Georges-Louis Bouchez et Raoul Hedebouw: « LE duel des prochaines élections sera entre le MR et le PTB »
Ils ne pourraient pas être plus différents sur le plan idéologique. Pourtant, les présidents de parti Georges-Louis Bouchez (MR) et Raoul Hedebouw (PVDA) ont un ennemi commun. Entretien avec nos confrères de Knack.
Georges-Louis Bouchez regarde bouche bée un tableau. La grande toile de Jules Cran, dans la salle 2 glacée de la Chambre, représente la prestation de serment du roi Albert Ier en 1909. Le président du MR, adorateur autoproclamé de la Belgique, est impressionné. Raoul Hedebouw (PTB) montre moins d’intérêt. Il regarde surtout le photographe et l’équipe de tournage que Georges-Louis Bouchez a amené dans son sillage. Ce dernier ne semble pourtant guère distrait au cours de l’entretien. Raoul Hedebouw et Georges-Louis Bouchez sont à l’opposé l’un de l’autre; il ne faut pas grand-chose pour déclencher un feu d’artifice.
Bien qu’il y ait aussi des similitudes. Ainsi, Raoul Hedebouw est président du seul parti unitaire de Belgique (PVDA/PTB) alors que Georges-Louis Bouchez se comporte parfois comme s’il l’était. Depuis que le président de la N-VA, Bart De Wever, l’a qualifié d’indigne de confiance en 2020, le Wallon a entamé une offensive de charme en Flandre. Fièrement, son porte-parole montre une vidéo récente où l’on voit une salle de libéraux flamands applaudir bruyamment après un discours de Georges-Louis Bouchez. Quelqu’un lui demande même ce qu’il ferait « s’il était président de l’Open VLD ».
Le même Open VLD et sa figure de proue, le Premier ministre Alexander De Croo, sont sous le feu des critiques depuis plusieurs jours. Après la publication dans Knack de messages WhatsApp entre le cabinet De Croo et celui d’Eva De Bleeker (Open VLD), la secrétaire d’État au Budget qui a dû démissionner après des « erreurs matérielles », tout tourne autour de la question suivante : le Premier ministre Alexander De Croo a-t-il finalement donné son feu vert à un budget défaillant, ce qu’il nie à ce jour ?
Le Premier ministre a-t-il menti à la Chambre ?
Georges-Louis Bouchez: La procédure calibrée a été suivie dans la préparation du budget. Dans le cadre de cette procédure, notre vice-premier ministre a donné son approbation. C’est tout ce que je peux dire. En tout cas, nous n’avons pas approuvé de budget par WhatsApp. Peut-être y a-t-il eu des problèmes de communication entre les cabinets Open VLD, mais pour nous en tout cas, ce projet de budget tel qu’il a été transmis à la Chambre ne contenait aucune surprise. Sinon, il est parfaitement normal que les députés de l’opposition interrogent le Premier ministre. Je suis également favorable à une transparence maximale en la matière, afin d’éliminer toute confusion.
Monsieur Hedebouw, votre parti a demandé la démission du Premier ministre?
Raoul Hedebouw: Si vous lisez ces messages WhatsApp, il est clair comme de l’eau de roche que le Premier ministre a menti. Son cabinet a donné son feu vert au budget. Un chef de gouvernement qui ment au Parlement n’a plus de crédibilité et doit démissionner. Eva De Bleeker a dû démissionner, bien qu’elle n’ait commis aucune erreur. Et qu’en est-il de lui ? Il y a également un aspect sexiste: apparemment, ils peuvent jeter une femme secrétaire d’État dans la gueule du loup. Il y a aussi le fond de cette discussion. Il s’agit de savoir si la réduction de la TVA sur l’énergie sera bientôt compensée par une augmentation des droits d’accises. Open VLD et MR fulminent toujours contre les taxes, mais ce qu’ils ont essayé de cacher jusqu’à présent, c’est que le gouvernement reprendra par le biais des accises ce qu’il nous donne par une réduction de la TVA. C’est donner d’une main et reprendre de l’autre.
