Elections communales 2024: pourquoi les habitants de la commune la moins peuplée de Belgique n’iront pas voter
L’essentiel
• A Herstappe, les habitants n’iront pas voter lors des élections communales du 13 octobre car les postes ont déjà été négociés entre les candidats.
• Commune la moins peuplée de Belgique, on y dénombre 72 habitants, 30 maisons dont 7 fermes.
• Herstappe est une commune à facilités linguistiques, à deux pas de Tongres et de Crisnée.
• Il n’y a pas de personnel communal, la solidarité entre habitants prévaut.
• Le bourgmestre, Marlutje Jackers, rempilera pour six ans.
Les habitants de la commune la moins peuplée de Belgique n’iront pas voter lors des communales d’octobre. L’attribution des postes a déjà été négociée entre les rares candidats et tout le monde est content. Sauf gigantesque surprise de dernière minute, le suspense est nul…
Monsieur Bouflette ne risque pas de se réveiller: depuis 204 ans, il dort. A l’ombre de l’église Saint-Jean-Baptiste, une tombe, rangée parmi une quarantaine d’autres, rappelle son passage sur Terre. Avec une petite précision, gravée en lettres explicites dans la stèle qui lui tient lieu de compagne: l’homme endormi était propriétaire.
Vanité? Une évidence, plutôt, que l’on signale depuis l’au-delà comme une année de naissance. Car à Herstappe, lilliputienne commune fichée sur la frontière linguistique, à deux pas de Tongres et de Crisnée, tout le monde, à vrai dire, est propriétaire. Il n’y a là que 30 maisons, qui s’égrènent presque toutes le long de la rue du Village, laissant les cinq autres voiries flâner le long des champs. Des champs, pour le coup, il n’en manque pas. Sur le 1,3 km² de terres que recouvre ce village, 90% des surfaces ne sont pas bâties. Seuls y habitent des céréales, des pommes de terre, des plants de moutarde ou des vaches.
«Herstappe est een boerendorp (NDLR: un village de fermiers)», comme on dit ici, sourit Claudy, bien entendu agriculteur de son état et ancien bourgmestre de la localité. Sept fermes, de tailles variables, y sont toujours en activité. Sur une population totale de 72 personnes, c’est énorme.
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Babbelbank
De loin, le banc n’a rien d’original. Sauf qu’il signale aux distraits à quoi il pourrait servir: «Pour papoter», y est-il écrit. Et, en néerlandais: babbelbank. C’est l’une des autres particularités de Herstappe, commune à facilités linguistiques. Le territoire est implanté en région flamande mais onze des 72 habitants, officiellement inscrits comme francophones, y bénéficient des facilités administratives qui leur sont constitutionnellement accordées. Cette identité particulière rend Herstappe inapte à toute fusion de commune: la Constitution ne permet qu’à des communes de même régime linguistique de se rapprocher. Et quand bien même ce serait possible, personne, ici, ne le souhaite. «Etre si peu nombreux dans un village, en 2024, c’est formidable», s’enthousiasme Claudy.
Lorsqu’il gèle et qu’il faut épandre du sel, c’est Marlutje qui, tôt le matin au volant de son tracteur, assure le travail.
«Ici, tout le monde se parle, dans l’une ou l’autre langue, assure Nicolas, installé à Herstappe depuis trois mois. Au besoin, on recourt à une appli de traduction. Les Flamands d’ici sont très accueillants. Ils m’ontconvaincu de déconstruire les préjugés que j’en avais lorsque j’habitais en Wallonie, où on critique beaucoup les voisins du nord.» «Il n’y a pas de tensions entre les deux communautés», confirme en français, avec un accent mi-liégeois mi-limbourgeois, la bourgmestre Marlutje Jackers.
C’est que tout le monde se connaît. Forcément. Et que la petite taille du village rend la solidarité absolument nécessaire pour assurer sa bonne gestion. Car ici, pas de personnel communal. Outre la bourgmestre, qui est aussi agricultrice et éleveuse de chevaux, ses deux échevins, et un directeur général partagé avec la commune voisine de Heers pour quelques heures par semaine, il n’y a personne. Pas d’employés, pas d’ouvriers, pas de service technique. Alors lorsqu’il gèle et qu’il s’agit d’épandre du sel sur les six routes du village, tôt le matin, c’est Marlutje qui, au volant de son son tracteur, assure le travail. «Quand on doit tailler une haie communale, j’envoie un message sur le groupe WhatsApp des habitants et je demande qui peut venir donner un coup de main, illustre la bourgmestre. On s’y met à plusieurs et en une soirée, tout est fait.» Idem lors de journées de ramassage des déchets sur la voirie. Même s’il y en a fort peu: les villageois tiennent à ce que leur lieu de vie soit propre. Mais nombre de touristes, cyclistes ou randonneurs, y passent volontiers. «Welkom in fietsparadijs: Limburg (NDLR: Bienvenue au paradis des cyclistes: le Limbourg)», proclame un panneau enfoncé sur le côté de la route.
La gestion de la commune ne s’embarrasse guère de dimensions politiques. Juste d’une envie de faire vite et bien.
Conversations en camionnette
Tous les lundis soirs, le collège communal se tient à la maison communale. Le bâtiment de brique est encore surmonté d’une inscription rappelant que le lieu, auparavant, accueillait une école. Aujourd’hui, il sert à tout: maison communale –mais personne n’y travaille–, poste de police –il n’y a pas de policiers sur place– et bureau de poste, ouvert certains jours et à certaines heures seulement. A côté de la porte d’entrée, les numéros de GSM de la bourgmestre et de ses deux échevins sont affichés, au cas où.
