Georges-Louis Bouchez séduit de plus en plus les entrepreneurs flamands. © BELGA/BELPRESS

Georges-Louis Bouchez, le sauveur des libéraux flamands?

Tex Van berlaer Collaborateur Knack.be

Les entrepreneurs flamands adorent Georges-Louis Bouchez, le flamboyant président des libéraux francophones. L’ombre de «GLB» plane également sur la refondation de l’Open VLD, menée par l’actuelle présidente Eva De Bleeker. «Il est jeune, dynamique et surtout droit dans ses bottes.»

«Un MR flamand? Il est vrai que cette idée séduit certaines personnes chez nous. Il compte quelques grands fans de notre côté. Mais s’il me le demandait, je lui répondrais que c’est complètement insensé. Reconstituer un parti national, en plus sous la houlette de quelqu’un qui ne parle pas le néerlandais? Je ne suis pas nationaliste, mais c’est idiot et ça ne correspond à aucune réalité politique.» Celui qui s’exprime, c’est Karel De Gucht, ancien ténor de l’Open VLD, qui voit davantage Georges-Louis Bouchez comme un saboteur que comme un ange sauveur. «D’abord, il nous démolit pendant quatre ans dans notre propre jardin avec ses critiques incessantes contre le gouvernement Vivaldi. Et ensuite, il nous tend soi-disant une main secourable?»

Depuis sa spectaculaire victoire électorale le 9 juin, le président du MR Bouchez rêve à voix haute, lors d’interviews, d’une expansion politique en Flandre. L’idée sous-jacente: les libéraux flamands pourraient apprendre beaucoup de lui en matière de stratégie et d’orientation idéologique. Sous sa direction avisée, les libéraux pourraient devenir le plus grand parti politique du pays.

Que ce soit en fusionnant le MR et l’Open VLD en un seul mouvement libéral national, ou en présentant des listes distinctes du MR en Flandre lors des prochaines élections, Bouchez laisse encore planer le doute. En tout cas, l’ancien président et chef de groupe au Parlement flamand, Egbert Lachaert, a déjà qualifié Bouchez d’«asset», un atout. L’ombre de Bouchez plane donc sur la refondation du parti, menée actuellement par sa présidente, Eva De Bleeker.

La chute de De Croo

Dans notre pays, à l’exception du PTB-PVDA, il n’existe plus de partis unitaires. Les projets de Bouchez semblent donc être une tentative vouée à l’échec de faire marche arrière. Mais on peut aussi y voir la création de nouvelles réalités politiques. «GLB remet en question bon nombre d’idées reçues sur notre système politique», analyse le professeur de sciences politiques Dave Sinardet (VUB). «Il a déjà brisé deux dimensions du récit selon lequel la Belgique serait composée de deux démocraties opposées», affirme-t-il. «Tout d’abord, l’idée que la Flandre vote à droite et la Wallonie à gauche. Ensuite, celle selon laquelle des débats politiques totalement distincts se tiennent de part et d’autre de la frontière linguistique. En étant constamment présent dans les médias flamands, Bouchez a bel et bien marqué l’espace public flamand. Ce que Paul Magnette (PS), parfaitement bilingue, n’a jamais réussi à faire —en partie parce qu’il ne l’a jamais poursuivi avec autant d’intensité. La critique incessante de Bouchez envers la Vivaldi a d’ailleurs contribué à la chute d’Alexander De Croo et de l’Open VLD.»

Bouchez a déjà brisé deux dimensions du récit selon lequel la Belgique serait composée de deux démocraties opposées.

Dave Sinardet

professeur de sciences politiques

Selon Dave Sinardet, la forme ultime de cette réfutation de l’hypothèse des deux démocraties pourrait être une fusion du MR et de l’Open VLD au niveau national, «sous une forme ou une autre».

Un air d’Elon Musk

Dans une rare interview accordée en début d’année à Het Laatste Nieuws, Fernand Huts, le dirigeant de Katoen Natie, réputé proche de la N-VA, a déclaré que si Bouchez se présentait demain en Flandre, il obtiendrait 15% des voix les doigts dans le nez. Selon Huts, «il n’y a plus aucun parti en Flandre qui défend les indépendants et l’entrepreneuriat.»

Il est certain que Bouchez touche une corde sensible chez les entrepreneurs flamands. Nicolas Saverys, actionnaire principal de la compagnie de transport de gaz Exmar et l’un des Belges les plus riches, l’admet lui aussi: «Bouchez a prouvé que le clientélisme du PS en Wallonie n’est pas indéracinable. Il veut aussi un Etat mince et efficace, ce qui lui donne un certain air d’Elon Musk.»