Georges-Louis Bouchez: Je suis heureux que le PTB soit soudain préoccupé par le budget ainsi que par l’harmonie au sein de la famille libérale. En dehors de cela, j’avais une grande confiance en Eva De Bleeker. Elle n’était parfois pas assez écoutée. Mais ce que nous devons maintenant considérer sérieusement, c’est l’avenir de notre budget. Si nous ne réformons pas les retraites, le marché du travail et la fiscalité, ce budget, WhatsApp ou pas, court à la catastrophe. Nous ne pouvons pas nous retrouver avec un déficit de 33 milliards d’euros. J’aimerais que nous ayons enfin un débat sur la manière dont nous allons résoudre ce problème. Le PS et plus encore le PTB disent : taxons davantage les riches. Vraiment? Supposons que vous puissiez réunir 10 milliards d’euros, le chiffre qu’ils avancent et qui est tout à fait irréalisable, mais supposons. Il vous reste encore un trou de 23 milliards.
Ce qu’il faut vraiment faire dans ce pays, c’est augmenter le taux d’emploi, surtout en Wallonie et à Bruxelles. Si nous ne résolvons pas ce problème, la Belgique ne s’en sortira jamais. Trois chiffres vont toujours de pair : un faible taux d’emploi, des impôts élevés et des déficits budgétaires importants. Il y a 140 000 postes vacants pour les métiers en pénurie dans ce pays. Mais à Mons et à Liège, nos villes d’origine, près de la moitié de la population active ne travaille pas. Si Bruxelles et la Wallonie étaient des pays, elles auraient le taux d’emploi le plus bas de toute l’UE.
Raoul Hedebouw: L’état désastreux du budget belge est un sujet qui nous préoccupe évidemment beaucoup, à gauche. Mais les partis libéraux, qui sont aux commandes depuis 20 ans, sont les auteurs de ce désastre : il s’agit d’un copyright MR, pas de copyleft. Comment remettre les finances publiques sur les rails ? Aujourd’hui, une entreprise comme AB Inbev paie 0,1 % d’impôts en Belgique. N’importe quel indépendant ou PME – et c’est la raison pour laquelle de plus en plus d’indépendants affluent vers le PTB – doit payer 20 à 25 % immédiatement. La fiscalité équitable n’existe pas en Belgique. Pourquoi le Français Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, veut-il venir vivre ici ? Parce que les grandes fortunes sont très peu taxées chez nous. La Belgique est un enfer fiscal pour les travailleurs, et un paradis pour les grandes fortunes et les multinationales.
Georges-Louis Bouchez: Je voudrais revendiquer quelques mesures libérales. En effet, chaque fois que les impôts ont baissé dans ce pays, c’est grâce aux ministres MR. Et donc Raoul Hedebouw ne veut pas que les riches Français, qui font en sorte que l’immobilier des belles avenues de Bruxelles conserve une certaine valeur, qui consomment et créent des entreprises, viennent à Bruxelles. Il souhaite plutôt que l’ensemble de Bruxelles devienne un quartier difficile. M. Hedebouw n’aime pas Uccle ou Woluwé, il n’aime que Molenbeek. Parce que plus il y a de pauvreté et d’insécurité de subsistance, plus il y a de votes pour lui. Pourquoi le PTB est-il très fort dans les provinces du Hainaut et de Liège ? Ce sont les provinces où le chômage est le plus élevé.
Raoul Hedebouw: J’ai une bonne nouvelle pour M. Bouchez: depuis quelques années, nous avons une section très dynamique à Uccle, et le PTB progresse aussi fortement à Namur et dans le Brabant wallon. Parce que nous représentons la classe qui travaille.
Monsieur Bouchez, vous voulez un grand accord sur les retraites, la fiscalité et le marché du travail d’ici mars. Mais les choses vont déjà si mal. Ce gouvernement est-il encore capable de conclure un tel accord ?
Georges-Louis Bouchez: Posez cette question au ministre fédéral de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS). Son parti s’est engagé à porter le taux d’emploi à 80 % d’ici à 2030. Que propose-t-il réellement pour atteindre cet objectif? Peut-il l’expliquer? Pierre-Yves Dermagne pourrait bientôt s’appeler « ministre fédéral du Chômage ».
