La ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) n'a pas subi le même sort que le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld), contraint à la démission.

« Hadja Lahbib s’en sort à nouveau bien » : la responsabilité des Affaires étrangères a-t-elle été occultée dans l’affaire Lassoued ?

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

De nombreux députés, y compris au sein de la majorité, s’interrogent sur la responsabilité des Affaires étrangères dans le suivi du dossier d’Abdessalem Lassoued. En mission en Australie puis au Proche-Orient, la ministre Hadja Lahbib (MR) n’a pas pu être entendue en Commission de la Chambre, contrairement à ses homologues de la Justice, de l’Intérieur et de la Migration.

La lumière a-t-elle été entièrement faite sur la responsabilité des Affaires étrangères dans le dossier Lassoued ? A en croire certains députés, des zones d’ombre subsistent. A commencer par le suivi accordé à la demande d’extradition de l’auteur de l’attentat perpétré à Bruxelles. Pour rappel, cette dernière est restée lettre morte, ce qui a valu la démission du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld). Alors que la demande d’extradition a également transité par le SPF Affaires étrangères, pourquoi la ministre Hadja Lahbib (MR) n’a, elle, jamais été inquiétée ?

Retour sur la chronologie des faits.

  • Le 1er juillet 2022, la Tunisie, via Interpol, envoie une « red notice » réclamant l’arrestation d’Abdessalem Lassoued.
  • Le SPF Intérieur n’y donnant pas suite, les autorités tunisiennes privilégient alors la demande d’extradition, formellement adressée au SPF Justice le 15 août 2022, grâce à un canal privilégié de communication entre les justices belges et tunisiennes. Cette demande est rapidement renvoyée vers le parquet de Bruxelles et tombera finalement dans les oubliettes.
  • Entre-temps, le 23 août 2022, le SPF Affaires étrangères reçoit également une copie de cette demande d’extradition. Un courrier transmis « trois jours plus tard » au SPF Justice, se défend le cabinet d’Hadja Lahbib, qui rejette toute erreur dans le suivi du dossier. « La transmission d’informations pour nous est un acte administratif, dans lequel n’y a pas de décision d’opportunité politique. Nous jouons simplement un rôle de boîte aux lettres. »

Une mission en Tunisie en mai 2023

« Le dossier a bel et bien été transmis dans les délais au SPF Justice, mais là n’est pas le problème, tranche la députée Vanessa Matz (Les Engagés). Ce qui m’interroge, c’est que pendant plus d’un an, personne au sein des Affaires étrangères ne semble s’être soucié du bon suivi de cette demande. Les Affaires étrangères ont-elles laissé le dossier couler, sans jamais solliciter de compléments d’informations de la part du SPF Justice ? C’est interpellant ». Un constat partagé par les écologistes. « Les Affaires étrangères ont-elles simplement servi de ‘boîte postale’ et de courroie de transmission vers le SPF Justice, ou auraient-elles dû jouer un rôle plus proactif dans le suivi de la demande d’extradition ? », s’interroge la députée Claire Hugon. De son côté, le cabinet Lahbib assure avoir respecté les règles de la Convention entre la Belgique et la Tunisie relative à l’extradition et à l’entraide en matière pénale, qui ne requiert « aucun geste d’initiative » des Affaires étrangères.  

Ce qui soulève également des interrogations, c’est l’absence supposée de relances de la part des autorités tunisiennes face à l’inaction belge. « Cela paraît étonnant au vu de l’urgence et du dynamisme avec lesquels la Tunisie a traité le dossier avant cela », expose Vanessa Matz. D’autant que la Belgique et la Tunisie entretiennent d’excellentes relations bilatérales, et que la ministre des Affaires étrangères s’est elle-même rendue à Tunis lors d’une mission européenne en mai 2023. « L’ambassade tunisienne n’a-t-elle jamais relancé le SPF Affaires étrangères ? questionne le député Samuel Cogolati (Ecolo). La Tunisie a-t-elle entamé d’autres démarches auprès des services diplomatiques belges ou, par exemple, mentionné ce cas au cours de contacts bilatéraux? » « S’il apparait que les Affaires étrangères avaient été réactivées par les autorités tunisiennes, cela change la donne », insiste Claire Hugon.

Pas d’audition à l’horizon

Des suppositions que réfute le cabinet d’Hadja Lahbib. « A notre connaissance, et sur base des recherches internes menées au sein des services du SPF Affaires étrangères concernés jusqu’à présent, les autorités tunisiennes ne nous ont pas relancés. (…). Il n’y a pas non plus eu, selon les informations dont nous disposons, de relance au niveau politique. C’est normal parce que la note verbale a été reçue par l’administration : le niveau politique n’était pas impliqué. » Concernant la mission tunisienne d’Hadja Lahbib en mai 2023, celle-ci était « menée au nom de l’UE » et était « centrée sur le dialogue entre l’Europe et la Tunisie ».

Si les ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Migration ont déjà été mis sur le gril à deux reprises par les députés fédéraux sur le dossier « Lassoued », la ministre des Affaires étrangères n’a pas encore pu répondre publiquement à leurs interrogations. En mission économique en Australie, puis en déplacement aux Emirats Arabes Unis dans le cadre du conflit Israël-Hamas, la libérale était en effet absente des Commissions consacrées à cette thématique. En raison des vacances parlementaires la semaine prochaine, une éventuelle audition d’Hadja Lahbib risque encore d’être reportée. « Elle s’en sort à nouveau bien, peste la députée Sophie Rohonyi (DéFi). Mais nous comptons bien ne pas en rester là. »

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