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Mazout, pompes à chaleur, alimentation: quelle TVA avec l’Arizona? (et pourquoi De Wever a réduit ses ambitions à néant)
Dans son projet de réforme fiscale, l’Arizona ne toucherait que très peu aux taux de TVA réduits actuellement en vigueur. Un fameux désaveu pour le Premier ministre De Wever, qui espérait un tax shift d’ampleur. D’autant plus que là où ça bouge, c’est l’Europe qui dicte le ton…
Un grand rehaussement des taux réduits de TVA sur de nombreux biens: tel était l’objectif du formateur Bart De Wever (N-VA), qui voyait dans l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée le moyen idéal de compenser une baisse de l’impôt sur le travail.
La définition par excellence du vase communicant: ce qu’on ne prend plus d’un côté, on va le chercher de l’autre. Il n’en sera finalement rien. Les grandes lignes de l’accord de gouvernement ne dessinent en tout cas pas le grand tax shift annoncé. Elles laissent plutôt entrevoir de petits ajustements qui, en plus, sont pour la plupart dictés par l’Europe.
«Au regard de l’ambition initiale du formateur, les mesures en matière de TVA sont beaucoup moins impactantes que celles prévues à l’origine», remarque Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal (UCLouvain) et spécialiste de la TVA (Arteo Law).
Le plan de départ consistait en effet en la suppression de l’application de taux réduit à 6% sur certains biens, notamment alimentaires, pour y appliquer un taux (moins) réduit de 9%. «Cette mesure aurait eu un impact budgétaire important, sans toucher trop fortement aux prix pour le consommateur», estime l’expert fiscaliste. Mais, entre-temps, l’idée d’augmenter la taxe sur certaines denrées de base a fait jaser, et les ambitions du formateur ont été tuées dans l’œuf.
«Les taux réduits de TVA manquent leur objectif social»
L’immense majorité de la structure de l’impôt en matière de TVA est d’origine européenne, rappelle Edoardo Traversa. «Par exemple, les services de soins médicaux doivent être exonérés de TVA en raison d’une obligation européenne. En revanche, les Etats membres détiennent une marge de manœuvre importante pour définir les taux réduits.»
Selon les recommandations de diverses organisations internationales dont l’OCDE, il est préférable de limiter l’application des taux réduits de TVA, de manière à faire baisser davantage la fiscalité sur le travail. «Car les taux réduits de TVA manquent leur objectif social, avance Edoardo Traversa. On a tendance à entendre qu’ils sont très importants pour rendre des biens abordables. Le problème, c’est que le taux de TVA s’applique à tout le monde, et ne favorise donc pas la population fragilisée économiquement par rapport à la personne aisée», estime encore le fiscaliste. Des études montrent d’ailleurs que «les taux réduits de TVA avantagent principalement les consommateurs de produits chers et les personnes qui sont moins assujetties à l’impôt.»
Les taux réduits de TVA avantagent principalement les consommateurs de produits chers.
Edoardo Traversa
UCLouvain et Arteo Law
Limiter les taux réduits pour baisser de manière plus significative l’impôt sur les revenus du travail «semble dès lors être un exercice souhaitable dans le cadre d’une réforme fiscale ambitieuse», plaide le spécialiste, qui propose «des taux très réduits appliqués uniquement sur certains produits alimentaires, par exemple sur les denrées plus saines, non-transformées. Il y a certainement quelque chose à creuser de ce point de vue-là.»
TVA avec l’Arizona: les chaudières à gaz et à mazout dans le viseur, les pompes à chaleur favorisées
En l’attente d’un positionnement clair sur l’alimentaire, l’évolution la plus visible en matière de TVA concerne surtout les énergies fossiles. «Afin de stimuler un signal de prix, nous supprimons les taux de TVA réduits pour les produits non écologiques, peut-on lire dans l’accord. La TVA pour l’installation d’une chaudière à combustibles fossiles (gaz, mazout, etc.) sera augmentée de 6% à 21% dans le cadre d’une rénovation (pour les logements de plus de 10 ans). La TVA sur le charbon passe quant à elle de 12% à 21%», stipule le document.
Présenté comme une mesure propre à l’Arizona, ce changement de TVA sur les énergies polluantes découle en réalité d’une directive européenne. «Les Etats membres, d’ici 2030, ne pourront plus appliquer de taux réduits sur les énergies fossiles», confirme Edoardo Traversa. L’accord se garde de mentionner cette précision de taille…
Autre variation notoire: la réduction, cette fois, de la TVA à l’achat de pompes à chaleur. Celle-ci passe en effet de 21% à 6% pour les cinq prochaines années. «L’idée est ici de réduire la TVA sur certaines infrastructures considérées comme importantes pour limiter les émissions de CO2, et pour lesquelles le prix constitue encore un obstacle pour le consommateur.»
TVA avec l’Arizona: du changement pour la reconstruction d’une maison
Le gouvernement souhaite en outre élargir le champ d’application pour la démolition et la reconstruction (à 6% de TVA), avec maintien des avantages sociaux actuels. Le critère de superficie est renforcé de 200 à 175m². Edoardo Traversa explique: «Lorsque vous démolissez complètement une maison et que vous la reconstruisez, vous bénéficiez d’un taux réduit de TVA comme si vous la rénoviez. Or, construire du pur neuf est toujours soumis à un taux de TVA de 21%. La nouveauté, avec cet élargissement, est qu’on s’assure désormais que ce taux réduit soit applicable pour des démolitions-reconstructions qui remplissent les critères environnementaux.»