Si le PS ne le veut pas, les grandes réformes n’aboutiront à rien?
Georges-Louis Bouchez: Il y aura des élections en 2024, ne l’oublions pas. Mais le PS dit tout le temps qu’il ne veut rien savoir de nos préceptes libéraux pour mettre plus de gens au travail. Mais je n’ai rien entendu sur leurs recettes.
Raoul Hedebouw: Ce que vous voyez en fait, c’est le poids du PTB sur le gouvernement. C’est la nouveauté de cette situation. Vous vous retrouvez avec un PS qui subit une pression à gauche.
La stagnation de Vivaldi est la faute ou le mérite, selon le cas, du PTB?
Raoul Hedebouw: Certainement. Sous la pression du PTB, le PS retient les mesures antisociales au sein du gouvernement fédéral. Par ailleurs, sous la pression du PTB, on a instauré la pension minimale de 1 500 euros et la TVA sur l’électricité a été ramenée à 6 %. Mais je ne comprends pas non plus pourquoi on ne réfléchit pas beaucoup plus à un modèle social et économique différent dans la situation de crise actuelle. Depuis 25 ans, le MR dit et fait la même chose, cela ne fonctionne pas et c’est mortellement ennuyeux. Ensuite, quand il s’agit de Pierre-Yves Dermagne, j’ai beaucoup de critiques à formuler à ce sujet aussi, remarquez. Surtout sur le fait que tous les salaires dans notre pays sont bloqués par la loi, même dans les entreprises qui mènent très bien leur barque. Les libéraux prônent toujours la liberté, sauf lorsqu’il s’agit de la formation des salaires.
Georges-Louis Bouchez: Soit, mais alors, abolissons aussi l’indexation automatique des salaires. Liberté totale de négociation salariale pour tous : pour les travailleurs et les employeurs. Mais le PTB veut toujours juste taxer davantage les riches et les entreprises. Permettez-moi de souligner que les entreprises créent des emplois et paient des impôts. Mastercard a payé près de 345 millions d’euros d’impôts l’année dernière, BASF 240 millions. Pour le PTB, vous pouvez également prendre votre retraite à 60 ans, alors que dans tous les pays européens, même au Portugal, avec un gouvernement d’ailleurs soutenu par un parti communiste, beaucoup de travailleurs devront travailler jusqu’à 67 ans. Raoul Hedebouw fait la publicité d’un modèle qui a échoué partout dans le monde : dans l’ancienne URSS, à Cuba, au Venezuela. Mon modèle est le capitalisme, qui permet aux personnes nées dans la pauvreté d’accéder à la classe moyenne.
Raoul Hedebouw: Cessez ces fables sur la méritocratie, votre situation n’a rien à voir. Vous gagnez bien votre vie parce que la Belgique donne beaucoup d’argent aux politiciens. Vous percevez 18 000 euros bruts par mois du gouvernement. Il est alors facile de faire la leçon aux pauvres en Wallonie et à Bruxelles. Les politiciens du PTB se contentent de 2 200 euros nets par mois. Nous savons donc ce que cela signifie de ne pas réussir à joindre les deux bouts ou d’avoir du mal. Je pense que c’est important sur le plan éthique. De plus, ce précepte permet d’écarter les carriéristes du parti.
Pourtant, vous percevez autant que les autres politiciens. La différence, c’est que vous donnez une plus grande partie de vos revenus au parti.
Raoul Hedebouw: Pour nous, les dotations aux partis peuvent être réduites de moitié, mais le MR, entre autres, ne soutient pas cette proposition.
Pendant ce temps, un scandale de corruption secoue le Parlement européen. Le Qatar et le Maroc auraient soudoyé des députés européens pour influencer la prise de décision. Pouvez-vous garantir que vos représentants élus ne sont pas impliqués ?