Tous les lundis soirs, donc, le microgouvernement local dépouille son courrier et y réserve la suite ad hoc: demandes de permis d’urbanisme, renouvellements de carte d’identité, permis de chasse et factures constituent le gros du lot. En une heure ou 1h30, le travail est bouclé. Parfois moins. Les courriers sont rédigés sur place et celui ou celle qui risque le plus de croiser son ou sa destinataire dans les heures qui suivent les emportent pour les leur remettre en main propre. Question d’efficacité. D’ailleurs, tout citoyen qui souhaite parler à Marlutje est invité à s’asseoir à ses côtés dans sa camionnette à l’odeur de paille: elle profite de ses incessants trajets vers ses champs ou les vastes prés où ses chevaux galopent pour écouter ce qui doit l’être et élaborer une solution sans tarder.
On devine entre les lignes une gestion pragmatique, qui ne s’embarrasse guère de dimensions politiques. Juste une envie de faire vite et bien. D’ailleurs, il arrive que les habitants de Herstappe ne soient pas invités à voter lors des élections communales, parce que le nombre de candidats figurant sur les listes électorales est égal au nombre de sièges à pourvoir. Ce fut le cas en 1976, 1982, 1986 mais aussi en 2012. Dans ce cas, la répartition des postes s’opère en bonne intelligence et puis c’est tout.
En 2018, deux partis, tous deux plutôt proches du centre-droit, se sont affrontés: Gemeentebelangen (Intérêts communaux) et Herstappe+. La première liste l’a emporté avec 58,2% des voix. Marlutje Jackers, qui occupait la cinquième place de la liste, a été élue avec 31 voix. A sa totale surprise, elle qui n’avait pas fait campagne et qui, à la cinquième place, se croyait à l’abri, a donc été désignée bourgmestre. Le jour des élections, à 12h45, le téléphone sonne chez elle. On lui demande de se présenter à la maison communale à 13 heures, «avec des habits propres». Tous les Herstappiens savent qu’elle porte toujours des habits de travail, vieux jeans et tee-shirts. Marlutje ne comprend pas la raison de cet appel.
Quand elle apprend que le vote d’une grande partie des électeurs s’est porté sur elle, elle s’enfuit dans les champs, sans GSM, le temps de digérer la nouvelle. Où diable va-t-elle trouver le temps, en plus de l’accompagnement de son fils de 6 ans, de la gestion de la ferme et du suivi de son élevage de chevaux, de s’occuper de la commune? Et, accessoirement, d’apprendre le français? «Ça a été la margaille à la maison pendant des semaines!», se souvient-elle aujourd’hui en riant. Puis le temps a fait son œuvre et Marlutje, finalement échevine pendant trois ans avant de ceindre l’écharpe mayorale qui lui revenait, a fait la sienne.
D’ailleurs, elle se représente au scrutin du 13 octobre. Les Herstappiens ne devront pas non plus se rendre aux urnes cette année: tous les postes ont déjà été négociés et répartis entre les prétendants. Sauf immense surprise, Marlutje rempilera donc pour six ans.
Un CPAS sans bénéficiaires
A Herstappe, il n’y a pas de demandeurs d’emploi. Il y a certes un CPAS –obligatoire dans chaque commune– mais aucun bénéficiaire n’y est recensé. Conformément au prescrit légal, le territoire abrite deux logements sociaux. Avec un budget annuel de 100.000 euros, c’est sûr, la petite équipe à la tête de la commune ne refera pas le monde. Elle organisera comme chaque année un repas de Noël et une fête de village, à la fin du mois de juin, ainsi qu’une soirée jeux de cartes élaborée par le comité des fêtes. L’un ou l’autre chantier de voirie sera lancé, en fonction des subsides reçus. Sans parler de l’entretien des haies…
Le collège communal n’en connaît pas moins le profil de sa population et les défis qui l’attendent. L’un d’eux consiste à attirer de nouveaux habitants. Les jeunes s’y font rares. Les moins de 50 ans ne représentent que 30% de la population. «Il y a ici plus de personnes âgées que de jeunes, confirme un habitant de 60 ans. Les plus âgés restent actifs. Vous savez, eux, avant de les mettre à la retraite…» Le village n’abrite, il est vrai, ni école, ni centre culturel, ni lieu de sortie, même si on trouve tout cela dans les villes avoisinantes, à quelques kilomètres. Ici, à 22 heures, il n’y a plus un bruit. A part les chats qui profitent des rues désertées, tout le monde dort. Les moteurs des tracteurs se sont tus. On n’entend plus que le bruit du vent dans les chênes et les sorbiers et, ces temps-ci, une pomme qui se détache et heurte le sol d’un verger.
Il y a bien un restaurant, l’auberge ‘t Tolhuys, qui a ouvert ses portes en début de saison. «Il est plus fréquenté par les gens des villages avoisinants ou par les cyclistes de passage que par les locaux», observe sa gérante.
Pour attirer des plus jeunes, il faudrait aussi qu’il y ait des lieux où habiter. Mais aucun bâtiment ni aucun terrain à bâtir n’est actuellement disponible. La bourgmestre vient elle-même de faire construire deux maisons, qu’elle compte louer dès que possible. Elle est déjà submergée de demandes. La plus petite commune du pays suscite bien des rêves…
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