Comment léguer des tableaux, une cave à vin ou une forêt
Au-delà de l’aspect fiscal du leg des tableaux ou collections d’art, se posent les questions épineuses de leurs valeurs marchande et émotionnelle, de leur documentation et de leur conservation. Pour le vin ou les bois et forêt, c’est très différent.
Généralement, les notaires conseillent à leurs clients de donner de leur vivant tout ce qui s’emballe et s’emporte. C’est le cas de nombreux tableaux. «Evidemment, si c’est un Picasso, vous ne l’emmènerez pas simplement dans le coffre de votre voiture, mais une toile de moindre valeur depuis longtemps dans la famille, on la donne comme ça, observe la notaire ixelloise Sophie Maquet. Lorsqu’un client nous demande comment léguer un tableau à son enfant, nous lui suggérons de le lui donner de la main à la main ou de placer une lettre au dos du tableau, pour indiquer qu’il est pour lui. Les bijoux se transmettent aussi de cette façon.»
En revanche, pour une collection portant sur des valeurs élevées, rédiger un acte notarié de donation et l’enregistrer s’avérera utile. Même chose pour les collections de timbres. «C’est assez pragmatique, poursuit Me Maquet. Si vous avez une collection de croûtes, vous ne les assurez pas. Par contre, si la collection est assurée, l’administration fiscale en a connaissance. Vous n’aurez alors d’autre solution que de la déclarer, soit dans le cadre d’une succession, soit par le biais d’une donation mobilière, puisqu’il s’agit dans ce cas de biens meubles.»
La notaire se souvient d’un collectionneur qui possédait une large et magnifique collection d’antiquités et de couverts: «Ses héritiers ont tout donné à l’Etat belge afin de pouvoir payer les droits de succession.»
Christophe Veys, directeur du Centre de la gravure et de l’image imprimée à La Louvière, connaît bien le monde particulier des collectionneurs d’art. Il l’affirme tout de go, «il est très compliqué de parler succession avec eux, car poser cette question, c’est aborder celle de la mort. Souvent, une collection se constitue de façon un peu organique et se met en place progressivement.» L’historien de l’art constate aussi une transformation du milieu des collectionneurs: «La collection est devenue un phénomène de mode. Les gens achètent des œuvres d’art parce qu’ils ont envie d’appartenir à un groupe. Une profession, aussi, devient de plus en plus visible, celle de conseiller en collection, dont le public cible est composé de gens qui ont envie de diversifier leur portefeuille. Dans le cadre d’une vente publique autour de l’œuvre de Francis Bacon, les six derniers enchérisseurs qui se sont battus pour l’emporter ne connaissaient même pas l’artiste six mois auparavant!»
Quand le collectionneur a des enfants, il arrive que ceux-ci prennent la collection en grippe, ce qui peut faire craindre à son propriétaire qu’elle soit malmenée lors de la succession. Christophe Veys a connu une dame dont la collection fut mise en vente dans une mauvaise salle où les pièces sont parties à des prix bien en dessous de leur valeur. Un autre collectionneur, très attaché à ses objets, était terrifié à l’idée que ses héritiers jettent tout par méconnaissance de la cote de sa collection.
Certains choisissent dès lors de donner leur collection à des musées. En effet, si la loi accorde une protection à certains héritiers – le conjoint et les descendants – qui ne peuvent être privés de tout droit dans la succession, sous la forme d’une part réservataire, cette part est toutefois, aujourd’hui, due en valeur et non en nature. Il est donc possible de léguer son Magritte à un musée si la contre-valeur en argent se trouve dans la succession. Néanmoins, les héritiers pourraient aussi proposer à l’Etat de payer leurs droits de succession sous la forme de la cession d’un bien, qui aura été au préalable agréé par une commission ad hoc.
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Origine des pièces
Se pose cependant la question de l’origine des pièces. Pour les musées, comme pour tout acteur de ce milieu: marchand d’art, salle de vente, collectionneur… Autrefois, on pouvait invoquer le vieil adage «en fait de meubles, la possession vaut titre». Aujourd’hui, ce n’est plus possible, à la fois en raison de nouvelles règles législatives qui imposent de prouver l’origine des fonds en matière bancaire, mais aussi de nouvelles règles morales. On pourrait se demander, par exemple, si l’objet n’appartenait pas à une famille juive spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale.
Une situation similaire existe pour l’art premier africain. Depuis quelques mois, les objets en ivoire ne peuvent plus être négociés sans la production d’un certificat délivré par un organisme chargé de faire respecter la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Par ailleurs, si une pièce issue d’une collection est vendue en salle de vente, le banquier ne pourra encaisser l’argent que si un acte notarié de donation a été établi.