Que la communication agressive de Bouchez complique parfois la politique de son propre gouvernement n’est pas forcément un inconvénient, selon Saverys: «Bien sûr, ses ministres doivent faire des compromis, mais lui continue de marteler ce que le résultat idéal aurait dû être. Comme un coach qui crie et tempête sur la ligne de touche. Cela rend les autres nerveux, mais je trouve ça rafraîchissant.» Le contraste avec l’Open VLD ne pourrait guère être plus marqué, poursuit l’entrepreneur: «En s’accrochant au pouvoir à tout prix, le parti libéral a causé sa propre perte. Alexander De Croo n’a laissé aucune empreinte libérale avec la Vivaldi. Karel De Gucht n’est plus un libéral depuis longtemps, et c’est aussi le cas de Guy Verhofstadt.»

Bouchez a prouvé que le clientélisme du PS en Wallonie n’est pas indéracinable. Il veut aussi un Etat mince et efficace, ce qui lui donne un certain air d’Elon Musk.

Nicolas Saverys

actionnaire principal de la compagnie de transport de gaz Exmar

Le chef d’entreprise technologique et capital-risqueur Jürgen Ingels a lui aussi un faible pour «GLB»: «Il est médiatique, jeune, dynamique et surtout droit dans ses bottes. Un point négatif, c’est qu’il continue de défendre les transferts financiers de la Flandre vers la Wallonie. Mais il mise pleinement sur les chevaux de bataille socio-économiques classiques du libéralisme: des impôts plus bas, moins d’ingérence de l’État et davantage d’entrepreneuriat.»

Piña colada

Le profil politique de Bouchez a attiré l’attention il y a trois ans déjà de House of Flanders, un club regroupant une centaine d’entrepreneurs flamands, qui l’a invité à un déjeuner-débat. «Les entrepreneurs aiment entendre son discours, car il est droit dans ses convictions», explique le directeur Dirk Haesevoets.

Ce qui a marqué Haesevoets, c’est la manière dont Bouchez a évoqué son enfance: «Ses parents avaient du mal à joindre les deux bouts, alors que des voisins sans emploi parvenaient plus facilement à boucler leur fin de mois grâce aux allocations et aux avantages sociaux. C’était aussi moins langue de bois que ce à quoi certains politiciens flamands nous ont habitués

Les entrepreneurs aiment entendre son discours, car il est droit dans ses convictions.

Dirk Haesevoets

directeur de House of Flanders

Il reste surprenant de constater à quel point Bouchez bénéficie du respect des capitaines d’industrie flamands, alors que la N-VA, un grand parti économiquement à droite, est active en Flandre depuis des années. Nicolas Saverys, qui évolue dans le fief du bourgmestre d’Anvers Bart De Wever, pense en connaître la raison: «La N-VA est bien plus à gauche que le MR. Le parti s’est peut-être un peu libéralisé ces dernières années, mais on y trouve encore des profils très divers. Regardez aussi le niveau de gouvernance flamand: la N-VA y participe depuis des années, mais il souffre des mêmes maux bureaucratiques et budgétaires que le niveau fédéral. La N-VA est un peu devenue l’ancienne CVP

Jürgen Ingels: «Oui, la N-VA fait quelque chose pour les entrepreneurs. Mais un parti qui défend vraiment leurs intérêts et les écoute, ça n’existe pas ici. Je travaille jour et nuit, et beaucoup d’entrepreneurs font de même. Avec l’argent de la vente de mon entreprise, j’investis de nouveau dans l’économie. Mais ce n’est pas ainsi qu’on parle de nous. Dans l’imaginaire collectif, je suis au bord de la piscine avec une piña colada

Anti-PS

Si le MR se présentait en Flandre, Dirk Haesevoets y verrait bel et bien des opportunités. «De vrais libéraux bleus voteront immédiatement pour Bouchez. Pensez à toutes ces personnes qui ne se sentent plus chez elles au sein de l’Open VLD depuis des années et qui ne votent pour la N-VA qu’en tant que solution de secours.»

© BELGA

Ces dernières années, Bouchez a investi beaucoup de temps et d’énergie dans ses contacts avec les médias flamands et les entrepreneurs flamands. L’architecte discret de cette opération séduction n’est autre que son porte-parole expérimenté néerlandophone, John Hendrickx, qui s’est donné pour mission de faire de son président une véritable star politique en Flandre.

Hans Maertens, administrateur délégué de l’organisation patronale flamande Voka, identifie trois raisons pour lesquelles ces efforts portent leurs fruits et pourquoi Bouchez est particulièrement apprécié par de nombreux dirigeants d’entreprises flamandes. «Il parle le langage des entrepreneurs. En outre, c’est évidemment une personnalité charismatique, et les chefs d’entreprise aiment cela. Un troisième élément, souvent sous-estimé, est que la Wallonie reste encore aujourd’hui le principal partenaire commercial des entreprises flamandes

Le professeur Sinardet trouve ironique que la droite flamande accueille Bouchez à bras ouverts, bien qu’il soit un Belgiciste francophone unilingue. «Le sentiment flamand, qui s’est pourtant imposé ces dernières décennies jusque dans la droite libérale flamande, avait donc moins à voir avec le nationalisme flamand et le désir d’une politique flamande autonome, et beaucoup plus avec un sentiment anti-PS

Superfan

«Je suis un superfan de Bouchez», déclare Peter Reekmans, le populaire bourgmestre de Glabbeek, qui a quitté à l’époque le VLD pour la Liste Dedecker. «J’aime son esprit combatif, mais surtout sa constance idéologique. Si Bouchez se présentait à des élections en Flandre, je voterais pour lui. Et si Bouchez lançait un parti ici, il pourrait immédiatement m’appeler pour une carte de membre.»

