Nicolas De Decker
La certaine idée de Nicolas De Decker: quand les contribuables crient « Remboursez! » (chronique)
Mark Twain disait qu’il était beaucoup plus difficile de faire de la fiction que du reportage, parce qu’écrire une fiction obligeait à avoir l’air réaliste.
Mais depuis vingt mois, les rebondissements ridicules autour d’une réforme fiscale qu’on avait d’abord promis de ne pas mener parce que personne n’était d’accord, puis qu’on avait juré de faire aboutir parce que tout le monde était du même avis, a plus cassé le lien entre le réel et son récit que quarante ans des plus loufoques expérimentations narratives de Luis Buñuel.
Sa mise en scène? Lamentable, pleine de couacs et de faux raccords. Ses dialogues? A chier. Ses acteurs? Nuls, aucun n’est crédible. Son scénario? Encore pire! Personne ne peut y croire un instant. Ce sont, en particulier, les personnages et le scénario qui ont fait de cette triste saga de plus de deux ans un navet indigeste.
Les acteurs de cette réforme fiscale ont en effet été choisis sans rapport avec la moindre réalité sociale, et les personnages qu’ils campent n’ont aucune épaisseur:
– Les gens qui travaillent, d’abord, sont toujours les électeurs des partis qui les évoquent, qu’importe qu’ils travaillent vraiment, comme le ferait un indépendant, un fonctionnaire ou un salarié, ou pas, comme le ferait un allocataire ou un rentier. La critique l’a du reste peu remarqué tant la production en a rajouté sur les effets spéciaux, mais les travailleurs à temps partiel, principales victimes des pièges à l’emploi, qui sont les plus bas salaires et qui travaillent vraiment, ne seraient en fait pratiquement pas concernés par la piste la plus évoquée, la hausse de la quotité exemptée d’impôts.
– Les classes moyennes, ensuite, diffèrent selon le parti qui les place en haut de l’affiche, à tel point qu’aujourd’hui, le détenteur de comptes-titres de plus de 500 000 euros peut se sentir comme tout le monde alors que, selon ce que dit la Banque nationale, à peine un petit quart des Belges dispose d’un patrimoine supérieur à 500 000 euros. Inversement, le casting des épaules les plus larges, sur qui devraient peser les éventuels efforts de cette réforme, semble depuis quelques mois compter une série de petits pensionnés, de chômeurs, de malades et, même, d’acheteurs de biens de première nécessité, dont il a été envisagé d’augmenter la TVA.
Mais c’est surtout par le scénario que la réalisation perd la maigre crédibilité qu’auraient pu lui accorder quelques spectateurs distraits:
– Comment croire qu’un gouvernement qui promet une réforme fiscale peut s’engager à ne pas prendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre, alors que le principe même d’une réforme fiscale est de réagencer les recettes financières de l’entité donnée?
– Et puis, comment gober les as du storytelling qui répètent qu’une réforme fiscale ne peut pas se faire sans considérer le marché du travail tout en racontant qu’elle ne peut pas se faire en considérant la fiscalité sur le patrimoine?
Si bien qu’on se demande. Au fond, ne revendique-t-on pas déjà une réforme fiscale lorsque, une fois le rideau tombé, le générique terminé, les lumières rallumées, on crie «Remboursez!»?
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