Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane voulaient faire d’Ecolo un parti «central»: pourquoi l’idée a été mise de côté
Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane termineront à l’automne leur premier mandat à la coprésidence d’Ecolo. Ils devraient être reconduits. Sans hostilité, mais sans grand enthousiasme non plus…
Paul Magnette (PS) a été réélu début mars, Georges-Louis Bouchez (MR) est en passe d’avoir réussi à convaincre ses camarades de reporter l’élection présidentielle programmée cette année à 2024, après les scrutins législatif de mai, voire communal d’octobre. Les coprésidents d’Ecolo Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, eux, remettront leur mandat en jeu à l’automne prochain, pour une durée statutaire de quatre ans.
Le Carolorégien et la Bruxelloise avaient été élus à 92% des voix par leur assemblée générale à la fin de l’été 2019 et, en l’état moral actuel des troupes vertes, ils devraient sans problème être reconduits. Aucune contre-équipe ne se constitue, et les deux coprésidents laissent planer peu de doute sur leur volonté de prolonger. Les sondages, pourtant, ne sont pas vraiment bons. Ecolo pointait, en décembre 2019, à 17,2% d’intentions de vote en Wallonie et 19,7% à Bruxelles selon le baromètre trimestriel du Soir, contre respectivement 12,8% et 15,7% dans la livraison de mars 2023. Le nombre de membres, qu’ils s’étaient promis de faire augmenter, est resté assez stable. Et tous les cadres écologistes n’entrent pas en transe à l’évocation de leur binôme coprésidentiel.
Ce contexte est défavorable à Ecolo. Ces vents contraires souffleront fortement dans les prochains mois.
Mais, un peu comme dans les autres partis francophones du gouvernement, les patronnés ne sont pas assez satisfaits de leurs patrons pour oser les adorer, mais pas assez insatisfaits d’eux pour oser les détester. Il n’y a chez Ecolo que peu de colère envers Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, et c’est déjà une victoire pour eux, dont la formation est toujours sortie traumatisée des expériences gouvernementales induites par les succès électoraux décennaux, après 1999 et les arcs-en-ciel brisés sur Francorchamps, et après 2009 et les oliviers fendus sur les panneaux photovoltaïques.
2024, se dit-on, ne sera pas heureuse comme espéré, et annoncé, notamment dans le programme de leurs coprésidents. Mais elle ne devrait pas être aussi tragique que 2003-2004 et 2014, où les verts avaient à chaque fois perdu plus de la moitié de leurs électeurs.
Lire aussi | La certaine idée: Ecolo et la sobriété heureuse
Méfiance molle et «stratégie moyenne»
Est-ce l’espoir d’une défaite moins cuisante que les précédentes? Loin des tensions antérieures et des vindictes postérieures à ces déculottées décennales, le parti est, aujourd’hui, plutôt pacifiquement engagé dans une séquence qu’il sait difficile: il règne chez Ecolo une discipline rarement connue dans son histoire. Néanmoins, certains signaux témoignent d’une méfiance molle envers les niveaux les plus élevés de l’appareil. La direction du conseil de fédération, le parlement interne d’Ecolo, a été récemment renouvelée. L’équipe que menait l’ancienne députée Muriel Gerkens avait les faveurs de la coprésidence, mais c’est celle de Sophie Wustefeld, jusqu’alors conseillère à la prospective chez Etopia, la «boîte à idées» du parti, qui a été désignée. Ce poste de coordinatrice du bureau du conseil de fédération oblige à peu de subversion organisationnelle, mais sa nouvelle occupante, bruxelloise et docteure en philosophie politique, porte un message moins orthodoxe que sa concurrente défaite, liégeoise, administratrice de Nethys et experte au cabinet de Georges Gilkinet.
Cette désignation d’une jeune intellectuelle, engagée dans des luttes féministes avant de plonger dans des combats environnementalistes, ne cadre pas tout à fait avec la note stratégique présentée par Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane à leur conseil de fédération, en novembre 2019.
Lire aussi | Comment Ecolo veut se rendre « central »
La ligne conductrice de leur mandat visait en effet à «faire d’écolo le parti central», en usant d’une «stratégie moyenne», portée plus collectivement et donc plus efficace «qu’une succession de stratégies géniales portées par quelques un.e.s pendant un temps limité».
Et la conquête de cette centralité, à laquelle se promettaient les deux jeunes coprésidents, devait passer par la mise en œuvre, à tous les niveaux de pouvoir, de «réformes basculantes», principalement sur les questions liées à l’environnement.
Celles-ci, censées engager les territoires dans la transition écologique, allaient, pensaient-ils, affermir l’ancrage, surtout environnemental et climatique, du parti qui la porte. «De manière générale, au vu du développement de la prise de conscience climatique et environnementale dans l’opinion, de la mobilisation croissante des mouvements associatifs environnementalistes, il est plus fondamental que jamais pour Ecolo d’être identifié comme le parti de la nature, du climat et de l’environnement», disait la note.
