Ils ont la majorité absolue mais décident de partager le pouvoir: 5 raisons qui expliquent ce choix
La majorité absolue pour un parti, telle est la réalité dans la majorité des communes wallonnes et dans six communes bruxelloises. Une poignée de partis décident de l’ouvrir à un partenaire. Voici ce qui les motive.
Plus de deux semaines après les élections communales du 13 octobre, quelques villes et communes ne connaissent pas encore la composition de la coalition qui les dirigera durant les six prochaines années. Mais dans la plupart des cas, l’affaire était pliée dès le soir du scrutin, simplement parce qu’un parti dispose d’une majorité absolue. C’est naturellement les cas lorsqu’une ou deux listes se sont présentées, voire une seule. Dans plusieurs autres communes, c’est un choix différent qui est posé: le parti en majorité absolue se choisit un partenaire. Il «ouvre» sa majorité.
En Région bruxelloise, six communes se trouvent dans une situation de majorité absolue. Evere et Woluwe-Saint-Lambert ont déjà annoncé leur coalition. Pour les quatre autres – Woluwe-Saint-Pierre, Auderghem, Saint-Josse et Koekelberg – les choses sont toujours en cours.
En Région wallonne, la situation de majorité absolue est de mise dans 187 communes, soit 72% d’entre elles. Il s’agit bien de majorités absolues en termes de sièges au conseil communal, ce qui n’empêche pas que certaines des listes concernées ont obtenu un peu moins de 50% lors des élections communales. Cela s’explique par le fonctionnement de la clé de répartition Imperiali, de mise pour les élections communales, qui a tendance à «grossir» la représentation des plus gros partis, quitte à les doter de plus de 50% des sièges, même s’ils ne disposent pas de la moitié des suffrages.
Dans une dizaine de villes et communes, l’ouverture de la majorité à un partenaire a déjà été officialisée: Durbuy, Ham-sur-Heure-Nalinnes, Silly, Courcelles, Seneffe, Braine-le-Comte, Beloeil, Beyne-Heusay, Philippeville et Charleroi. Dans une dizaine d’autres, le scénario est sur la table, sans qu’un accord ait été trouvé dans la quinzaine qui a suivi le scrutin. Il s’agit notamment de Seraing, Dinant, Enghien ou encore Ciney.
Qu’elles soient politiques, stratégiques ou interpersonnelles, plusieurs raisons expliquent le choix de l’ouverture. En voici quelques-unes, qui ne s’excluent certainement pas entre elles, souvent avancées par les bourgmestres eux-mêmes.
Une majorité plus confortable
Il suffit souvent de constater la répartition des sièges pour deviner la raison de l’ouverture. Il y a majorité absolue, certes, mais avec une avance d’un siège. On se choisit alors un partenaire pour vivre une mandature plus confortable, éviter que la moindre défection ne représente une difficulté.
«Durant les six dernières années, nous avons dirigé la commune seuls, en se serrant les coudes, mais ce n’était pas très confortable. Personne ne peut se permettre d’être absent pour maladie, mission, voyage ou que sais-je», résume Didier Henrottin (PS), bourgmestre de Beyne-Heusay, qui a noué une coalition avec Les Engagés-BHIC. «A deux ou trois reprises, les groupes d’opposition ont pairé pour faire passer un point. Ils ont joué le jeu.» En clair, cela signifie que l’un ou l’autre conseiller s’absente momentanément pour un besoin pressant, histoire que l’opposition ne pèse pas plus lourd que la majorité, le temps du vote.
«J’ai 46 ans, mais déjà 24 ans de conseil communal derrière moi», explique Bastien Marlot, futur bourgmestre de Beloeil, où sa liste, MR+ (12 sièges), s’est liée au PS (9 sièges) pour une majorité très confortable, dans un conseil communal qui compte 23 strapontins. «Des mandatures à douze contre onze, j’en ai déjà vécues. J’ai connu tellement de conseils houleux, de situation de bloc contre bloc… Et puis personne ne peut se permettre d’avoir une grippe ou d’être en vacances, parce que vous n’aurez pas le nombre. En ce qui nous concerne, le soir des élections, nous étions très heureux de notre victoire, mais avons immédiatement gardé les pieds sur terre en sachant que douze sièges sur 23, c’était trop juste.»
Une majorité plus démocratique
L’argument est souvent avancé par les groupes en majorité absolue, mais d’une courte tête: la légitimité du futur collège communal impose une assise électorale suffisamment large. Un parti qui occupe seul le pouvoir, avec moins de 50% des suffrages, cela impose parfois un exercice d’humilité.
