« Je ne me sens pas chez moi à Molenbeek »: derrière ces déclarations, le parti socialiste flamand prépare-t-il un accord secret ?
Après une visite à Molenbeek, le président de Vooruit, Conner Rousseau, est encore plus convaincu que la commune bruxelloise est confrontée à divers problèmes. Il confirme sa déclaration controversée selon laquelle il « ne se sent pas chez lui à Molenbeek ». Et, à nouveau, les réactions ont fusé de toutes parts. Certains remettent en cause les valeurs socialistes du parti flamand. Mais ces propos cachent peut-être des intérêts stratégiques en vue des élections de 2024.
Cela reste ma meilleure interview de tous les temps. J’ai exprimé un sentiment que beaucoup de Flamands partagent et j’ai proposé une solution : faire en sorte que tout le monde parle notre langue et qu’il y ait plus d’opportunités dans l’éducation ». C’est ainsi que Conner Rousseau, le président du parti socialiste flamand (Vooruit) est revenu sur son interview controversée d’avril dernier, dans laquelle il disait « ne pas se sentir en Belgique » lorsqu’il passe par Molenbeek. « A Bruxelles, en raison de la pénurie d’enseignants, il y a des gens qui enseignent en arabe parce qu’ils ne parlent pas français. Inacceptable », avait-il ajouté.
Des déclarations qui avaient suscité des critiques de tous bords politiques. Le ministre flamand de la Jeunesse Benjamin Dalle (CD&V) avait qualifié les propos de « non seulement en dessous de la moyenne, mais aussi complètement incorrects ». Même au sein de Vooruit, certains n’avaient pas hésité à désapprouver leur président. Comme Jef Van Damme, échevin Vooruit à Molenbeek, qui estimait le commentaire comme très déplacé. « Il pourra sortir la prochaine fois qu’il passera par ici. Je serai heureux de lui faire visiter », avait-il déclaré.
« Brebis galeuses » et interprètes dans les écoles de Molenbeek
Dans une nouvelle interview accordée à Humo cette semaine, Rousseau dit avoir accepté la petite visite guidée de son collègue. Elle n’a fait que confirmer son propos. « Je ne me sens pas chez moi à Molenbeek, mais ce n’était pas une attaque personnelle contre ces gens. Mon message est que nous devons améliorer les conditions dans ces quartiers en investissant dans la langue, les garderies et l’éducation. J’ai visité une école néerlandophone où un enseignant m’a dit qu’ils devraient trouver des volontaires pour jouer les interprètes lors de la réunion des parents. »
Conner Rousseau est également revenu sur ses déclarations plus récentes sur les émeutes après le match de Coupe du monde entre le Maroc et la Belgique. Il avait qualifié les émeutiers de « merde » et de « brebis galeuses des quartiers à problèmes qui devraient avoir plus d’opportunités et de perspectives ». La ministre flamande de la Justice Zuhal Demir (N-VA) a rétorqué. « Ces jeunes ont beaucoup d’opportunités. Le problème est que ces gars-là se sentent intouchables. Le pouvoir judiciaire doit agir contre cela », avait-elle fustigé.
Rousseau a répondu à cette critique dans Humo. « Zuhal Demir dit que tout le monde a des opportunités ici et devrait les saisir. Je l’invite à nouveau ici, car apparemment elle n’a pas compris. Même dans ce pays riche, le lieu de naissance fait toujours une grande différence. Si tu as des origines, que tu ne parles pas néerlandais à la maison et que tu ne peux jamais demander de l’aide à tes parents pour un devoir, tu as moins d’opportunités. »
Risque de fissure de la famille socialiste, le MR s’étonne
Toujours est-il que cette « confirmation » de Conner Rousseau a été perçue par beaucoup comme une volonté de remettre de l’huile sur le feu. Elle a ravivé les tensions au sein de la famille socialiste. « Même répétée, une connerie reste une connerie. Honte à toi, Conner Rousseau », a lancé Ahmed Laaouej, Chef de Groupe PS à la Chambre des Représentants.
« Mon cher Conner, c’est où et c’est quoi ‘chez toi’? Avec ce type de déclaration, la Flandre n’a plus besoin d’extrême droite », a ajouté le député bruxellois PS Ridouane Chahid.
La députée Françoise Schepmans (MR), ancienne bourgmestre de Molenbeek, n’est pas restée sans voix. « Comme je l’ai déjà exprimé : Conner Rousseau s’offre de la pub à bon compte en faisant du bashing sur Molenbeek. Aujourd’hui il persiste sans nuance dans ses propos. Certes il y a des problèmes bien réels à résoudre, mais Molenbeek a besoin de force et pas de bashing ! », a-t-elle dénoncé.
Le président du MR bruxellois, David Leisterh, ajoute : « Les défis sont nombreux à Molenbeek : emploi trop bas, insécurité trop élevée, vivre-ensemble parfois tendu. Mais c’est aussi la commune qui abrite entre autres Molengeek, CowBoy, BX1 et Françoise Schepmans. Pour ça, plus d’ambition svp. Pas plus de mépris. »
« Mais où est la police de la pensée de gauche? Je n’entends aucune remarque de celles et ceux qui me font la leçon chaque jour. Le débat politique belge dans toute sa splendeur: Quand on est de gauche, on peut tout se permettre. Imaginons une telle déclaration venant du MR », s’est étonné le président du MR Georges-Louis Bouchez. Il est paraphrasé par la députée fédérale MR Marie-Christine Marghem. « Que n’aurait-on entendu si quelqu’un du MR avait proféré et surtout réitéré de telles déclarations ?! L’absence de réaction est-elle liée à l’esprit de Noël ou plus prosaïquement à l’éloignement vacancier ? », a-t-elle tweeté.
Rapprochement nationaliste?
Dans cette même interview, Conner Rousseau évoque également le financement de Bruxelles d’une façon très communautarisée. « Si les francophones refusent les réformes majeures, nous n’accepterons pas qu’un seul euro supplémentaire aille à Bruxelles et à la Wallonie en 2024.«
« Décidément de plus en plus charmants, ces socialistes flamands… », a réagi le président de DéFi, François De Smet.
Ces déclarations « droitisées » de Rousseau rejoignent en certains points celles des nationalistes flamands de la N-VA. Faut-il y voir un rapprochement stratégique en vue des élections de 2024 ? Pour certains, il n’est en tout cas pas impossible qu’un accord soit trouvé entre ces deux partis. Des discussions « secrètes » auraient déjà eu lieu à maintes reprises. Mais d’autres évoquent aussi la volonté cachée de récupérer des voix du Vlaams Belang. Quoi qu’il en soit, la formation d’un gouvernement d’ici un an et demi s’annonce ardue. Avec une famille socialiste définitivement déchirée ?
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