Il règne chez Ecolo une discipline rarement connue dans son histoire.
Les «waouh!»
Quatre ans plus tard, les adversaires des verts ne leur ont que peu laissé cette occasion, et eux-mêmes sont en fait assez peu parvenus à faire aboutir des «waouh!», ces «mesures qui ont une forte puissance évocatrice pour le grand public («ça, c’est les Verts!»)», comme l’écrivaient, en octobre 2022, Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet, dans l’actualisation de leur note stratégique – en langage Ecolo, on dit «Note stratégique 4.0» –, présentée devant leur conseil de fédération.
Ce manque relatif de «waouh» peut expliquer en partie leur nervosité, à Bruxelles, sur les projets de construction de logements sur la friche Josaphat, à Schaerbeek, ou au Chant des Cailles, à Watermael-Boitsfort. Le PS a embrassé toujours plus bruyamment une doctrine écosocialiste, se présentant en concurrent à cette centralité.
Lire aussi | L’écosocialisme du PS: cadeau ou piège pour Ecolo?
Et le MR a ridiculisé, et continuera à le faire, l’anti-nucléarisme des verts au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et pour la réduction d’émissions de gaz à effet de serre, tentant là d’éloigner les écologistes vers le coin de l’échiquier politique.
Dans les majorités régionales, les blocages ont été pratiquement permanents sur les questions de mobilité, en particulier lorsqu’il s’agissait de diminuer le trafic automobile. Lorsque des avancées ont été enregistrées, c’est que les partenaires- adversaires y trouvaient un intérêt aux dépens d’Ecolo. Ainsi, la quasi gratuité des transports en commun pour certaines catégories de la population, à Bruxelles et en Wallonie, passe pour une revendication socialiste. Et les investissements à la Stib en faveur des cyclistes sont à créditer à Bruxelles à une ministre Groen, Elke Van den Brandt. Celle-ci, avec son parti, sera à Bruxelles une concurrente très paradoxale d’Ecolo. Elle pourrait les priver des voix d’électeurs francophones qui trouveront que, dans la région de Bruxelles-Capitale, «le parti de la nature, du climat et de l’environnement», c’est plutôt Groen.
En outre, notaient les coprésidents en octobre dernier, lorsqu’ils ont présenté au conseil de fédération l’actualisation de leur note stratégique, «la préoccupation du climat et de l’environnement est reléguée en seconde place par celle du “pouvoir de vivre/pouvoir d’achat”», et ce contexte est moins intrinsèquement pourvoyeur de sympathies écologistes. «Marqué de court-termisme, ce contexte est défavorable à Ecolo. Ces vents contraires souffleront fortement dans les prochains mois», ajoutaient encore Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane.
La «personnalité rédhibitoire de GLB»
Sur des matières moins intrinsèquement vertes et sur lesquelles les écologistes exercent une compétence ministérielle (la culture à la Fédération Wallonie-Bruxelles, la santé et l’économie à Bruxelles), le basculement est encore plus difficile à éprouver. Mais sur les questions de discriminations, pour lesquelles la secrétaire d’Etat fédérale à l’Egalité, Sarah Schlitz, est à l’offensive, le parti a probablement gagné des positions dans un électorat jeune, urbain et universitaire qui lui était déjà tendanciellement favorable. Mais il en a perdu ailleurs, au fil des polémiques, parfois contrôlées, souvent subies, qui ont agité le débat public ces dernières années.
La note stratégique coprésidentielle de 2019, encore traumatisée par l’affaire du tract de la section de Saint-Josse, était d’une prudence remarquable à cet égard. «Les thématiques interculturelles ne sont pas les seules à susciter de la tension dans la société et des débats au sein d’Ecolo. Nous ne mettrons pas ces sujets sous le tapis, nous les aborderons, le plus en amont possible, dans une logique de délibération ouverte», disait-elle. Les verts s’engageaient alors également, sur ces sujets mais pas seulement, à ne pas céder «à la tentation de polarisation et d’outrance qui consiste à chercher à dominer la conversation publique avec des sorties négatives, offensives, offensantes».
Aux avancées enregistrées, les partenaires-adversaires y trouvaient un intérêt aux dépens d’Ecolo.
Trois années plus tard, la coprésidence écologiste est soumise, depuis sa base, à des pressions contradictoires, entre ceux qui trouvent que trop peu de coups ont été donnés – et rendus – et ceux qui estiment que la centralité est incompatible avec toute forme d’agressivité. Elle a aussi dû composer avec un adversaire, Georges-Louis Bouchez, leur «adversaire politique le plus direct», qui «détériore les règles du jeu politique», selon la note de l’automne 2022. La «mise en exergue de la personnalité rédhibitoire de GLB», observaient alors Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, pourrait leur permettre de toucher un public, sensible aux libertés individuelles, qui balance entre MR et Ecolo. Ce doit être ça, la centralité 4.0.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici