budget de l'Arizona
Le budget pour l’un, les finances pour l’autre: Vincent Van Peteghem (CD&V) et Jan Jambon (N-VA) auront fort à faire pour respecter les tableaux budgétaires élaborés par les négociateurs de l’Arizona. © BELGA

«Fantaisiste» ou «ambitieux»? Les milliards économisés dans le budget de l’Arizona ébaubissent

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le budget de l’Arizona promet un gros effort, mais il repose en grande partie sur les fameux effets retour, qui demeurent très incertains. L’opposition dégaine et les experts s’interrogent, face aux tableaux budgétaires. Le gouvernement, lui, réaffirme ses ambitions.

Les tableaux budgétaires, ces alignements de chiffres, ne sont pas nécessairement le sujet qui anime les conversations lorsque se forme un gouvernement. Ils constituent pourtant les projections sur lesquelles se fonderont les orientations de la coalition. Rien n’est peut-être plus rébarbatif que le budget de l’Arizona, mais rien n’est plus politique qu’un tel document.

A entendre une série d’économistes et les objections de l’opposition, les perspectives présentées dans le cadre du budget de l’Arizona semblent particulièrement optimistes, voire fantaisistes. Le gouvernement fédéral rétorque que les perspectives sont à la hauteur des ambitions, mais aussi de l’exigence d’assainissement budgétaire. Rendez-vous en fin de législature, pour faire les comptes.

Le refrain est connu depuis l’avènement de la coalition. Le fédéral se met au régime: un effort global de 23,3 milliards d’euros est consenti à l’horizon 2029, moyennant 18,1 milliards d’assainissement budgétaire, auxquels s’ajoutent 5,2 milliards de politiques nouvelles (dont 3,9 milliards pour la seule réforme fiscale).

Sans réelle prise de responsabilité, a justifié Bart De Wever (N-VA), le fédéral irait à la dérive, avec –à politique inchangée– un déficit menaçant de s’élever d’une vingtaine de milliards d’euros cette année au double (41,6 milliards) en fin de législature. Vertigineux. Ce premier constat, inquiétant, repose-t-il déjà sur du sable? A l’occasion des débats à la Chambre, le 6 février, un premier lièvre a été soulevé par l’extrême droite flamande, pour la petite histoire. A politique inchangée, le déficit de 2025, tel que présenté par le gouvernement aux députés, n’englobait pas celui de la sécurité sociale (274 millions) mais uniquement celui du pouvoir fédéral. Remarque justifiée, selon le ministre du Budget, Vincent Van Peteghem (CD&V). C’est ainsi qu’au moyen d’une adaptation des tableaux, ce montant est subitement passé de 20,240 milliards à 20,514 milliards d’euros le même jour en fin de soirée, quelques heures avant le vote de confiance au gouvernement. Soit.

Lorsqu’on établit des perspectives, «la marge d’incertitude est nécessairement importante, recadre Jean Hindriks, économiste à l’UCLouvain et fondateur de l’Itinera Institute. Beaucoup de choses peuvent se passer, les tarifs des opérations commerciales entre les Etats-Unis et l’Europe peuvent changer, un choc énergétique peut survenir, une pandémie, des délocalisations ou que sais-je?»

Effets retour dans le budget de l’Arizona: tour de passe-passe?

Pour autant, l’essentiel de l’épure est-il basé sur du vent, comme le laisse entendre l’opposition? «C’est énorme, c’est du jamais-vu, lâche d’emblée Alexia Bertrand (Open VLD), qui était encore secrétaire d’Etat au Budget au début du mois, désormais dans l’opposition. Deux tiers du budget de l’Arizona viennent de réformes structurelles. Et dans ces réformes, deux tiers proviennent d’effets retour.» Et la députée libérale de citer Gert Peersman, économiste à l’UGent, qui a eu quelques expressions médiatiques retentissantes dans la presse néerlandophone, en qualifiant «d’extrêmes» les effets retour attendus par le gouvernement.

Les effets retour sont, en résumé, les conséquences attendues de la mise en place de politiques. Les tableaux budgétaires reposent grandement sur des objectifs en matière d’emploi. L’idée consiste à atteindre un taux d’emploi de 80% en fin de législature, ce qui suppose la création de 550.000 postes environ.