Un tax shift sur les produits énergétiques
Le gouvernement étudiera également «l’impact de l’introduction du système ETS2 et examinera les modalités d’un tax shift sur les produits énergétiques (électricité, gaz, mazout, …) afin qu’il puisse contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques», lit-on dans l’accord. «Le gouvernement mettra ensuite en œuvre ce tax shift sans augmenter la facture moyenne des ménages et des entreprises», promet-il.
L’idée d’un tax shift sur les produits énergétiques est étudiée depuis des années. En somme, elle vise à inciter la population à réaliser des investissements économiseurs en énergie, tout en limitant leur impact financier. «La réflexion globale est de faire payer moins d’accises sur la facture d’électricité, en compensant avec des accises plus élevées sur les énergies fossiles», résume Edoardo Traversa.
Dans l’absolu, ce shift ne changerait rien pour le consommateur… sauf pour celui qui investit dans des panneaux solaires ou une pompe à chaleur. «De sorte qu’une bonne partie du chauffage ne demande plus d’énergies fossiles, mais principalement de l’électricité. Grâce à ce tax shift, le consommateur qui a investi dans le renouvelable fera des économies.»
Le système ETS2, quant à lui, est aussi imposé par l’UE. Il imposera aux entreprises, dans certains secteurs, d’acheter des droits d’émission de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, l’Arizona dit plaider pour l’introduction d’une taxe sur le kérosène, reconnaissant «la nécessité urgente de rendre le secteur de l’aviation plus durable et de garantir une contribution juste aux objectifs climatiques (…), une mesure stimule également les investissements dans des technologies plus propres.»
TVA avec l’Arizona: faciliter les dons alimentaires
La lutte contre le gaspillage est un autre objectif affiché de l’Arizona en matière de TVA. Le gouvernement compte soutenir fiscalement les dons de biens à des personnes dans le besoin. «Le délai habituel de commercialisation du bien est expiré» sera assouplie, la règle des 15 jours sera remplacée et la liste des biens pouvant être donnés sera élargie.
Le don a un coût financier pour l’entreprise que la vente n’a pas. C’est un peu absurde.
Edoardo Traversa
UCLouvain et Arteo Law
Cette mesure aura «un impact social indéniable», juge Edoardo Traversa. Schématiquement, l’entreprise doit payer une TVA dès qu’un produit «sort» de son patrimoine. Lorsqu’elle le vend, elle reçoit la TVA payée par son client en compensation. Mais lorsqu’elle réalise un don, elle ne reçoit pas cette TVA en retour. «Quelque part, le don a un coût financier pour l’entreprise que la vente n’a pas. C’est un peu absurde. Il est donc intéressant de voir ce mécanisme à l’ordre du jour, afin que les entreprises du secteur alimentaire aient des possibilités plus larges en matière de dons.»
Covoiturage et vélo d’entreprise
Le SPF Finances publiera prochainement une circulaire concernant le droit forfaitaire à la déduction de la TVA sur les vélos d’entreprise à usage mixte. Les conditions d’accès à la déduction fiscale du covoiturage seront également examinées, «afin que tous les employés puissent en bénéficier et pas uniquement ceux d’entreprises qui l’organisent de manière formelle.»
«On voit que la mobilité d’entreprise reste un enjeu très sensible, commente le fiscaliste. A partir du moment où les avantages fiscaux des voitures de société sont difficilement remis en cause, le gouvernement tente également d’avantager les autres manières de se rendre au travail. Et de faire en sorte que les politiques de mobilité des entreprises ne soient pas uniquement dictées par l’avantage très -voire trop- considérable dédié aux véhicules de société.»
Déclaration en temps réel des factures et lutte contre la fraude
Pour lutter contre la fraude à la TVA, le gouvernement introduira à partir de 2028 la déclaration en temps réel des factures (real-time invoice reporting). «Cette règle est aussi d’origine européenne, rappelle Edoardo Traversa. L’idée, ici, est la mise en place d’un système qui transmet chaque facture TVA d’une entreprise à l’administration fiscale. Celle-ci sait dès lors précisément quelle TVA doit être versée.» Le second objectif est de développer les caisses blanches, c’est-à-dire les caisses enregistreuses connectées à l’administration «ce qui réduira sensiblement les obligations administratives en matière de TVA pour les entreprises», précise l’accord.
Vers une taxe digitale?
Petite nouveauté notable dans l’accord, enfin: l’évocation d’une possible taxe digitale (ce n’est pas une TVA, mais tout de même un impôt indirect). «Si aucun accord ne peut être trouvé au niveau européen, la Belgique instaurera une digitaxe, à savoir une taxe numérique», décrit le document. «Il sera intéressant de voir la forme que prendrait cette taxe sur les services numériques et qui sera concerné», se questionne Edoardo Traversa. «On pense par exemple à une taxe sur la publicité numérique (appliquée en Autriche), sur le stockage de données dans le cloud, ou sur les livraisons liées au e-commerce.»
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