Un notaire collectionneur d’art, témoignant sous couvert d’anonymat, souligne qu’il est important de distinguer l’aspect civil de l’aspect fiscal. «Un confrère qui enregistre une déclaration de succession demandera si les biens immobiliers sont assurés contre l’incendie et demandera copie de la police d’assurance pour vérifier s’il s’y trouve une collection. Si c’est le cas, le notaire indiquera à son client l’obligation de déclarer cette collection et de payer l’impôt successoral. L’ aspect civil concerne le partage des biens entre les héritiers. Sur base de quelle valeur cela se fera-t-il? Moi qui ai de nombreuses œuvres et trois enfants, je n’aimerais pas qu’ils se disputent à leur sujet. Toute la difficulté est d’établir la valeur des objets d’une collection. Ce n’est pas parce qu’un objet n’a pas de valeur économique à un moment donné qu’il n’en acquerra pas ultérieurement. La plupart des artistes contemporains dont on achète les œuvres aujourd’hui seront complètement oubliés dans trente ans. Cela ne signifie pas que leur travail ne présente pas d’intérêt, mais que sur le marché, à ce moment-là, la valeur de l’objet est nulle. Pour établir la valeur d’une collection, et assurer sa transmission, la conservation de la documentation est importante: la facture d’achat, la correspondance échangée avec l’artiste, le bordereau de transport… Pour acheter, il faut acheter avec son cœur. Pour transmettre, il faut bien réfléchir avant.»
La Wallonie distingue le sol et les bois croissants
Parmi les personnes qui ont un patrimoine diversifié, certaines possèdent des terres, des prairies ou encore des bois ou des massifs forestiers. Renaud Grégoire, notaire à Moha, précise que ces bois ont des statuts différents selon la Région où ils sont situés. «En Wallonie, pour peu que vous y soyez domicilié, qu’il s’agisse de succession ou de donation, les bois croissants, c’est-à-dire ce qui sort du sol, ne sont pas taxés. L’explication est historique. Avant, pour payer les droits de succession, les propriétaires vendaient les bois coupés. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils plantaient des épicéas, parce qu’ils poussent vite et sont plus rapidement valorisables. Aujourd’hui, pour inciter les propriétaires à planter des espèces plus intéressantes – des feuillus –, la Wallonie exonère les bois croissants. Prenons l’exemple d’une terre de cent hectares sur laquelle vous avez une belle plantation de chênes ou de feuillus et qui vaut donc plusieurs centaines de milliers d’euros. Comme seul le sol est taxé et qu’il ne vaut, lui, que quelques milliers d’euros, vous payez beaucoup moins de droits de succession ou de donation. Mais cela ne vaut que pour le donateur ou le défunt domicilié en Wallonie. S’il est domicilié à Bruxelles, même si le bois est situé sur le territoire wallon, il se verra imposer le régime bruxellois, qui ne prévoit pas de telles exonérations sur les bois croissants. Quant aux bois situés en zone Natura 2000, comme vous avez des contraintes assez importantes en matière de gestion, vous ne payez ni droits de succession ni droits de donation sur la totalité, c’est-à-dire ni sur le sol ni sur le bois croissant.»
Entre amour des bon jus et placements juteux
La notaire Sophie Maquet a connu des bagarres épiques entre héritiers pour récupérer des grands crus dans la cave du défunt. Mais généralement, ces vins ne sont pas déclarés et sont bus. C’est moins vrai quand il s’agit de caves qui constituent des placements financiers purs et simples. Fin septembre, Phoenix Auction, une salle de ventes publiques située à Wavre, organisait en ligne des enchères pour 63 lots de vins. Parmi ceux-ci, une caisse de douze bouteilles du Domaine de la Romanée-Conti. «C’est le meilleur vin du monde, extrêmement rare. Surtout en Belgique», s’extasie Catherine Dessain, directrice de la salle de vente brabançonne.
«Dans ce cas précis, il s’agit d’une succession issue d’une cave intelligente, créée en guise d’investissement. Cela nécessite de prendre les meilleurs vins. Quand elle a acquis cette caisse de Romanée-Conti millésimé 1985, la personne ne s’est pas trompée. La caisse est scellée, numérotée et estimée entre 40 000 et 60 000 euros. Elle a été mise en cave en 1988 et n’en a plus bougé jusqu’au décès de son propriétaire. Je pense que le défunt n’a pas cherché à savoir ce que l’on ferait de ses flacons, mais qu’il avait confiance en la juste décision de l’héritier avec lequel il avait un lien affectif et de confiance. Je pense que l’héritier vend parce que cela ne l’intéresse pas ou pas autant que le défunt, mais pas pour payer les frais de succession.» Au moment de clôturer la rédaction de ce dossier, les enchères atteignaient 34 500 euros.
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