Il apparaît que la majorité mise sur des économies à hauteur de 8,14 milliards d’euros à l’horizon 2029, sur les réformes du marché du travail, des pensions (ces deux volets représentent 5,1 milliards) et des allocations. Viennent s’y ajouter ce qu’il est convenu d’appeler, au sens strict, des effets retour sur l’augmentation du taux d’emploi, à savoir 1,58 milliard dès 2026, pour monter en puissance et atteindre 7,89 milliards à l’horizon 2029.

Est-ce largement surestimé? A la Chambre, les qualificatifs de «chimériques» et de «fantaisistes» ont fusé. Lorsque Le Vif interroge le ministre de l’Emploi, David Clarinval (MR), sur ce qui explique l’ampleur de ces effets, il renvoie logiquement vers celui «qui pilote le tableau budgétaire», à savoir le ministre du Budget de l’Arizona, Vincent Van Peteghem (CD&V).

«Le pari de l’Arizona est le bon pari. Les chiffres, on peut en discuter, mais la recette est la bonne.»

Budget de l’Arizona: «Oui, nous sommes ambitieux»

Ce dernier ne fournira pas davantage de détails, mettant en avant des objectifs de taux d’emploi très «ambitieux. Personne ne le nie, mais l’objectif  est légitime, compte tenu de l’ampleur de ce qui a été décidé dans l’accord de coalition». Les effets retour sont par conséquent «particulièrement ambitieux» eux aussi. «Il est du rôle du ministre du Budget de maintenir la barre haute en matière de réformes. Lors de chaque exercice budgétaire, l’ensemble du gouvernement aura pour mandat d’atteindre ces objectifs.» La détermination est de mise, assurément.

«En ce qui me concerne, je considère que le pari de l’Arizona est le bon pari. Les chiffres, on peut en discuter, mais la recette est la bonne», commente Henri Bogaert, directeur de recherche à l’UNamur et ancien directeur du Bureau fédéral du plan.

Les effets retour, donc. «Il faut d’abord signaler que lorsqu’on a décidé de faire passer le déficit en dessous de 3% du PIB, en votant le traité de Maastricht en 1992, on a essayé de ne pas tenir compte des effets retour. Ils sont toujours sujets à caution», poursuit l’économiste. «Les effets retour sont souvent employés pour renforcer une politique économique. Ici, ils sont un peu employés comme des éléments de garantie. La Commission européenne n’en tient en principe pas compte, mais le gouvernement connaît les règles», relève également Benoît Bayenet, professeur de finances publiques à l’ULB et président du Conseil central de l’économie. Voilà pour l’avertissement.

Henri Bogaert, l’ancien commissaire du Plan, explique que les effets retour positifs restent difficiles à évaluer, y compris pour le budget de l’Arizona. © BELGA

En économie, résume Henri Bogaert, les effets retour peuvent être de deux ordres. «Les effets négatifs, d’abord. Ils sont dus au fait qu’on va réduire le déficit, ce qui signifie qu’on aura moins d’impulsion budgétaire sur la croissance économique. Ce sont des effets keynesiens bien connus. On diminue les dépenses», par exemple des administrations publiques, ce qui impliquera un effet de baisse sur la demande. Il arrive en revanche que se produisent des effets de confiance, venant contrecarrer les effets négatifs. «C’est exactement ce qui s’est passé dans les années 1990, avec un déficit qui est passé de 7% à 3%. En 1993, la dette s’élevait à 135% du PIB et les taux d’épargne étaient très élevés, mais des effets relativement importants se sont produits, notamment avec une diminution de la propension à épargner. Pendant cette période de restriction, on a connu une bonne croissance

Difficile estimation

A côté des effets négatifs se produisent des effets positifs. «Là, ce sont des effets d’offre, typiquement des effets Arizona. On stimule les gens à retourner au travail, on prend des mesures sur le chômage, les pièges à l’emploi, le retour au travail des malades de longue durée, etc.» L’ensemble provoquera une série de conséquences sur l’économie. Quel est le problème? «On est très mal armés. Vraiment, les effets positifs sont très difficiles à mesurer. C’est de l’ordre du pari», avoue Henri Bogaert.

