Dans Les «bleus» de la mémoire, Hervé Hasquin a adapté son vocabulaire à un public plus large. Il se félicite que Georges-Louis Bouchez ait adopté la même stratégie. © BELGA

Hervé Hasquin (MR) sur la méthode Bouchez: «Il faut se faire comprendre, sinon vous êtes un emmerdeur»

Sylvain Anciaux

L’ancien ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, apparenté à une ligne plus sociale du MR, entrevoit dans le style Bouchez un homme politique en lien avec son époque. Il avertit cependant, l’erreur n’est pas permise.

«La grande gueule», voilà comment certains l’appelaient quand il traînait encore dans les couloirs de la Toison d’Or, le siège du MR. A 82 ans, Hervé Hasquin n’a rien perdu de sa verve. Ex-jeune socialiste qui a viré libéral-social, recteur de l’ULB, ministre-président de la Communauté française (devenue aujourd’hui Fédération Wallonie-Bruxelles), vice-président du parti… Du haut de son expérience, le Hainuyer observe la trajectoire du MR avec confiance et pragmatisme. Contrairement à son époque, le libéralisme-social n’est plus à la mode, la nuance politique et la pensée complexe non plus. Ça tombe bien, celui qu’il «soutient à fond» l’a bien compris.

Pour l’Arizona comme à Bruxelles, les négociations sont à la peine. Le MR adopte-t-il un rôle de facilitateur dans ces discussions?

Parlons d’abord de Bruxelles, où j’ai participé aux négociations en 1995. Nous avions d’abord négocié entre francophones, nous étions arrivés à un accord, puis il avait fallu rencontrer les néerlandophones. A titre personnel, je favorisais l’Open-VLD où j’avais des amis, mais j’ai vite compris la règle. Les néerlandophones devaient créer leur majorité et les francophones n’avaient rien à dire. Les règles du jeu ont toujours été claires, nettes et précises. Aujourd’hui, on ne peut rien reprocher à David Leisterh, l’exclusive vient d’Ahmed Laaouej (PS). Si on lui proposait d’être ministre-président, il changerait peut-être d’avis. Pour l’Arizona, Georges-Louis Bouchez n’est pas le seul en cause. Si les cinq personnes à la table des négociations ne sont pas capables d’arriver à des compromis, ils le paieront cher, tous. Celui qui s’en sortira le mieux sera peut-être Bart De Wever. Je voudrais dire aux journalistes francophones que Bouchez est sans doute très dur en négociations, mais il est choisi comme cible.

En politique, on a besoin d’adversaires mais pas d’ennemis. Avec des ennemis, on ne sait pas faire de politique.

Hervé Hasquin.

Dans une interview de 2019, vous disiez que le libéralisme social ne devait pas être oublié par le MR. Pourrait-il être un outil d’apaisement dans les négociations?

Il m’est arrivé souvent, en tant que libéral, de prendre position contre un personnage sympathique, rigolo, mais dangereux: M. Nols, le bourgmestre de Schaerbeek. Il tenait des propos scandaleux, racistes, mais il avait des supporters. Il avait interdit l’enseignement de la religion musulmane dans les écoles publiques de sa commune. C’était du populisme au ras du sol, mais qui portait. Face à cela, il fallait convaincre et faire de la pédagogie, ce que j’ai toujours fait. On n’en est pas là, loin de là même, et je mets quiconque au défi de trouver des positions du MR qui vont dans le sens de Roger Nols. Mais que s’est-il passé ces dernières années? Georges-Louis Bouchez centralise les critiques parce qu’il a compris une chose: pour un homme politique, le silence tue. En bien ou en mal, il faut en parler. Il a parfaitement réussi, on parle de lui tous les jours, ce qui est rarissime. Je vous fais une confidence. Il y a cinq ans, lors des élections pour la présidence du MR, je soutenais déjà Bouchez. C’était le président nécessaire au MR, surtout qu’on venait d’avoir un pâle type qui s’appelait Chastel. Bouchez est intelligent, parle bien, comprend vite. Il a le sens de la provocation, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier qu’en politique, on a besoin d’adversaires mais pas d’ennemis. Avec des ennemis, on ne sait pas faire de politique. Il ne faut pas d’attaques ad hominem, il faut conserver la possibilité de discuter. Jusqu’à présent, Georges-Louis a parfois frôlé la ligne rouge. Il dit parfois des choses un peu rapides et choquantes, comme quand il dit vouloir supprimer le ministère de la Culture. Mais Magnette dit de temps en temps des conneries qu’on ne relève pas systématiquement, même si c’est un des hommes les plus intelligents du pays.