«Nous étions à 49,5%, nous sommes descendus à 47,4%. Clairement, il faut aussi pouvoir entendre le signal», admet Didier Henrottin. Il y a six ans, explique le bourgmestre de Beyne-Heusay, le partenaire potentiel s’était montré «trop gourmand» en termes d’échevinats. Le futur partenaire s’est révélé plus mesuré, selon le socialiste. Résultat: un accord de majorité a pu être signé, rapidement.
Souvent, les partis se positionnent aussi en fonction des tendances. Un partenaire désavoué dans les urnes sera éconduit, tandis qu’un parti en forte progression sera invité à la table des négociations. C’est ainsi, par exemple, qu’Ecolo s’est vu renvoyé dans l’opposition dans une série d’entités, Charleroi par exemple, où PS et Engagés ont choisi de poursuivre ensemble, mais à deux.
Des affinités personnelles
«Les affinités interpersonnelles et les expériences passées avec le groupe politique minoritaire» comptent, lorsqu’on choisit de s’unir. C’est ces termes qu’employaient les politologues de l’ULiège Geoffrey Grandjean et Valentine Meens dans une étude réalisée dans la foulée des élections de 2018, qui se penchait précisément sur les ouvertures de majorité en Wallonie. A l’échelon communal, plus qu’ailleurs sans doute, la question des affinités entre les protagonistes est déterminante.
«Deux groupes se retrouvent dans l’opposition, avec seulement un seul siège chacun», explique Bastien Marlot, à Beloeil. Disproportionné? Le futur bourgmestre y voit surtout une dynamique de saine gestion et de débat constructif à venir. Surtout, il était impossible à son groupe de se lier à chacun des deux conseillers en question, pour des motifs que l’on peut qualifier de «relationnels», justement. «Franchement, s’allier au PS a été une évidence. Les deux autres options étaient inenvisageables.»
A Durbuy aussi, il faut connaitre l’historique politique local pour décoder l’union qui vient d’être officialisée entre la Liste du Bourgmestre et Durbuy 2024. «Je suis devenu bourgmestre en 2006 sous la bannière CDH, explique le maïeur, Philippe Bontemps (Les Engagés). En 2012, j’ai proposé que nous devenions une Liste du Bourgmestre, nous sommes passés de 10 à 14 sièges. Puis en s’ouvrant aux candidats libéraux en 2018, de 14 à 15 sièges.» Cette fois, plusieurs candidats libéraux avaient choisi de fonder leur propre liste, «avec l’ambition de ravir le maïorat de Durbuy, sachant ce que notre commune incarne en termes de renommée. S’emparer de Durbuy, ça compte. Par contre, ils ont joué, mais ils ont perdu», lâche Philippe Bontemps. Il était inconcevable de s’unir à cette dissidence, donc. L’accord a donc été conclu avec une liste d’ouverture à tendance socialiste, la seule qui avait ses chances.
Une majorité mieux relayée
Les bourgmestres ne s’en cachent pas, bien souvent: on choisit aussi de s’unir avec une formation parce qu’elle est au pouvoir, par ailleurs, à l’échelon communautaire, régional et/ou fédéral. Cette motivation conduit les élus locaux à considérer que certains dossiers – de subsides par exemple – leur seront plus facilement accordés. Du moins, qu’ils disposeront de relais plus directs auprès d’autres niveaux de pouvoir.
Dans un mouvement inverse, il n’est pas exceptionnel que les instances supérieures des partis interviennent elles-mêmes dans les coalitions locales, en raison d’intérêts politiques extérieurs aux enjeux communaux à proprement parler, ou d’équilibres plus globaux.
Une opposition moins remontée
Au moment de signer un accord de coalition, les affinités personnelles, les convergences politiques et l’équilibre trouvé dans les exigences scabinales des uns et des autres comptent. Une autre raison est parfois invoquée: l’idée qu’à deux, les idées seront plus nombreuses, mais aussi que l’opposition en sera un peu déforcée.
L’argument est stratégique, mais pas nécessairement machiavélique. «Je vais être sincère: s’unir aux Engagés permet de nourrir le débat, d’apporter des idées neuves, mais aussi d’éviter qu’ils nous attendent au tournant pendant toute la mandature», reconnaît Didier Henrottin. «Si je les éconduis cette fois, alors qu’il y a un terrain d’entente possible, ils risquent de ne pas me rater», sourit le bourgmestre de Beyne-Heusay.
«Si vous reléguez tous les autres dans l’opposition, y compris vos anciens partenaires, il peuvent éventuellement se coaliser, se liguer contre vous pour les prochaines élections. De ce point de vue aussi, il est plus intéressant de mettre en œuvre une majorité ensemble», ajoute encore le bourgmestre de Durbuy, Philippe Bontemps.
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