C’est justement ce caractère très hypothétique des 7,9 milliards d’effets retour du taux d’emploi, auxquels s’ajoutent les 5,1 milliards d’économies des réformes du marché du travail et des pensions, que pointe l’opposition, dès lors qu’une part très conséquente du budget de l’Arizona repose sur ces perspectives.

«Il existe des effets directs et indirects, détaille encore Bertrand Candelon, économiste à l’UCLouvain. Un effet direct, c’est par exemple le fait de ne plus payer de cotisations à un chômeur. Les effets indirects, on les estime sur base du fait que ce travailleur va payer des impôts, consommer, générer des recettes TVA. Tout cela provoque un mouvement circulaire et, in fine, des revenus pour l’Etat. Concernant les effets retour du nouveau gouvernement, je pense que tout le monde s’accorde sur le fait qu’ils semblent élevés.» «C’est optimiste, effectivement», confirme Benoît Bayenet. «On pourra parler d’approche ambitieuse, volontariste, reformule-t-il poliment, même s’il est difficile de se prononcer tant qu’on n’a pas tous les détails, avec les notes de politique générale des ministres, un avis de la Cour des comptes, un screening de la Commission européenne…»

«Où j’ai un problème, c’est qu’ils misent sur 7,9 milliards d’effets retour, plus cinq milliards dans le cadre des réformes. Ils comptent deux fois!»

Un taux d’emploi réaliste?

Dans l’opposition politique libérale, Alexia Bertrand, elle, évoque carrément des tableaux budgétaires «un peu au doigt mouillé». Elle en veut pour preuve une déclaration de Georges-Louis Bouchez (MR) dans les colonnes de L’Echo,  le 8 février, qui croit volontiers que les réformes diverses produiront une amélioration des finances publiques. Et d’ajouter à propos des 7,9 milliards d’effets retour, dans la foulée que «si cela se trouve, on aura dix milliards d’effets retour, ou bien que cinq. Beaucoup de choses peuvent changer.» «Dans ses calculs, le Bureau du plan table généralement sur un montant de 28.000 euros par emploi créé, en matière d’effets retour. Ici, le gouvernement a une approche plus prudente, de l’ordre de 23.000 euros, relève Alexia Bertrand. Je n’ai pas de problème avec cela. La première question est de savoir s’ils atteindront les objectifs de création d’emplois. Et là où j’ai un problème, c’est sur le fait qu’ils misent sur 7,9 milliards d’effets retour et, en plus de cela, plus de cinq milliards dans le cadre des réformes. Ils comptent deux fois.»

Du côté socialiste, on dézingue aussi le budget de l’Arizona. Frédéric Daerden a pour sa part évoqué à la Chambre «une supercherie», considérant que dans les tableaux budgétaires, «8,8 milliards sont non financés en 2029. Des effets retour sont attendus pour 7,8 milliards et il y a une neutralisation de dépenses, notamment en matière de Défense, pour presque un milliard. Plus d’un tiers de l’épure n’est pas financé.»

Alexia Bertrand (Open VLD), l’ancienne secrétaire d’Etat au Budget, désormais dans l’opposition, n’est guère convaincue par les tableaux budgétaires du nouveau gouvernement. © BELGA

Au cœur des interrogations figure évidemment l’objectif de taux d’emploi à 80% en fin de législature, un mantra pour l’Arizona, une chimère pour bien d’autres. Le taux d’emploi se chiffrait à 72,3% à la fin de l’année 2024, avec de fortes disparités régionales: 76,3% en Flandre, respectivement 67,6% en Wallonie et 65,4% à Bruxelles. «Il va falloir sérieusement se mettre en mouvement dans deux des trois Régions si on veut atteindre les objectifs», résume Jean Hindriks. C’est peu de le dire.