Peut-on encore faire de la politique autrement que par le bruit médiatique?

C’est un écrivain qui vous le dit, les gens lisent moins et sont davantage sur leur portable. J’ai changé radicalement mon style il y a six ou sept ans, quand j’ai publié Les «Bleus» de la mémoire. Proust, c’est beau, mais c’est terminé. A 17 ans, j’avais lu tout Molière, Corneille, Racine, presque tout Saint-Exupéry, Malraux… Ce sont mes maîtres à penser. Mais dans mon écriture nouvelle, je fais des phrases beaucoup plus courtes, je fais de la pédagogie. On peut me lire sur des sujets les plus sévères sans être accompagné d’un dictionnaire. C’est important de se mettre à la portée du lecteur, le volume de vocabulaire diminue.

Cette pensée n’est-elle pas réductrice pour les politiciens, auteurs, journalistes, professeurs? Ne devraient-ils pas continuer à cultiver la nuance et délaisser la polémique?

Oui, mais il faut d’abord se faire comprendre. Sans ça, vous êtes juste un chiant emmerdeur. Le discours doit se mettre au diapason de l’auditoire, c’est beaucoup plus percutant.

La semaine dernière, Georges-Louis Bouchez a reproché à Alain Gerlache que la ligne politique prônée par l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt (dont le journaliste fut le porte-parole), moins éloignée du libéralisme social, a tué l’Open VLD. Le libéralisme social fait-il mal à la droite?

Il parle d’une période qu’il n’a pas connue. Ce n’est pas le libéralisme social qui a tué le VLD, qui a dû faire face à une rude concurrence. Le MR est un parti qui se cantonne entre 17% et 21%, on est à 30% aujourd’hui (NDLR: c’était déjà le cas aux législatives de 2003 et 2007, où le résultat libéral était supérieur à celui de 2024). Actuellement, un parti du centre ne peut s’étendre qu’au centre droit. C’est ce que fait Bouchez, et il devient la première force politique. C’est du réalisme politique, tout en restant dans les clous. On lui a demandé d’être plus sévère avec les thèmes migratoires, avec les grèves… C’est dans l’optique libérale.

Mais l’écartement de la ligne sociale a notamment provoqué le départ d’un poids lourd du parti, Jean-Luc Crucke.

Jean-Luc était un grand supporter de Jean Gol, comme moi. Il a aussi été un allié de Reynders qui n’est pas spécialement un libéral social. Entre Crucke et Bouchez, même si je ne suis pas dans leurs secrets, il y a un problème d’ego. Quand Crucke était ministre, Bouchez a voulu lui imposer un certain nombre de choses, qu’il n’a sûrement pas acceptées. Je suis triste qu’il soit parti aux Engagés, qui est en train de devenir le garde-fou du MR. Si le parti va trop à droite ou qu’il y a trop de dérapages, un certain nombre de libéraux déçus voteront Engagés, donc la présidence du MR nécessite un grand sens de l’équilibre. Georges-Louis Bouchez est un acrobate. Pour le moment, il réussit, il remet de l’ordre. Et remettre de l’ordre n’est pas être de droite.

Quel est l’avenir pour le MR, alors? Les victoires électorales ne se gravent pas dans le marbre. Au début du XXIe siècle, le camp libéral, peut-être plus social, dominait également le paysage politique.

C’est pourquoi les négociations actuelles sont un test. Georges-Louis pourra dire ce qu’il veut, mais si elles échouent, il sera considéré comme un des responsables. Ces pantalonnades excèdent les gens. Comment défendre la démocratie, le pluralisme, la liberté et ne pas arriver à un compromis par excès d’intégrisme? Cela ne correspond pas au pluripartisme et à la démocratie libérale en Belgique.

Entretien: S.A.

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