Les sociétés de management dans le viseur du futur gouvernement: «Dès que les gens ont droit à des privilèges, ils ne veulent plus les abandonner»
De plus en plus de cadres salariés bien rémunérés optent pour le statut d’indépendant. En facturant par l’intermédiaire d’une société dite de management, ils paient beaucoup moins d’impôts. Le Conseil supérieur des finances demande une réforme du régime populaire. Le Formateur Bart De Wever (N-VA) a également proposé une adaptation dans sa dernière note. Mais son impact serait « très limité », estime le professeur de droit fiscal Luc De Broe (KU Leuven).
Quel est exactement le problème de ces sociétés de management?
Luc De Broe : Toute personne exerçant une activité indépendante en Belgique, qu’il s’agisse d’un jardinier, d’un avocat, d’un médecin ou d’un comptable, peut le faire sous la forme d’une entreprise individuelle ou d’une société. Lorsque des personnes travaillant comme managers, cadres ou administrateurs créent des sociétés de management comme alternative au statut de salarié, ils le font principalement pour bénéficier de taux d’imposition plus bas, sans avoir d’activité commerciale réelle.
En quoi le recours à une société de management peut se révéler abusive?
En ce qui concerne l’impôt sur le revenu des personnes physiques, vous payez 50 % d’impôts dès que votre revenu imposable dépasse 48.000 euros par an. Ceux qui facturent par l’intermédiaire d’une société de management ne paient jamais plus de 25 % d’impôt sur les sociétés. Les finances publiques perdent évidemment beaucoup de recettes.
En quoi les entreprises en profitent également?
Elles économisent sur les cotisations de sécurité sociale. Certaines entreprises belges s’adaptent facilement à ce système, contrairement aux filiales de multinationales américaines ou japonaises. Celles-ci ne connaissent pas ce système et le regardent avec de grands yeux.
Pas moins de 80.000 Belges travaillent par l’intermédiaire d’une société de management, un chiffre qui a doublé en cinq ans. Comment expliquer cette augmentation considérable?
Cette explosion est le résultat de trois réformes. Tout d’abord, en 2013, il y a eu la réduction du précompte mobilier. Depuis, il est fiscalement plus intéressant de retirer des bénéfices de sa société. Ensuite, le gouvernement Michel a introduit la réserve de liquidation, permettant aux indépendants qui cessent leur activité de se verser des dividendes sans devoir payer de précompte mobilier. Enfin, depuis la réforme du droit des sociétés en 2019, il n’est plus nécessaire d’avoir 18.550 euros de capital pour créer une société.
A cause de ce système, les finances publiques perdent manifestement beaucoup de revenus.
Luc De Broe
Si l’impôt sur les sociétés a baissé ces dernières années, ce n’est pas le cas de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Ce déséquilibre ne devrait-il pas être rétabli?
Le Conseil supérieur des finances plaide également en ce sens dans un rapport sur la «corporatisation» du travail qui doit être publié prochainement. Bien sûr, il y aura des protestations. Il est toujours délicat de reprendre à quelqu’un un avantage qui lui a été accordé. Ceux qui s’attaquent aux sociétés de gestion ne pourront pas le faire, à mon avis, sans également s’en prendre à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Le taux de 50 % ne pourra alors pas être maintenu.
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La dernière version de la supernote de Bart De Wever contient une proposition visant à s’attaquer aux sociétés de management. De quoi s’agit-il exactement?
Jusqu’à présent, une société de gestion est tenue de verser un salaire annuel de 45.000 euros à son directeur si elle veut bénéficier d’un taux d’imposition de 20 % au lieu de 25 %. Le salaire du gérant est imposé au taux le plus élevé de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Bart De Wever propose de porter ce montant à 50.000 euros et de l’indexer. Mais dans la pratique, cela ne changera pas grand-chose.
En soi, il est courageux de la part de Bart De Wever d’inclure cela dans sa note. Son propre électorat n’en a pas envie
Luc De Broe
Cette proposition a néanmoins suscité des vives réactions.
J’étais en vacances en France quand cette proposition a fuité dans la presse, mais j’ai entendu les cris d’alarme des fiscalistes jusque-là (rires). Dès que les gens ont droit à des privilèges, ils ne veulent plus les abandonner. Et plus les avantages sont grands, plus les barricades sont hautes.
Et vous, que pensez-vous de cette proposition?
C’est un premier pas dans la bonne direction, bien que, selon moi, le précompte mobilier réduit devra également être supprimé progressivement. Mais en soi, il est déjà courageux de la part de Bart De Wever d’inclure cela dans sa note. Son propre électorat n’en a pas envie.
Les systèmes en vigueur à l’étranger ont-ils des enseignements à apporter?
Ce système n’existe nulle part ailleurs. Nous sommes, à cet égard, une exception fiscalement créative. Il y a même des pays où le taux d’imposition pour les petites entreprises est plus élevé que pour les grandes sociétés, précisément pour éviter ce genre d’abus.
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