«Je te jure que Julie Taton ne sera pas candidate»: l’art du mensonge selon Georges-Louis Bouchez (coulisses)
Entre coups de bluff, menaces du moment et promesses à plus tard, le président réformateur a pris des risques au moment des choix stratégiques pour les places sur les listes.
Avec ses dix jours de paroles données, reprises, rendues, de promesses à tenir, de négociations discrètes et d’annonces pétaradantes, la nouvelle année du Mouvement réformateur a été, pour un président friand de mercatos, intense.
Elle a aussi offert à ses camarades une nouvelle exposition de la nature profonde de Georges-Louis Bouchez, qui a recruté en promettant, a éconduit en promettant et a beaucoup promis pour convaincre, mais a-t-il convaincu en promettant?
Pas vraiment, mais ce n’est pas encore son problème.
Des espérances ont dû, surtout dans le Hainaut, être contenues. Pour y aboutir, Georges-Louis Bouchez a alterné les registres qui ont construit ses succès militants et ses tourments politiques, faits de menaces dures et de promesses douces, de mensonges grossiers et de suppliques sincères.
En face, on y croit ou on n’y croit pas, de moins en moins ou de plus en plus, mais on fait avec. Et on finit par se plier à la volonté présidentielle, parce que c’est ça ou rien, et que l’instinct de survie l’impose.
Certains, en politique, ont érigé le bluff en art, d’autres en ont fait une maladie. Chez Georges-Louis Bouchez, c’est un réflexe.
Les coulisses du mensonge de Georges-Louis Bouchez
Il est comme ça avec tout le monde. Même un journaliste qui ne l’a pas déjà vécu dix fois n’a pas réussi sa vie.
D’ailleurs, encore le jeudi 11 janvier 2024, à 9 h 44, on l’appelle pour un truc, il ne décroche pas, mais il rappelle dans les quinze secondes. Le truc, c’est l’arrivée de Julie Taton sur la liste fédérale du MR dans le Hainaut, la liste de Georges-Louis Bouchez, à la deuxième place, et l’envoi conséquent des candidates qui la lorgnaient – Marie-Christine Marghem, Caroline Taquin et Rachel Sobry – sur les listes régionales. L’article est déjà prêt parce qu’on est sûr de nos sources, on est au Vif, quand même. On l’appelle juste pour avoir un commentaire. Alors on décroche quand il rappelle, on craint son réflexe de bluffeur inconséquent.
«Alors, c’est Julie Taton qui sera deuxième dans le Hainaut…», fait-on.
«Ah?», il dit, après quelques inhabituelles secondes de silence.
«Tu veux faire comment? Tu veux publier une réaction dans l’article, ou pas?», explique-t-on. On le tutoie, oui.
«Ah mais non, non. Non», commence-t-il.
«Mais quoi non?», l’arrête-t-on.
«Ça ne sera pas Julie Taton. Julie Taton ne sera pas sur la liste hainuyère», assure-t-il.
«Il y aura une personnalité médiatique extérieure au parti à la deuxième place dans le Hainaut…», lui rétorque-t-on.
«Oui, mais ça ne sera pas Julie Taton. Je le jure. Il y aura une personnalité médiatique extérieure au parti à la deuxième place dans le Hainaut, mais je te jure que ça ne sera pas Julie Taton. Je te le jure. Je-te-le-jure», jure-t-il.
«Qui ça sera, alors? Une personnalité médiatique extérieure au parti mais qui n’est pas Julie Taton, et qui ne vient pas du Brabant wallon», lui demande-t-on, puisqu’il a juré, et que, comme il a juré et qu’il est le président de son parti, Le Vif ne publiera pas l’article.
«Oui, voilà, quelqu’un qui habite dans le Hainaut», essaie-t-il. Et il réussit puisqu’on ne publiera pas l’article.
«Bon, tu veux pas me dire qui c’est? Je jure que je ne le dirai à personne. Je le jure. Je-te-le-jure.» (là, on l’imite).
«Ah non, ça je peux pas te dire, hein», fait-il. Il est soulagé, il rigole, on raccroche.
Il a juré que Julie Taton ne sera pas deuxième sur la liste législative dans la circonscription du Hainaut, et, bon, Julie Taton sera deuxième sur la liste législative dans la circonscription du Hainaut. C’est le média le plus lu dans le Hainaut, Sudinfo, qui publie l’info, une quinzaine d’heures après que le président du MR eut juré qu’elle était fausse afin d’empêcher Le Vif d’en faire cinq lignes. Sudinfo fera cinq pages sur Julie Taton le samedi, et il y a peu d’infos en Belgique et dans le monde qui s’étalent sur cinq pages dans Sudinfo, surtout le samedi, donc Georges-Louis Bouchez a bien fait.
Dans la gamme infinie du mensonge, son réflexe l’a porté vers le mensonge le plus grossier ou le plus périssable, donc le moins efficace
Mais il n’a pas seulement bluffé, là, Georges-Louis Bouchez, il a fait comme il fait souvent : dans la gamme infinie du mensonge, son réflexe l’a porté vers le mensonge le plus grossier ou le plus périssable, donc le moins efficace. Un autre président aurait dit qu’il ne fera pas de commentaires, qu’il ne peut rien dire, qu’il ne confirme ni n’infirme, qu’il est beaucoup trop tôt pour en parler.
Lui, il jure qu’il ne fait pas ce qu’il sait qu’il est en train de faire. Il montre que sa parole n’en est pas une. Ces dernières années, dans son parti, c’est ce qui a énervé beaucoup de ses camarades et déçu pas mal d’anciens soutiens. Heureusement pour lui, il n’a plus vraiment besoin d’eux.