Raoul Hedebouw: Absolument. Le mécanisme qui sous-tend la corruption est le désir de devenir de plus en plus riche. En ce sens, le PS, qui participe au parti par le biais du député européen Marc Tarabella, n’est pas de gauche, mais de pseudo-gauche. Cette affaire prouve également que les salaires élevés ne contribuent pas à lutter contre la corruption, une idée fausse qu’on entend souvent. Faites en sorte que les politiciens gagnent moins, et vous ne garderez que les personnes qui font leur travail par passion.
Georges-Louis Bouchez: Cet épisode prouve surtout que nos services de justice et de renseignement ont fait un excellent travail. Il y avait des soupçons et ils ont conduit à une enquête et à des arrestations. Je ne comprends donc pas pourquoi nous devrions imposer un tout nouvel ensemble de règles aux représentants élus. Cette affaire a montré que les règles existantes fonctionnent. Nous ne modifions pas le code pénal chaque fois que quelqu’un commet un meurtre, si ? De plus, les hommes politiques européens ont les règles déontologiques les plus strictes de toutes. Accepter des cadeaux est interdit, si vous rencontrez quelqu’un, vous devez l’enregistrer… C’est absurde. Et aucune nouvelle règle ne pourra empêcher une personne dépourvue de sens moral de succomber à une valise d’argent.
Avez-vous également été approché par des Qataris ?
Georges-Louis Bouchez: J’ai reçu l’ambassadeur qatari dans mon bureau, une fois. Vous savez ce qu’il m’a donné ? Un catalogue touristique !
Sans rien insinuer, dans une chronique pour Het Nieuwsblad, vous vous êtes montré indulgent envers le Qatar. Vous avez qualifié de « cinéma éthique » l’indignation des Occidentaux face aux conditions de travail dans ces pays.
Georges-Louis Bouchez: Et alors ? Je maintiens cette position. Le salaire minimum au Qatar est plus élevé qu’en Roumanie et en Bulgarie. L’Organisation internationale du travail y a ouvert un bureau. Le pays a aboli le système de la kafala, une forme d’esclavage qui oblige les travailleurs migrants à rendre leur passeport, entre autres. Le Qatar n’est pas aussi problématique que la Russie, qui a accueilli la Coupe du monde 2018, ou la Chine, qui a accueilli les Jeux olympiques de 2010.
Raoul Hedebouw: Je n’ai pas eu de contacts. Mais je pense qu’il devrait y avoir beaucoup plus de transparence au niveau européen, car le lobbying y est aussi beaucoup plus important qu’au niveau national. Ce n’est pas un hasard si la Commission européenne considère le gaz comme une « énergie verte ». Derrière cela se cache la gigantesque machine de lobbying des TotalEnergies de ce monde. Il y a 15 000 lobbyistes à Bruxelles. Celui qui a beaucoup d’argent peut faire beaucoup de lobbying, ce qui rend la situation antidémocratique.
Il y a un décalage énorme entre la population et les structures aux moyens financiers importants comme les multinationales.
Georges-Louis Bouchez: Greenpeace et le WWF sont aussi des lobbyistes, non? Lorsque c’est le soi-disant bon camp qui le fait, vous appelez ça « le rôle social de la société civile ». Lorsque des entreprises privées le font, il s’agit de lobbying et, presque par définition, il semble avoir une odeur. C’est hypocrite.
Ce scandale de corruption pose un problème d’image majeur à la politique. Il en va de même pour la situation au Parlement wallon: Jean-Claude Marcourt (PS) a dû démissionner de son poste de président du Parlement après un voyage de 20 000 euros à Dubaï. Le greffier a également été compromis et suspendu. Cela alimente l’anti-politique. M. Hedebouw, la fortune vous vient en dormant.
Raoul Hedebouw: Vous pouvez le dire, mais l’anti-politique n’est jamais une bonne chose. En tant que parti de gauche, nous devrions plutôt donner de l’espoir. Il est toutefois frappant de constater que ce sont précisément les partis traditionnels qui nous traitent de populistes. Le PS, le MR, Ecolo et Les Engagés (anciennement CDH) ont tant fait pour que les gens soient dégoûtés de la politique. Un peu d’humilité leur ferait honneur. Le greffier du Parlement wallon, Frédéric Janssens, a été nommé par le MR. Il a été discrédité pendant 15 ans pour avoir potentiellement extorqué des gens, il existe des dizaines de témoignages de membres du personnel. Des documents internes du bureau du Parlement wallon montrent que Jean-Paul Wahl (MR) a plaidé pour que le voyage à Dubaï soit autorisé. La faute est donc collective, mais elle est pire pour un parti comme le PS. De la part d’un parti de droite, je m’attends à ce qu’il participe au bling-bling. Money, money, money: cela fait partie de leur idéologie de base.