Reekmans pense qu’un grand groupe de libéraux de droite se sent abandonné en Flandre. «Si Bouchez fonde demain un nouveau parti libéral de droite en Flandre, non seulement une grande partie des anciens mandataires de la LDD le rejoindra, mais aussi la moitié de l’Open VLD suivra. Et alors, les familles De Gucht, Dewael, Verhofstadt et De Croo pourront éteindre la lumière chez l’Open VLD.»

Si Bouchez lançait un parti ici, il pourrait immédiatement m’appeler pour une carte de membre.

Peter Reekmans

bourgmestre de Glabbeek

Qu’en est-il des bourgmestres locaux de l’Open VLD? L’ancien ministre et bourgmestre de Lanaken, Marino Keulen, ne voit aucun intérêt à une fusion de son parti avec le MR, mais estime néanmoins que «GLB» constitue un exemple à suivre. «La lutte contre le misérabilisme du PS semblait perdue. Jusqu’au 9 juin. Cela prouve que, à un certain moment, les gens aspirent à un récit libéral pur. Le combat de Bouchez redonne du courage en ces temps sombres.»

Une admiration similaire se fait entendre chez d’autres bourgmestres de l’Open VLD. «Ce que dit Bouchez plaît à notre public. C’est dans cette direction que l’Open VLD doit évoluer», déclare également Frank Wilryckx, bourgmestre de Merksplas. «Bouchez peut être un exemple de la manière de rendre un parti libéral à nouveau pertinent», ajoute Björn Prasse, bourgmestre de Blankenberge. «Son approche séduira aussi le Flamand pragmatique. Mais importer le MR en tant que marque ne fonctionnera pas sans le profond renouveau qu’Eva est en train de mettre en place.»

Feu de paille

La cheffe de groupe à la Chambre pour l’Open VLD, Alexia Bertrand, comprend que certains libéraux flamands soient fascinés par Bouchez. Elle connaît le MR, son ancien parti, sur le bout des doigts. «Je dois le reconnaître, Monsieur Bouchez est un orateur talentueux, qui sait facilement attirer l’attention de la presse sur son message. Bien que son parti et le mien aient tous deux fait partie de la Vivaldi, il a réussi à faire comme s’il pouvait présenter un bilan totalement différent.»

C’est là une leçon pour l’Open VLD, estime Alexia Bertrand, ancienne secrétaire d’Etat au Budget. «Nous devons mieux vendre notre récit. Notre nouveau rôle de parti d’opposition va nous y aider. Nous restons une famille bleue, et tout ce que le gouvernement fédéral envisage de faire n’est pas par définition mauvais. Mais nous allons défendre pleinement notre récit bleu foncé. Pour les entrepreneurs, le gouvernement De Wever n’est pas attrayant —et je ne parle pas seulement de la taxe sur les plus-values des actions

Pour Karel De Gucht, en revanche, «moins Bouchez s’occupe de nous, mieux c’est. Bouchez n’a pas à venir nous sauver, ça ne marchera pas. L’Open VLD doit se sauver lui-même.» Sur le fond, De Gucht ne partage pas non plus la fascination de certains membres de son parti. «Bien sûr, je suis heureux qu’un parti libéral atteigne 30% en Wallonie. Mais en politique, il faut se méfier des feux de paille. Ils brûlent très intensément pendant un court moment, puis disparaissent. Je trouve tout de même que Bouchez est un type très populiste.»

Que cela plaise ou non aux libéraux flamands, le sauvetage de l’Open VLD sera fortement influencé par la figure de Georges-Louis Bouchez. Soit par ses projets de reprise —considérés par certains comme hostiles—, soit parce que «GLB» deviendra de toute façon la pierre angulaire de l’opération de renouvellement menée par la présidente De Bleeker. Bref, d’une manière ou d’une autre, l’Open VLD deviendra bientôt le GLB. La sensibilité du débat interne se révèle d’ailleurs dans le nombre de membres de l’Open VLD qui ont refusé de répondre à Knack. «Les nerfs sont à vif», entend-on.

Au MR, on se réjouit en tout cas des réactions positives venues du monde entrepreneurial flamand. «Georges-Louis Bouchez est heureux des réactions et de l’accueil qu’il reçoit en Flandre», dit-on. «Bouchez et le MR sont des partenaires naturels pour le centre-droit flamand, et ce message semble être passé. Il continuera à parcourir la Flandre ces prochaines années pour renforcer encore les liens.»

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