Justice, Défense, Energie, etc.: comment Bart De Wever (N-VA) essaie de faire du communautaire en cachette
La N-VA promet des progrès sur le communautaire à ses militants flamingants. Mais sans réforme de l’Etat, Bart De Wever doit y travailler en cachette…
Bart De Wever, devant 5.000 de ses militants, l’a juré. Si le prochain gouvernement Arizona ne programmait pas de «progrès communautaires concrets», il ne faudrait pas compter sur lui et sur son parti.
On peut déjà faire confiance au maïeur anversois pour expliquer que sa simple présence au sein d’un exécutif fédéral et a fortiori l’accession d’un indépendantiste flamand au 16 rue de la Loi sont par essence des progrès communautaires concrets. Et tous les commentateurs ont fait remarquer qu’il y avait dans cette déclaration une large part d’esbroufe de l’an neuf, et que si Bart De Wever n’avait pas dit ça là, il ne l’aurait plus jamais dit de sa vie, et que s’il ne le disait plus jamais, Bart De Wever ne serait plus Bart De Wever, et la N-VA ne serait plus la N-VA.
Sur le fond, les présidents francophones, qui négocient péniblement cette coalition attendue depuis le soir du 9 juin et toujours pas advenue, ont sèchement répondu au président nationaliste. Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont répété ce qu’ils disent depuis des mois, et que l’arithmétique, implacablement, confirme: il n’y a pas de majorité des deux tiers pour s’engager dans une réforme de l’Etat. Et les priorités sont socioéconomiques, même si le MR comme Les Engagés se montrent ouverts à «réfléchir à comment rendre l’Etat plus efficace». Bref, Bart De Wever n’a pas intérêt à faire du communautaire une question vitale pour l’Arizona.
Car les Flamands sont moins demandeurs qu’avant de «progrès communautaires concrets», et jamais les aspirations à refédéraliser des compétences n’ont été, en Flandre, aussi hautes dans les enquêtes d’opinion. Mais il doit trouver à concrétiser, dans ce domaine, des acquis pratiques qui satisfassent autant sa base partisane que sa conscience personnelle. C’est pourquoi, en l’absence d’une impossible réforme de l’Etat, la présence est probable, dans son équipe, d’un ministère ou d’un secrétariat d’Etat en-charge-de-réfléchir-à l’éventualité-d’une-future-réforme-de-l’Etat-qui-réfléchisse-à-comment-rendre-l’Etat-plus-efficace. C’est un peu déjà ce à quoi le fidèle Sander Loones s’échine vainement depuis plusieurs mois dans le groupe thématique sur l’institutionnel, qui promet déjà d’aboutir sur très peu de «progrès communautaires concrets».
La technique utilise les institutions existantes sans les transformer pour favoriser une communauté ou défavoriser une Région plutôt que d’autres.
La vieille méthode CVP
Mais cela ne suffira évidemment ni à la base ni à la conscience de Bart De Wever. C’est pourquoi, plutôt que de planter sa bannière confédéraliste, la N-VA, en fait, travaille à faire du communautaire sans drapeau. Comme l’a toujours fait le mouvement flamand hors des moments de réforme de l’Etat. Un peu la vieille méthode CVP, quoi. Cette technique, communautaire mais pas institutionnelle, consiste à utiliser les institutions belges existantes, sans les transformer, pour favoriser une communauté plutôt qu’une autre ou défavoriser une Région plutôt que d’autres. Parce que les territoires sont différents, parce que sur certains aspects les sociétés elles-mêmes diffèrent, une même loi peut s’appliquer très différemment d’une communauté à l’autre, ou exercer un empire très variable de Région à Région. C’est pourquoi en Belgique il n’y a jamais rien qui ne contienne une dimension communautaire. Et c’est pourquoi, de l’aveu des négociateurs de tous les partis, presque chaque ligne de chaque texte à casser proposé par la N-VA pendant ces mois de négociations recelait de cette connotation communautaire sans drapeau. Si bien que Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont réclamé du formateur un rendez-vous formel, durant l’été, pour s’en plaindre solennellement, et lui faire promettre de ne plus y aller aussi fort à l’avenir.
Mais si pratiquer le communautaire sans drapeau est possible en Belgique, suivant certains exemples historiques, c’est même souhaitable selon certains négociateurs francophones, qui poussent eux-mêmes à une plus forte responsabilisation des Régions, et en fait de la leur, sur certaines matières. La limitation à deux ans des allocations de chômage dans le temps aura, on le sait, des effets différents en Flandre, où l’on tutoie le plein emploi et où les offres sont très majoritairement des CDI, et à Bruxelles ou en Wallonie, où les offres sont plus rares et où les CDD plus fréquents. Vouloir introduire des pénalités financières pour les Régions qui ne parviendraient pas assez à remettre à l’emploi, ou des récompenses à celle(s) qui le ferai(en)t mieux, est une manière de modifier le cours interrégional de l’argent fédéral encore consacré à ces questions.