Monsieur Hedebouw, comme Jean-Claude Marcourt, vous êtes liégeois. En 2016, il y a eu le scandale de Publifin à Liège, et Marc Tarabella (PS), dont le nom apparait dans le Qatargate, est aussi originaire de votre ville. Y a-t-il quelque chose dans l’eau du robinet ?
Raoul Hedebouw: Depuis les années 60, les politiciens de la région liégeoise sont sous l’emprise de ce que l’on appelle l’initiative publique-privée, c’est-à-dire l’imbrication du capital, des structures publiques et de la politique. Comme de nombreux services publics ont été privatisés de l’intérieur, les politiciens qui dirigeaient ces grandes entreprises publiques avaient un pied dans la politique et un pied dans les affaires. En conséquence, des gens comme Jean-Claude Marcourt, Stéphane Moreau (PS) et d’autres ont commencé à raisonner comme s’ils appartenaient à la grande finance. Ils voulaient gagner autant que ce qu’ils obtiendraient dans le secteur privé, sauf qu’il s’agissait de l’argent des contribuables, c’est-à-dire de notre argent.
Monsieur Bouchez, vous êtes resté assez discret sur le scandale au Parlement wallon.
Georges-Louis Bouchez: Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de problème avec ce voyage à 20 000 euros, et ceux qui enfreignent les règles devraient être punis. Quant au greffier: quelle absurdité, lorsqu’il a été nommé, le MR était dans l’opposition, et Frédéric Janssens n’a travaillé que pour des présidents de parlement d’autres partis. Mais la Wallonie est à la peine avec plus de 210 000 chômeurs. Il y a un énorme déficit dans le budget wallon. Tout le monde s’en moque, mais tout le monde parle d’un voyage à Dubaï, qui, soit dit en passant, ne comprenait pas de députés MR.
Si le PS est lésé par les scandales en Wallonie et en Europe, cela vous arrange tous les deux. Sur ce point, vous êtes des alliés objectifs, avec le PS comme ennemi commun.
Georges-Louis Bouchez: C’est vrai, mais LE duel des prochaines élections en Belgique francophone sera entre le MR et le PTB, j’en suis convaincu. Contrairement à Ecolo, nos deux partis croient en la croissance, mais nos modèles économiques sont diamétralement opposés. Le PS, quant à lui, perd du terrain. La social-démocratie en Belgique francophone suit la même évolution que les partis sociaux-démocrates en Europe. Mais il y a une autre grande différence : le PS a de fortes ramifications dans la société. Ses syndicats, ses caisses de santé et ses bourgmestres font en sorte que sa déconfiture soit plus lente que celle des partis frères en France ou en Italie. Juste avant ma naissance, en 1986, le PS atteignait encore 44 % en Wallonie. Lors des dernières élections, il en restait 26 %. Ces 30 dernières années, aucun parti n’a perdu plus d’électeurs que le PS.
Raoul Hedebouw: L’une des grandes questions en 2024 sera de savoir quel camp choisiront le PS, Vooruit, Ecolo et Groen. Jusqu’à présent, les partis traditionnels de gauche ont toujours suivi le récit libéral parce qu’ils n’avaient pas d’opposition à gauche. C’est en train de changer. Nous sommes très heureux de notre coalition avec le Vooruit à Zelzate, mais vont-ils aussi créer des ouvertures à d’autres niveaux politiques ? Avec Paul Magnette (PS) et Conner Rousseau (Vooruit), on sent qu’ils préféreraient s’allier respectivement avec le MR et la N-VA.
En Wallonie, le PTB fait très bonne figure, mais en Flandre, le PVDA ne recueille que 7,4 % des voix.
