Fiscalité: les failles révélatrices du registre luxembourgeois
L’enquête collaborative OpenLux, publiée par Le Soir, est intéressante à plus d’un titre. Elle met surtout en lumière le champ de concurrence fiscale laissé par l’interprétation, au niveau de chaque Etat, des textes internationaux sur la lutte contre la fraude. Un enjeu de taille.
La mise en ligne, depuis deux ans, du registre des bénéficiaires effectifs (RBE) de sociétés luxembourgeoises par les autorités grand-ducales vient de montrer tout son intérêt. Passé au crible par l’Organised crime and corruption reporting project (OCCRP), il révèle que, sur un peu plus de 140 000 sociétés actives enregistrées au Luxembourg, 11 300 d’entre elles comprennent au moins un bénéficiaire actif de nationalité belge. Après la France, il s’agit de la seconde nationalité étrangère la plus représentée dans ce registre UBO (ultimate beneficial owner), rendu obligatoire dans tous les Etats de l’UE (la première directive date de 2015) afin de mieux lutter notamment contre le blanchiment d’argent, y compris celui résultant de la fraude fiscale. La proportion de bénéficiaires belges n’est pas étonnant, vu la proximité géographique entre nos deux pays et les avantages fiscaux qu’offre encore et toujours le Luxembourg.
L’intérêt du travail de screening de l’enquête OpenLux porte aussi, et surtout, sur la manière dont le flambant neuf registre grand-ducal s’organise, dans la réalité. Entre autres constats : près de 30 % des sociétés n’ont pas déclaré leurs vrais bénéficiaires car la législation luxembourgeoise n’impose de déclarer son identité que si l’on détient plus de 25 % des parts de ladite société (il suffit que cinq personnes – éventuellement des hommes de pailles, parmi celles-ci – détiennent chacune 20 % des parts pour garder l’anonymat). Autre constat : selon les fichiers OpenLux, 18 % des sociétés luxembourgeoises n’étaient pas en ordre de déclaration fin 2020. Cela pose la question du contrôle des informations du registre RBE, que son directeur reconnaît lui-même être « sommaire », écrit Le Soir.
Marc Bourgeois (ULg): « Un enjeu majeur »
Pour le professeur Marc Bourgeois, spécialiste du droit fiscal à l’ULg, tout cela illustre l’enjeu des outils anti-blanchiment, anti-fraude fiscale ou anti-dispositifs abusifs pour éviter l’impôt, qui sont créés au niveau international (OCDE ou Union européenne, principalement) mais qui, au niveau des Etats, peuvent donner des interprétations diverses. « Sur le papier, ces mesures internationales sont très belles et montrent toute leur utilité, mais elles n’empêchent pas les compromis dans la transposition des textes au niveau national, explique le juriste. Dès lors, tout en manifestant de la bonne volonté en matière de transparence et de compliance, les Etats gardent une marge de manoeuvre souveraine dans l’interprétation des recommandations internationales ou des directives UE. La concurrence fiscale se joue désormais là-dessus. On le voit bien avec la règle des 25 % pour le registre luxembourgeois. »
Il peut donc y avoir des différences importantes d’un pays à l’autre dans l’interprétation, mais aussi dans l’application des mesures internationales. En effet, si celles-ci, une fois concrétisées, ne font l’objet d’aucun contrôle ou d’un contrôle « sommaire », elles risquent de n’être guère effectives. « La commission parlementaire Panama Papers (Ndlr : à laquelle le Pr Bourgeois a participé) avait déjà mis le doigt sur ces risques nouveaux de compétition fiscale entre Etats. C’est un enjeu majeur pour les années à venir ». Le Luxembourg a, en tout cas, bien compris l’importance des échappatoires qui lui sont laissées par les textes internationaux et n’hésite pas à en profiter, lui dont la stratégie économique reste basée, à long terme, sur les services financiers, les fonds d’investissements, etc. Mais il n’est pas le seul. Opérationnel depuis l’automne 2019, le registre UBO belge, par exemple, n’est pas sans reproche en matière d’accessibilité.
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