Parfois, le drapeau communautaire est baissé par les uns sans même que les autres aient tenté de cacher le leur.
Une puissante centrifugeuse
D’autres domaines sont éligibles à la martingale du communautaire sans drapeau, et pas des moindres.
En santé, où plusieurs niveaux de pouvoir exercent diverses compétences, les Régions en ont reçu un gros paquet de la sixième réforme de l’Etat. Par exemple, les infrastructures hospitalières. Mais des mesures menées ensuite par Maggie De Block et Frank Vandenbroucke, ministres fédéraux de la Santé, ont accentué la puissance de la centrifugeuse. La première a imposé des fusions d’hôpitaux qui sont beaucoup plus avancées en Wallonie, où le nouveau paysage est presque complètement installé, qu’à Bruxelles et, surtout, qu’en Flandre, où on en est à peu près nulle part. Demander des fusions ou des rapprochements maintenant, comme cela figurait dans les premières versions des notes thématiques de Bart De Wever, c’était faire comme si les trois Régions avaient déjà parcouru le même chemin, et donc demander de premiers efforts aux hôpitaux flamands, et des efforts supplémentaires à ceux des deux autres Régions, et spécialement de la Wallonie. En outre, le plan interfédéral «soins intégrés» que Frank Vandenbroucke a fait approuver en conférence interministérielle santé le 8 novembre, parce qu’il permet des politiques beaucoup plus décentralisées, admet la possibilité d’accords asymétriques entre le fédéral et les Régions. Plusieurs acteurs du secteur l’ont accusé d’organiser par là une septième réforme de l’Etat qui ne dirait pas son nom. Soit d’encore faire du communautaire sans drapeau.
En sécurité, ces mêmes velléités ont employé les mêmes mécanismes. Puisqu’il n’est pas question de voter une régionalisation, les négociateurs nationalistes ont souhaité décentraliser un niveau plus bas. Ils ont notamment proposé de davantage doter le cadre et les moyens des zones de police locale. Mais sans renforcer la police fédérale; affaiblissant de facto son autorité. Les francophones ont paraît-il bloqué ce qui aurait pu tourner à la «nouvelle guerre des polices» selon les mots de Denis Ducarme, négociateur réformateur, dans une interview à Sudinfo le 29 décembre dernier.
Une proche manière de faire consiste à simplement réduire, ou à limiter, les moyens consacrés à une compétence fédérale, pour laisser la place, sur le terrain, à des instances régionales que pourraient mieux financer certaines entités fédérées, principalement la mieux dotée (devinez laquelle). C’est ainsi qu’un ministère flamand de la Justice fut installé en 2019, ou qu’existe désormais un Centre flamand pour l’égalité des chances. Et c’est également ainsi qu’une première note de l’Arizona proposait de supprimer Belspo, la politique scientifique fédérale, au profit d’organismes régionaux ou communautaires. MR et Les Engagés s’y étaient, bien entendu, opposés.
La défense est un autre domaine régalien où traditionnellement se confrontent les intérêts communautaires, avec les défenseurs de la composante marine au nord, ceux des chasseurs ardennais au sud, et c’est à peine une blague. La Vivaldi, avec ses deux casernes du futur soigneusement disséminées des deux côtés de la frontière linguistique –une près de chez Paul Magnette, l’autre près de chez Alexander De Croo–, avait voulu sur ce point atteindre un très traditionnel compromis. L’attention particulière aux nouvelles technologies de la Défense –les drones notablement, avec les investissements qu’y promet l’Arizona, intéresse directement les très avancées entreprises belges de ce domaine, qui sont toutes flamandes. Il faudra que s’y retrouve aussi une industrie wallonne de l’armement qui, elle, fabrique des produits un peu plus classiques, mais certainement pas moins pourvoyeurs d’emploi… La diplomatie de la Belgique, qui peut encourager à la signature de certains contrats, ou au contraire les décourager, pourra à cet égard être envisagée avec des lunettes à régionalisation variable.
En énergie, compétence elle aussi largement régionalisée, les besoins diffèrent et certaines aspirations aussi. C’est ainsi que la norme énergétique réclamée par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) et portée par David Clarinval, vice-Premier ministre de la Vivaldi et principal négociateur réformateur de l’Arizona, a été refusée sous la Vivaldi, et qu’il espère la faire passer sous l’Arizona. Elle vise à plafonner les prix de l’énergie pour les entreprises les plus énergivores, dont les tarifs énergétiques seraient ramenés à ceux des pays voisins, sur le modèle de la norme salariale. Selon certains calculs, elle coûterait quelques centaines de millions à la Belgique, mais ne profiterait à 95% qu’à des entreprises flamandes, spécialement la sidérurgie maritime d’ArcelorMittal. Les négociateurs flamands de l’Arizona, de manière compréhensible, ont accueilli la revendication plus favorablement que les partis francophones de la Vivaldi.
C’est ainsi que, parfois, le drapeau communautaire est baissé par les uns sans même que les autres aient tenté de cacher le leur.
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