Au sein de son parti comme pour la formation d’un gouvernement bruxellois, Christophe De Beukelaer a souvent la lourde tâche de faire se parler des personnalités aux intérêts divergents. © BELGA

«Je m’interroge si je serai encore en phase avec Les Engagés»: les bourgmestres bruxellois surveillent Christophe De Beukelaer

Sylvain Anciaux

A Bruxelles, le rayonnement de Maxime Prévot a bien profité au mouvement, mais l’Arizona fait de l’ombre à l’avenir.

A Bruxelles, le résultat des Engagés, au soir du 9 juin dernier, était à l’image du caractère de Christophe De Beukelaer: mesuré. Ni victoire triomphale ni chute vertigineuse, au terme d’une campagne où le mouvement aura moins usé d’invectives que certains autres. Et cette mesure est aujourd’hui récompensée, puisque le leader du quatrième plus gros parti bruxellois, et dixième en score personnel, hérite désormais du statut d’informateur dans la crise politique qui touche la Région depuis huit mois.

Le créneau du centre s’est aussi un peu ouvert de lui-même. Le MR s’est tourné vers la droite, DéFI n’a pas réussi à imprimer le thème de la laïcité dans la campagne régionale, Ecolo a (classiquement) fait les frais de sa participation gouvernementale, et le PS, redoutant la montée du PTB, s’est préoccupé de ne pas perdre des plumes à gauche. Les Engagés ont pu tranquillement récupérer une partie de leurs électorats lors du scrutin de juin. Aux élections communales, quatre mois plus tard, les centristes bruxellois ont confirmé leurs quatre majorités et leurs quatre bourgmestres.

Un moteur qui tourne mais qui ne ronfle pas

Dans le sud du pays, pour emporter la mise, Maxime Prévot a tablé sur un mercato offensif, avec des noms prestigieux que tout le gotha politique wallon se serait arraché, Jean-Luc Crucke, Vincent Blondel, Yves Coppieters… Bien sûr, Elisabeth Degryse, Yvan Verougstraete et Alain Deneef affichent aussi un solide CV dans leurs domaines respectifs, mais les noms étaient moins ronflants à l’oreille du grand public il y a un an encore. «Les Engagés bruxellois ont probablement profité de la visibilité de Maxime Prévot qui s’est tenu à gauche de Georges-Louis Bouchez dans sa communication», analyse Romain Biesemans, politologue au Cevipol, le centre d’étude de la vie politique de l’ULB. Celui-ci souligne également la discrétion des leaders bruxellois des Engagés en comparaison avec l’omniprésence des libéraux ou des socialistes.

«Les Engagés bruxellois ont probablement profité de la visibilité de Maxime Prévot qui s’est tenu à gauche de Georges-Louis Bouchez dans sa communication.»

Romain Biesemans,

politologue au Cevipol, le centre d’étude de la vie politique de l’ULB.

Dans les rangs du mouvement, on vante notamment l’aura de Maxime Prévot qui a rayonné jusqu’à Bruxelles. Le Namurois a porté la refondation d’un CDH qui s’était empoussiéré et qui, au sein de la Région bruxelloise, s’était encombré de conflits (communautaires) internes. Alors, un soir de janvier 2023, Maxime Prévot a utilisé une méthode assez classique en management, ou en parentalité, et a choisi de responsabiliser directement quelques fortes têtes. Christophe De Beukelaer, Gladys Kazadi, Yvan Verougstraete, Sofia Bennani et André du Bus se sont vu confier la gestion de la stratégie de campagne bruxelloise de A à Z –bien que quelques renforts s’y soient greffés par la suite. Les tensions internes se sont tues, et Les Engagés se sont mis à tirer dans la même direction, avec le résultat que l’on connaît.

Assumer son leadership ou mourir

D’autres cadors bruxellois des Engagés, mais peut-être plus étiquetés CDH, restent moins visibles. On parle ici des bourgmestres bruxellois, au nombre de quatre mais dont trois ont remplacé un ténor du parti en cours de législature (Christian Lamouline pour Joël Riguelle à Berchem-Sainte-Agathe, Claire Vandevivere pour Hervé Doyen à Jette, Jean-Paul Van Laethem pour Pierre Kompany à Ganshoren). Ceux-là, décumul oblige, ont été renvoyés défendre leur bastion loin de la Région et, surtout, loin du fédéral et de la fusion des zones de police prévue par l’Arizona et cosignée par Maxime Prévot. On se souvient d’ailleurs du boycott des quatre bourgmestres à l’occasion du congrès de parti qui a validé le projet global de l’Arizona.

Le numéro d’équilibriste commence donc pour le chef de fil bruxellois des Engagés. «Je vais m’assurer que Bruxelles ne se fasse pas avoir, c’est un point (NDLR: la fusion des zones de police) qu’on a essayé de contourner de plein de manières», assure Christophe De Beukelaer. Il jouira pour ça probablement d’un siège au gouvernement bruxellois et d’une équipe relativement jeune et inexpérimentée sur les bancs du parlement régional. «Aujourd’hui, on a besoin de personnalités qui prennent la place sur l’échiquier politique, qui imposent Bruxelles au fédéral, et qui sont prêtes à aller au front, prévient Benoît Cerexhe, bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre. Christophe a énormément de potentiel, ce sera à lui d’assumer ce leadership.»

«Je m’interroge si je serai encore en phase avec Les Engagés. Si les bourgmestres ne peuvent pas être entendus, ça me pose question.»

Christian Lamouline

Bourgmestre (Les Engagés) de Berchem-Sainte-Agathe

Christian Lamouline reste d’ailleurs contrarié par le fait que «le poids des quatre bourgmestres» n’a pas été entendu par la hiérarchie. Pareil pour Benoît Cerexhe, d’ailleurs. «Serai-je encore en phase avec Les Engagés? Je m’interroge. Si les bourgmestres ne peuvent pas être entendus, ça me pose question, confie même Christian Lamouline. Mais je me sens plus écouté par Christophe De Beukelaer que par ceux qui ont négocié l’Arizona.»

C’est là tout le fardeau de Christophe De Beukelaer: recréer du lien entre ceux qui ne se parlent plus et faire en sorte qu’ils travaillent ensemble. Il a d’ailleurs commencé, ce vendredi, quand David Leisterh a voulu passer la main de sa mission de formateur à Ahmed Laaouej. Le président régional des Engagés a alors pris le lead avant que les libéraux et socialistes ne retournent dans une énième guerre d’ego. Pour sortir de ce statut dangereux de parti-pivot (DéFI en sait quelque chose), Les Engagés devront soulever des trophées en Région bruxelloise, «donner une consistance à une structure qui semble surtout programmatique pour le moment, mettre en avant des visages, et ne pas laisser tomber Bruxelles». Ça tombe bien, le seul candidat à la succession de Maxime Prévot à la tête du parti se nomme Yvan Verougstraete. Il est né à Ixelles.

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