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Formation fédérale: entre Bart De Wever, Georges-Louis Bouchez et Conner Rousseau, l’Arizona sera un duel à trois (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les tensions, parfois scénarisées, entre Bart De Wever, Georges-Louis Bouchez et Conner Rousseau animeront la prochaine coalition fédérale. L’Arizona sera un duel à trois.

Le monde se divise en deux catégories. Ceux qui font un gouvernement, et ceux qui le défont. Lui, il le fait, eux, ils le défont, et Bart De Wever, président de la N-VA, avec Conner Rousseau, président de Vooruit, et Georges-Louis Bouchez, président du MR, se livrent à un duel à trois, comme dans une scène finale d’un western extended cut qui durera tout le temps de l’Arizona.

Lundi après-midi, le roi leur a donné trois jours pour s’entendre, en prolongeant la mission de formateur de Bart De Wever jusqu’à jeudi. Ce cliffhanger du jeudi 22 août ne sera qu’un épisode de trois jours, trois jours seulement, sur une saga prévue pour durer cinq ans.

Trois jours seulement, pas une semaine ou deux comme c’est généralement le cas lorsque le roi prolonge une mission: c’est le signe de l’épisodique. Bart De Wever étant occupé à faire un gouvernement, le roi a accédé à sa demande de raccourcir le délai, pour forcer ses deux antagonistes à s’entendre. Le roi le sait, Bart De Wever le sait, eux le savent, ils devront s’entendre tout en montrant qu’ils ne s’entendent pas, c’est comme ça dans un duel à trois où on fait des alliances sans le dire et où on fait mine de tirer sans le faire, sauf à la fin des fins, quand on n’a plus le choix, et que sa survie implique le trépas d’au moins un des deux autres.

On pourrait y trouver un bon, une brute et un truand, dans ce duel à trois dans l’Arizona, mais on ne le cherchera pas, parce que Le Vif n’est pas là pour faire des leçons de morale, et qu’on ne fait pas un bon western avec des bons sentiments.

On fait des alliances sans le dire et on fait mine de tirer sans le faire, sauf à la fin des fins, quand on n’a plus le choix.

Disons qu’il n’y a pas de bon, pas de brute et pas de truand, mais que les mots échangés dans la nuit de dimanche à lundi à la Chambre des représentants, entre Georges-Louis Bouchez et Conner Rousseau, puis entre Georges-Louis Bouchez et Bart De Wever, valent bien les meilleures insultes envoyées par Tuco Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez, dit «le Porc», à Blondin dans un chef-d’œuvre de Sergio Leone. Selon Het Nieuwsblad, le Montois a notamment traité l’Anversois, habitué à de plus spartiates incriminations, de «petit enfant». Alors comme l’Indien dans la scène finale de Et pour quelques dollars de plus, Bart De Wever a sorti sa montre à gousset, l’a ouverte, et une petite musique s’est mise à résonner, à l’adresse surtout de Georges-Louis Bouchez, «Quand la musique s’arrêtera, ramasse mon pistolet, et essaie de me tuer», il dit quand la petite musique commence, l’Indien.

Mais Georges-Louis Bouchez ne va pas essayer de tuer son homologue de la N-VA, qui n’essaiera pas de tuer son collègue de Vooruit, qui n’essaiera pas de tuer son rival du MR.

Aucun des trois n’a intérêt à tirer pour de bon maintenant.

D’ailleurs, il n’y a pas assez de différences sur le fond pour tirer à balles réelles. La première «supernota» de Bart De Wever, consacrée aux thématiques socioéconomiques (fiscalité, emploi, pensions, budget), contentait début août la N-VA, qui l’avait rédigée, le MR, qui s’en était réjoui parce qu’elle était fort de droite, mais pas Les Engagés, ni le CD&V, ni Vooruit, parce que la N-VA l’avait rédigée et parce qu’elle était fort de droite. La deuxième version de la «supernota» de Bart De Wever aussi. Sa troisième version, envoyée le 16 août, contenta la N-VA et le MR, mais aussi les centristes réunis, parce qu’ils avaient notamment obtenu que les quatre milliards d’économies dans les soins de santé contenues dans les deux versions précédentes disparaissent, mais mécontentait toujours Vooruit, car elle était toujours rédigée par la N-VA et fort de droite. La quatrième version, délivrée le 18 août par Bart De Wever, contentait la N-VA, les centristes réunis et Vooruit, qui avait obtenu que les plus gros patrimoines soient un peu plus mis à contribution que ce que les trois précédentes livraisons prévoyaient, mais elle mécontentait en retour le MR, qui n’avait plus rien obtenu, puisqu’il avait été d’accord dès le début car elle était fort de droite, et n’avait pas revendiqué grand-chose.

Trois symboles sans grande incidence que trois cow-boys peuvent brandir pour se toiser en se donnant l’air de dégainer.

Trop à gauche et trop déloyal

Il ne s’agissait pas de grand-chose non plus dans ces concessions de la quatrième «supernota», juste d’une très incertaine, très limitée et en fait très évitable taxe sur les plus-values de 10%, du maintien du précompte mobilier à 30% et de l’augmentation de la taxe sur les comptes-titres. Trois symboles sans grande incidence économique et budgétaire que trois cow-boys peuvent brandir pour se toiser en se donnant l’air de dégainer.