Georges-Louis Bouchez: En Flandre, il y a le Vlaams Belang, qui poursuit le même électorat que le PTB.
Raoul Hedebouw: Nous sommes tout de même passés de 5,6 % à 7,4 % dans les sondages en Flandre. Et comme Conner Rousseau cherche à obtenir des voix principalement au centre, il y a de la place pour nous à gauche. Nous le constatons sur le terrain. Les syndicalistes de la CSC et du FGTB sont de plus en plus nombreux à venir vers nous. En outre, il y a en effet la présence du Vlaams Belang, mais en plus, nous sommes peu couverts par les médias flamands.
Monsieur Bouchez, vous prédisez un duel avec le PTB, mais nous savons déjà que vous ne gouvernerez jamais ensemble.
Georges-Louis Bouchez: En effet, je ne travaille pas avec les partis extrêmes. Si un cordon sanitaire existe pour l’extrême droite, pourquoi pas pour l’extrême gauche ? Leur attitude à l’égard de la propriété privée et de la liberté d’expression est problématique. Leurs convictions politiques sont incompatibles avec la démocratie. Tant le Vlaams Belang que le PTB capitalisent sur une image d’ennemi. Pour un parti, c’est l’étranger, pour l’autre, le riche.
Raoul Hedebouw: Nous ne sommes pas un parti extrémiste. Que ce soit à Borgerhout ou à Zelzate : il n’y a pas de cordon sanitaire autour de nous. Et il n’y en a jamais eu. Le MR a gouverné avec le Parti communiste de Belgique (PCB) entre 1945 et 1946. Georges- Louis Bouchez est seulement en train de mettre en place un cordon sanitaire contre les partis de gauche.
Monsieur Bouchez, dans les entretiens avec vos partenaires de coalition, vous sentez que s’ils peuvent gouverner sans vous après 2024, ils le feront. Vous vous mettez tout le monde à dos et vous prenez constamment à partie les gouvernements dont vous faites partie.
Georges-Louis Bouchez : Mais allez. Il suffit de regarder la composition de l’hémicycle. La politique, ce sont des mathématiques. Il y a 150 sièges. Parmi ceux-ci, 30 ont déjà été pris par le Vlaams Belang et le PTB. Ce chiffre pourrait augmenter d’ici 2024 – espérons que ce ne sera pas le cas. En tout état de cause, une majorité de 75 doit donc être recherchée au sein de ces 120 sièges restants. Si la N-VA continue à dire « le confédéralisme ou rien », 25 autres sièges lui échapperont. Que reste-t-il ? La Vivaldi. Dans notre système de gouvernements de coalition, chacun essaie toujours de faire plaisir à l’autre. Pour moi, c’est différent. Je pointe toujours du doigt les problèmes. Au conseil communal de Mons, les réunions durent sans fin parce que je ne cesse de poser des questions. Si cela dérange les autres, qu’il en soit ainsi. Il en va de même au niveau fédéral. Si je n’avais pas insisté pour que les centrales nucléaires restent ouvertes plus longtemps, nous aurions déjà pu faire une croix sur le nucléaire aujourd’hui. De la même manière, je vais continuer à m’acharner sur les dossiers de la fiscalité, des retraites et du budget. En respectant l’accord de coalition.
Raoul Hedebouw: Vous alimentez la polarisation entre les riches et les pauvres dans la société. Vous qualifiez les syndicats de mafia.
Georges-Louis Bouchez : Ce n’est pas vrai. J’ai dit qu’ils avaient des pratiques du sud de l’Italie.
Raoul Hedebouw: Mais j’entends que Vivaldi II est déjà une affaire entendue?
Georges-Louis Bouchez: Ce n’est pas ce que je dis. Je dis qu’au bout de compte, tout dépend de Bart De Wever (N-VA). Il ne trouvera jamais une majorité pour son confédéralisme, donc à moins que Bart De Wever ne soit prêt à lâcher ce confédéralisme, nous nous retrouverons inévitablement avec une Vivaldi-bis après beaucoup de cinéma.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici