Job de base ou allocations: « Il y a presque un sous-entendu dans la proposition de Conner Rousseau »
A quelques jours du 1er mai, le président de Vooruit Conner Rousseau lance une série de propositions qui doivent inciter davantage de personnes à travailler. Discours démagogique ou stratégie efficace pour relever le taux d’emploi ? Décryptage.
Conner Rousseau, le président des socialistes flamands, propose de guider les demandeurs d’emploi de manière beaucoup plus active vers un emploi. Concrètement, les demandeurs d’emploi devraient bénéficier d’une formation linguistique ou numérique dès le premier jour – si nécessaire – et recevoir de l’aide pour préparer un CV anonyme en ligne dans un délai de deux semaines. Ils doivent également recevoir une offre d’emploi par mois de la part du VDAB, l’Office flamand de l’emploi, et postuler deux fois d’initiative.
C’est quoi, un emploi de base?
Une évaluation suit tous les quatre mois, à l’issue de laquelle le VDAB, peut imposer une formation. Ceux qui refusent risquent une sanction, comme la perte de l’allocation de chômage pendant plusieurs semaines. Au bout de huit mois, une formation à un métier en pénurie peut être imposée. Si tout cela ne débouche toujours pas sur un emploi au bout de deux ans, le VDAB propose un « emploi de base » que le demandeur d’emploi est tenu d’accepter. S’il ne le fait pas, l’allocation de chômage prend fin.
Conner Rousseau pense à toutes sortes d’emplois au sein, entre autres, du service des espaces verts de la commune, des clubs sportifs, des clubs de loisirs, dans l’enseignement ou les soins. Le président de Vooruit les considère comme « une étape pour être actif sur le marché du travail et contribuer à l’État-providence, avec une protection sociale complète ». Les demandeurs d’emploi y débuteraient avec un salaire minimum (relevé à 14 euros de l’heure selon la proposition de Vooruit), mais une formation en cours d’emploi leur serait également proposée.
Un effet d’annonce
Pour Thierry Dock, économiste et enseignant à l’UCLouvain et à la Haute École Louvain en Hainaut, les propos de Conner Rousseau relèvent d’un effet d’annonce « qui s’inscrit dans un contexte politique particulier, de volonté de tracer des liens avec les partis de droite en Flandre qui auraient été susceptibles de défendre le même type de proposition » .
Côté francophone, le président du MR Georges-Louis Bouchez ne cache d’ailleurs pas son enthousiasme. « Je me réjouis que Conner Rousseau soutienne nos propositions sur le travail et l’activation, car le travail est la meilleure politique sociale ! Le PS est-il d’accord ? Ou les socialistes francophones resteront-ils le parti de la sieste ? », tweete-t-il en néerlandais.
« A entendre Conner Rousseau, il n’y a pas de sanctions aujourd’hui en Belgique, alors qu’il existe déjà en Belgique un dispositif qui pénalise les personnes qui refuseraient un emploi convenable. L’allocation de chômage est un droit, mais implique certaines obligations dont rechercher un emploi, et si le service public de l’emploi propose un emploi convenable à la personne chômeuse et qu’elle refuse, elle est aussi susceptible d’être sanctionnée », déclare Thierry Dock.
Sans surprise, les propositions de Vooruit se heurtent à l’indignation du PS, qui qualifie les idées de son parti frère de « politique de droite ». « Se prétendre de gauche et proposer une politique de droite ? La politique de l’emploi, ce n’est pas la promotion du travail obligatoire. Ajoutez à ça le mépris que porte l’expression ’emploi de base’. Papa était mineur. Emploi de base ou emploi de fond », a lancé le chef de groupe PS à la Chambre, Ahmed Laaouej, fils de mineur. « Il n’y a rien qui soit plus à gauche ou social que de protéger les gens contre le chômage », a répondu le président de Vooruit, Conner Rousseau. « Le terme est peut-être forcé, mais le travail obligatoire est interdit par la législation internationale », souligne Thierry Dock.
Une approche « culpabilisante »
La FGTB a également fustigé les propositions de Vooruit. La fédération syndicale dénonce une approche « culpabilisante ». « Les personnes qui restent sans emploi sont souvent dépeintes comme des gens qui n’en font pas assez pour trouver du travail. Ce doigt pointé, on le remarque dans la communication que fait Vooruit sur ses propositions d’activation. L’accent est mis sur le renforcement des obligations des demandeurs d’emploi et du contrôle », regrette la secrétaire générale de la FGTB, Miranda Ullens.
C’est également ce que perçoit Thierry Dock. « Il y a presque un sous-entendu dans la proposition de Conner Rousseau, qui serait que les chômeurs sont des fainéants qui refuseraient de travailler. Et c’est questionnant, car il existe déjà en Belgique un dispositif qui sanctionne les personnes qui refuseraient un emploi convenable. L’allocation de chômage est un droit, mais implique certaines obligations dont rechercher un emploi, et si le service public de l’emploi propose un emploi convenable à la personne chômeuse et qu’elle refuse, elle est aussi susceptible d’être sanctionnée », explique-t-il.
« Le ministre wallon de l’Emploi Pierre-Yves Jeholet (MR) voulait obliger les chômeurs à se former et accepter des emplois dans les métiers en pénurie. Et ce sont les employeurs wallons qui ont dit au ministre Jeholet qu’ils ne souhaitaient pas embaucher des personnes non motivées par le secteur et l’emploi qui leur était proposé. C’est une mesure qui ne fonctionne pas sur le terrain. Forcer quelqu’un à accepter un emploi qui ne l’intéresse pas, c’est contre-productif », poursuit l’économiste spécialisé en politiques sociales.
Comment augmenter le taux d’emploi ?
Si les propositions de Conner Rousseau sont contre-productives, comment augmenter le taux d’emploi en Belgique ? Selon les derniers chiffres de Statbel, le taux de chômage s’élève à 5,6% en Belgique, mais diffère très fort d’une région à l’autre: il est de 3,2% en Flandre, de 8,4% en Wallonie et de 11,5% à Bruxelles.
Pour Thierry Dock, les politiques doivent être différentes d’une région à l’autre. En Wallonie, par exemple, il prône notamment la promotion de démarches d’intermédiation entre les candidats employeurs et les candidats travailleurs ». Selon lui, il existe en effet des difficultés de rencontre entre ces derniers. « C’est une mesure qui permet à l’employeur d’engager des profils de personnes qu’il n’aurait pas pensé spontanément à engager. Pour lui, le risque ressenti aurait été trop important, parce qu’il s’agit par exemple d’une personne restée longtemps sans emploi, porteuse d’un handicap ou qui revient de maladie. Bien entendu, y a aussi les dispositifs classiques tels que la formation, l’encouragement à la mobilité pour que les gens acceptent un poste en Flandre, par exemple ». (Avec Belga)
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