C’est un air qu’ils se donnent, un air de durs sous un air d’Ennio Morricone évidemment, parce qu’ils président leur parti comme ils font de la politique, en alignant les combats symboliques. Ils se positionnent et ils se montrent. Ils envoient des signaux. Ils racontent des histoires, sur eux et sur les autres. C’est pourquoi, au contraire de Tuco, quand il tue un manchot trop bavard dans Le Bon, la brute et le truand, et qu’il lui dit juste avant de tirer que «quand on tire, on raconte pas sa vie», Bart De Wever, Conner Rousseau et Georges-Louis Bouchez ont intérêt à beaucoup raconter leur vie politique avant de tirer le seul coup qui compte de leur duel à trois. Celui qui tuera.

En attendant le duel final, dans cinq ans normalement, les personnages sont déjà bien campés, parce qu’il y a des flash-back. Comme dans la scène de clôture de Le Bon, la brute et le truand revient la mélodie sortie de la montre à gousset de l’Indien de Et pour quelques dollars de plus, ils rejouent les scènes d’une vie politique précédente, sous le cadrage qui a fait ses preuves.

Le président des libéraux francophones Georges-Louis Bouchez, à qui ce rôle a merveilleusement profité pendant la Vivaldi, a déjà commencé à trouver ses partenaires de la coalition Arizona trop à gauche, en particulier Conner Rousseau, et à le faire habilement savoir. Dans les médias flamands et francophones, mais aussi au Vlaams Belang et dans ce qu’il reste de l’Open VLD, l’incident de la nuit de dimanche à lundi l’a réinstallé en intransigeant défenseur des classes possédantes, opposé à la création de nouveaux impôts contre la rage taxatoire, fût-elle cette fois l’apanage de partis avec lesquels le MR est normalement d’accord. Il peut le faire car les médias et ses nombreux électeurs l’y autorisent, ils le lui demandent même, et que comme Blondin cache la main avec laquelle il va tirer sous son poncho, Georges-Louis Bouchez peut laisser deviner l’hypothèse d’une menace. Car si les trois présidents se tirent dessus trop vite et trop fort, que l’Arizona n’advient pas parce que Conner Rousseau a l’air trop à gauche, que Bart De Wever échoue à cause de ça, Georges-Louis Bouchez pourra toujours essayer de recoller ce qui reste de l’Open VLD pour le substituer à Vooruit dans une majorité fédérale très restreinte, donc peu praticable (76 sièges à la Chambre sur 150 pour ce remake de la suédoise, contre 81 à l’Arizona), mais encore plus à droite. Et sans qu’il doive partager cette nouvelle affiche avec deux partenaires hostiles.

Le pistolet de Bart De Wever est presque déjà déchargé alors que son Arizona n’est même pas encore advenue.

«Toi, tu creuses»

Le président des socialistes flamands, Conner Rousseau, qui avait exploité le filon jusqu’à sa chute personnelle, soigne son retour sur scène en réincarnant une gauche qui ne dit pas trop son nom mais qui obtient des résultats concrets, en chasseur de primes pour les classes populaires, fût-ce au prix d’alliances avec des partis avec lesquels Vooruit est normalement en désaccord, et il a déjà commencé à trouver certains partenaires de la coalition Arizona trop déloyaux, spécialement Georges-Louis Bouchez, et à le faire habilement savoir. Il peut le faire car les médias et beaucoup d’électeurs, pas seulement de Vooruit, le croient, et que lui aussi laisse deviner une main menaçante sous un poncho sali. Car si les trois présidents se tirent dessus trop vite et trop fort, que l’Arizona n’advient pas parce que Georges-Louis Bouchez a l’air trop déloyal, que Bart De Wever échoue à cause de ça, Conner Rousseau pourra toujours essayer de recoller le Parti socialiste au pouvoir fédéral pour le substituer au MR dans une majorité moins à droite, donc peu concevable (à 78 sièges sur 150), mais d’apparence moins déloyale. Et sans qu’il doive faire signer ce nouveau script par deux stars déchues.

Le président des nationalistes flamands, Bart De Wever, se compose, lui, un rôle plus nouveau. Celui de l’autre catégorie du monde, celle qui fait des gouvernements, soucieux de contenir les quérulents élans de ses deux jeunes homologues, un qui est trop à gauche, un autre qui est trop déloyal. Il peut le faire car les médias et ses nombreux électeurs le croient encore, mais sans doute plus pour très longtemps, et ils sont déjà de moins en moins. Les scénarios alternatifs que tracent, au bout de leur menaçant canon, Georges-Louis Bouchez et Conner Rousseau, commencent déjà à trouver un certain écho. Chaque fuite dans les médias lui coûte une balle, à Bart De Wever, et il n’a donc déjà plus beaucoup de cartouches. Pourtant, elle va sûrement durer encore cinq ans, cette entêtante mélodie stéréophonique qui répétera que l’Arizona de Bart De Wever est trop à gauche et qu’elle est grevée par la déloyauté. «Tu vois, Tuco, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses», disait Blondin à la fin de Le Bon, la brute et le truand. Le pistolet de Bart De Wever est presque déjà déchargé alors que son Arizona n’est même pas encore advenue. Donc, il creuse.

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