«Il y aura un moment d’embarras politique»: pourquoi la réforme de l’avortement risque d’être définitivement enterrée par l’Arizona
Mardi, les partenaires de l’Arizona ont recalé une proposition de loi réformant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si le MR assure que le dossier est simplement «mis entre parenthèses» le temps de la négociation gouvernementale, les chances sont maigres de le voir aboutir sous cette législature, tant le CD&V demeure inflexible sur la question.
Un bloc uni. Alors que la majorité Arizona n’a pas encore officiellement vu le jour, elle affiche déjà une solide cohésion sur le terrain. Mardi, en Commission de la Justice, les députés de la future coalition composée de la N-VA, du CD&V, de Vooruit, du MR et des Engagés ont ainsi rejeté une proposition de réforme de la loi IVG, visant notamment à fixer le délai légal pour avorter à 18 semaines de grossesse, contre 12 actuellement.
Ce vote à l’unisson, dicté par les cinq présidents de parti actuellement en négociations, est censé sauvegarder les chances d’aboutir à un accord gouvernemental dans les semaines à venir, d’après un communiqué diffusé lundi par le formateur Bart De Wever. En réalité, il vise surtout à ne pas froisser un CD&V toujours extrêmement frileux sur les questions liées aux droits reproductifs.
Ce rejet unanime a fait bondir la future opposition, qui voit en cette manoeuvre une «hypocrisie» et une «instrumentalisation politique» du droit des femmes. D’autant que la majorité numérique en faveur de la proposition existe depuis belle lurette au sein de l’hémicycle. «Cinq présidents de parti, cinq hommes ont donc décidé de nous envoyer, à nous parlementaires, un signal fort: l’Arizona rejettera toute avancée en matière de droit des femmes à disposer de leur corps», a notamment regretté la députée socialiste Caroline Désir.
Partie remise?
De son côté, le MR – globalement en faveur de la réforme – a tenté de rassurer: il ne s’agit point d’une «confiscation parlementaire» du texte, mais bien d’une «mise entre parenthèses» le temps de la négociation gouvernementale. En d’autres termes: la proposition verra bien le jour, mais le moment choisi n’est pas le bon.
Reste qu’à bord du futur exécutif, il faudra composer avec les réticences de chacun. Et avant tout du CD&V, opposé de longue date à une extension du délai légal pour avorter. «Sur cette question, le nouveau président Sammy Mahdi se montre encore plus inflexible que ses prédécesseurs, insiste Carl Devos, politologue à l’UGent. En Flandre, il est d’ailleurs souvent comparé à un « petit Georges-Louis Bouchez » qui n’accepte aucun compromis sur ses combats.» D’autant que la N-VA, bien qu’elle en fasse moins son cheval de bataille que les chrétiens-démocrates, est aussi globalement défavorable à cet allongement. «Je ne vois donc pas très bien dans quelle configuration les partis de l’Arizona pourraient obtenir un accord sur la question», note Caroline Sägesser, historienne et chercheuse au Crisp (Centre de recherche et d’Informations socio-politiques).
Un malaise à camoufler
Avec deux partis sur cinq hostiles à la réforme, le consensus semble encore plus inaccessible que lors de la formation de la Vivaldi, en 2020. A l’époque, alors qu’il faisait cavalier seul, le CD&V était tout de même parvenu à lier les mains de ses six partenaires en obtenant un droit de veto sur la question. Résultat: malgré la constitution d’un comité scientifique composé de 35 experts et d’un rapport unanime sur les bienfaits d’un allongement du délai à 18 semaines de grossesse, le texte n’avait jamais pu voir le jour.
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Le CD&V pourrait vouloir rejouer la même carte et conditionner son entrée dans le gouvernement à un abandon de la mesure, plongeant ses partenaires plus progressistes dans un profond malaise. «Il risque d’y avoir un moment d’embarras politique, car Vooruit et le MR ne pourront pas refaire le même coup qu’en 2020, prédit Caroline Sägesser. Ils ne pourront pas « encommissionner » le dossier et jouer la montre en commandant un nouveau rapport d’experts. Quel mécanisme vont-ils pouvoir utiliser pour ne pas avouer de but en blanc qu’ils laissent tomber le projet?», s’interroge l’historienne.
Une liberté de vote?
La situation risque d’être encore plus pénible pour les socialistes flamands, qui avaient misé une partie de leur campagne électorale sur la défense des droits des femmes, observe Dave Sinardet, politologue à la VUB. «La députée Freya Van den Bossche avait notamment lancé des visuels assez explicites contre le CD&V, l’accusant de régresser sur ces questions. Le retour de baton se fait déjà ressentir sur les réseaux sociaux.»
De Arizona partijen, inclusief @vooruit_nu stemden zonet tegen de wetsvoorstellen die vrouwen meer beslissingsrecht geven bij een ongewenste zwangerschap. De socialisten liepen voor verkiezingen met de fanfare voorop maar druipen nu in stilte af. Beschamend. pic.twitter.com/7XkJyxaDdu
— Katja Gabriëls (@katja_gabriels) September 24, 2024
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Quelle alternative à un blocage total? Pour Carl Devos, la seule solution réside dans l’octroi de la liberté de vote aux députés de la majorité sur les questions éthiques, comme cela a été le cas en 1990 lors de la dépénalisation de l’IVG. Une liberté qui serait un aveu d’échec pour le CD&V, qui semble plutôt enclin à tirer profit de sa présence incontournable dans la majorité pour négocier ses trophées politiques.
Une réforme revue à la baisse, qui verrait le délai allongé à 14 semaines contre les 18 préconisées par les scientifiques, pourrait également représenter un compromis, ajoute Dave Sinardet. Une concession qui risque en réalité de ne faire que des déçus.
Qu’importe l’issue des négociations, la séquence actuelle révèle au grand jour la faible marge de manoeuvre du Parlement. «Même en période d’affaires courantes, généralement propice à redonner du poids à cette institution, les députés sont corsetés par le gouvernement, regrette Caroline Sägesser. Leur liberté de vote est confisquée. C’est plutôt interpellant sur le plan démocratique.»
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