Les questions identitaires ont été un ressort de campagne, elles ne sont pas un moteur de politiques publiques.
Le MR et Les Engagés n’ont interdit le voile ni dans la fonction publique ni dans l’enseignement, et les partis de Bart De Wever, de Conner Rousseau et de Sammy Mahdi ne l’ont pas fait non plus, par exemple. La Flandre, il est vrai, sort d’une législature très active sur ces thématiques, aiguillonnée par la longue et vaine négociation de Bart De Wever avec Tom Van Grieken (Vlaams Belang) à l’été 2019, et sans doute s’est-elle, encore ici, permis de ne pas devoir insister tant que ça. Le canon flamand, outil censé vivifier la conscience nationale, avait été l’illustration de cette volonté de reconquête culturelle. Il n’est plus mentionné que dans un paragraphe, important toutefois, du chapitre sur l’intégration et la radicalisation, important lui aussi, comme toujours: tout à leur continuité droitière, les Flamands ne pouvaient pas faire sans, tout comme les francophones, bien dans leur droite de rupture, devaient faire avec. C’est ainsi qu’en Wallonie, les conditions du parcours d’intégration sont durcies à la flamande. Il se conclura désormais par un test de français standardisé, alors que l’examen de néerlandais fait, depuis longtemps, partie de l’«inburgering» de nos voisins. Un autre mouvement parallèle se manifeste des deux côtés de la frontière linguistique, quand bien même les marchés de l’emploi seraient notoirement différents: aussi bien le Forem que le VDAB, considérés comme insuffisamment efficaces, seront réformés en profondeur.
Ce que les Flamands ont fait contre les francophones
Les trois partis de la raketcoalitie sont les trois partis flamands de la future coalition Arizona au fédéral et les deux partis de la coalition MR-Les Engagés sont les deux partis francophones de la future coalition Arizona au fédéral, et c’est un point commun entre les trois nouveaux gouvernements fédérés. Mais les Flamands s’y étant pris plus tard, ils avaient une vision plus claire du contenu du prochain accord de gouvernement fédéral que leurs homologues francophones si notablement précoces. Ils ont pu intégrer des ambitions communautaires sans sembler trop l’être, comme la volonté de pouvoir mener des politiques de l’emploi plus asymétriques encore, qui pourraient embêter les Wallons et les Bruxellois. Et la vignette automobile flamande peut être considérée comme une réponse nordiste à l’initiative, réputée non concertée, des sudistes bleus et turquoise.
Mais une continuité particulière, dans le regeerakkoord, implique la possibilité de ruptures communautaires. La focalisation sur la langue est intrinsèque au mouvement flamand et à son expression fédéraliste, mais les conséquences de certaines nouvelles mesures de néerlandisation des publics toucheront incontestablement certains francophones, tout spécialement, bien sûr, à Bruxelles et un peu en dehors. Le fait que les parents d’écoliers bruxellois devront suivre des cours de néerlandais s’ils ne le parlent pas pour que leurs enfants puissent être inscrits dans les écoles flamandes de la capitale en est un exemple emblématique. Et le chapitre sur le Vlaamse Rand recèle les traditionnelles insistances sur l’emploi des langues, avec notamment la promesse que les réglementations contestées (la circulaire Peeters, entre autres) dans les communes à facilités resteront d’application. Parce que, dit l’accord de gouvernement flamand à la page 189, la raketcoalitie, «passe à la vitesse supérieure quant à sa volonté de chérir, renforcer et protéger le caractère flamand et vert du Rand». Cette continuité flamande-là ne pouvait définitivement pas souffrir de rupture.
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