Et c’est ce qui décevra peut-être ceux à qui il a beaucoup promis pour convaincre, ces dix derniers jours, tandis que Georges-Louis Bouchez espère qu’il n’aura plus besoin d’eux plus tard. Car toutes les places éligibles ne sont pas encore attribuées. Surtout à Bruxelles et dans le Brabant wallon. Il reste des coins de bagarre et des gens dont il a encore besoin. Y compris dans le Hainaut.
Quand Charles Michel appelle Florence Reuter…
Dans le Brabant wallon d’où il a extrait Julie Taton, il a promis des choses à Marc Ysaye, qu’il a recruté au moment où Les Engagés engageaient le recteur de l’UCL, Vincent Blondel, et qu’il en avait besoin. Mais le batteur de Machiavel ne sera pas député régional ou fédéral de la circonscription du Brabant wallon. Là-bas, il y a assez de monde pour remplir deux listes. Il y a assez de Michel, peut-être trop même, pour que Georges-Louis Bouchez puisse y décider de grand-chose, c’est d’ailleurs Charles Michel, pas Georges-Louis Bouchez, qui a appelé Florence Reuter pour lui apprendre qu’elle mènerait la liste fédérale devant Mathieu Michel. Il y a assez de mayeurs populaires dans la province pour gagner toutes les élections du monde jusqu’à la fin des temps. Et il y a trop de députés sortants dans la circonscription, largement assez de Jean-Paul Wahl, d’Olivier Maroy et de Nicolas Janssen, pour offrir un siège de parlementaire à un monsieur de 70 ans qui passait par là. Heureusement pour lui, Georges-Louis Bouchez n’a plus vraiment besoin de ce monsieur de 70 ans.
Certains, en politique, ont érigé le bluff en art, d’autres en ont fait une maladie. Chez Georges-Louis Bouchez, c’est un réflexe.
A Bruxelles, où il avait promis la tête de liste régionale à Alexia Bertrand avant de la promettre à son meilleur ami David Leisterh, il a failli devoir promettre la tête de liste régionale à Hadja Lahbib, à qui il avait promis la troisième place sur la liste fédérale à Bruxelles au moment de la recruter, mais à qui il a promis qu’elle serait prioritaire au moment des castings ministériels pour la convaincre de se présenter sur la liste régionale. Il promet de mettre, à la place anciennement promise à Hadja Lahbib, un candidat qui ne mangera pas tout le «pot», donc quelqu’un de populaire, afin que l’Open VLD, que représente désormais Alexia Bertrand, et à qui il a promis la quatrième place, participe à une liste libérale commune. Georges-Louis Bouchez doit s’entendre pour ça avec son homologue de l’Open VLD, Tom Ongena, et avec Alexander De Croo, à qui il avait promis de discuter ensemble de toutes les questions fédérales, ainsi qu’avec Sophie Wilmès, à qui il avait promis, en septembre 2020, qu’elle serait Première ministre de la Vivaldi. Malheureusement pour lui, Georges-Louis Bouchez a encore besoin d’eux et de ces quelques milliers d’électeurs de l’Open VLD et d’Alexia Bertrand, au moins jusqu’au 9 juin.
Dans le Hainaut, Georges-Louis Bouchez avait promis la tête de liste régionale dans l’arrondissement de Charleroi à Denis Ducarme, jusqu’au jour où il fit d’Adrien Dolimont un ministre wallon de premier ordre. Et il avait promis la deuxième place sur la liste fédérale à Marie-Christine Marghem, jusqu’au jour, le 11 janvier, où il fit de Julie Taton une Hainuyère de premier rang. Afin de se donner de l’espace sur la liste plutôt faible qu’avec Julie Taton il mènera, s’assurant, ainsi, de la plus vaste récolte de voix de préférence possible, il devait également exporter Caroline Taquin. C’était aussi une demande de Willy Borsus, parce que plus les listes régionales hainuyères sont fortes, plus le MR a des chances de gagner des sièges, et moins il souffre de risques de se faire jeter des majorités régionales. Aux Carolos, Caroline Taquin et Nicolas Tzanetatos, à qui il envisagea d’abord de refiler la première suppléance fédérale, Georges-Louis Bouchez fit même mine de promettre qu’il pourrait ne pas cumuler sa présidence avec un siège de député fédéral, donnant ainsi un sens à sa suppléance. Les deux ont remarqué qu’en 2019, il avait promis à plusieurs personnes qu’il ne cumulerait pas sa présidence avec son siège de sénateur coopté, et qu’en 2024 il cumulait toujours sa présidence et son siège de sénateur coopté. Ils ont refusé, et Caroline Taquin n’a accepté, le samedi 13 très tard, la deuxième place régionale, qu’à condition qu’on lui promette un mandat de secours si d’aventure elle ne parvenait pas à cumuler son siège wallon et son mayorat de Courcelles, et que Nicolas Tzanetatos soit premier suppléant. Rachel Sobry, alors, se retrouvait deuxième suppléante de cette liste régionale très forte. On lui a promis qu’elle siégerait parce qu’il est possible qu’Adrien Dolimont, à la fois ministrable et mayorable, et Caroline Taquin, mayorable, ne siègent pas.
Il a juré que Julie Taton ne sera pas deuxième sur la liste législative du Hainaut. Et Julie Taton sera deuxième sur la liste législative du Hainaut.
Et si le MR n’en fait pas une députée wallonne, le parti lui a promis de ne pas la laisser tomber. Jusqu’à faire d’elle une députée provinciale en décembre prochain.
Parce que Georges-Louis Bouchez a l’air d’en avoir encore besoin. Heureusement pour elle.
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