Dans ses perspectives économiques, le Bureau du plan prévoit un taux d’emploi de 74,1% en 2029, soit sensiblement moins que dans les ambitions affichées par l’Arizona. Mais ce pourcentage est établi «à politique inchangée», insiste bien le ministre du Budget de l’Arizona, Vincent Van Peteghem. L’objectif consiste bien à mettre en œuvre l’ensemble des réformes pour atteindre les 80%, ce qui implique la création de 550.000 emplois, selon David Clarinval. Du jamais-vu, sur une législature.

Les effets de l’augmentation du taux d’emploi sont loin d’être les seules lignes des tableaux budgétaires qui suscitent des interrogations.

D’autres incertitudes sur le budget de l’Arizona

Une tuile, tout d’abord, s’est présentée. Le volet «contribution des épaules les plus larges» représente un apport de 685 millions dès cette année, mais 2,27 milliards en 2029. Cela comprend l’extinction complète de la déduction des intérêts des prêts pour l’acquisition de résidences secondaires, censées rapporter 210 millions chaque année. Mais, contrairement à ce qui figure dans les tableaux, il ne faudra pas compter sur ce montant en 2025. Voilà une première brèche à colmater, dès le prochain ajustement budgétaire.

Dans ce même volet figure la médiatique taxe de 10% sur les plus-values, officiellement baptisée «contribution de solidarité». «J’ai cru comprendre que l’accord n’avait pas l’air d’avoir été matérialisé jusqu’au bout», glisse Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULiège. De fait, quelques divergences sont apparues dans la majorité entre le président du MR, d’un côté, et ses partenaires, de l’autre, le libéral suggérant l’existence de notes établies durant les négociations, assurant que les détenteurs d’actions depuis plus de dix ans seraient dispensés de cette taxe. Affaire à suivre.

En attendant, il convient de rester prudent sur le rendement exact de ce type de taxes. «Tant qu’on n’a pas les textes et sans savoir comment ce régime de taxation se combinera avec les autres», prévient Marc Bourgeois. S’y ajoute «la question de la dynamique des comportements. On va taxer les cryptomonnaies, par exemple. Quelles seront les réactions? Certaines personnes qui bénéficient du régime belge délocaliseront-elles leurs activités?»

Il existe des prévisions, bien sûr, mais aussi beaucoup d’incertitudes, confirme Bertrand Candelon. «Les projections sont faites à rendement constant. Or, le rendement devient plus faible lorsque le taux d’imposition est plus élevé», c’est ce qu’on appelle, dans le jargon, «la courbe de Laffer». Pour illustrer son propos, l’expert en finances cite l’exemple des hausses d’accises sur le tabac ou l’alcool. A trop augmenter la taxation, le risque existe de provoquer un accroissement des achats à l’étranger –au Luxembourg, par exemple– si bien que le rendement n’est pas à la hauteur des attentes.

La ventilation de certaines économies au fil du temps est un autre point d’attention, soulevé par un opposant politique cette fois. «Ils veulent augmenter le taux d’emploi de 2% par année, ce qui est déjà très optimiste. Mais en plus, ils attendent des rentrées élevées dès 2026 ou 2027. En soi, je n’ai rien contre certaines de ces réformes, mais elles ne produiront pas leurs effets avant 2028 ou 2029», avertit le député Vincent Van Quickenborne (Open VLD).

«J’ai l’impression qu’ils jouent au lasso, en attrapant des montants qui font bonne impression.»

«Va-t-on vendre des prisons?»

Celui qui fut ministre de la Justice sous la Vivaldi ne mâche pas ses mots. «C’est de la poudre aux yeux», assène le Courtraisien. Il vise une autre batterie de mesures qui entrent tantôt dans la catégorie des réductions de subventions et contributions, tantôt dans celle de l’allègement des pouvoirs publics. «Là, j’ai l’impression qu’ils jouent au lasso, en attrapant des montants qui font bonne impression pour boucler leur budget: 250 millions par-ci, 150 millions par-là, etc.» Il vise notamment les économies sur la régie des bâtiments (25 millions dès 2025, pour atteindre 250 millions en 2029), le gestionnaire immobilier du fédéral. «La dotation de la régie est de l’ordre de 900 millions. Et on va tailler 250 millions dans ce montant? Ce n’est pas sérieux. On va vendre des prisons? Des musées? Des palais de justice?», ironise-t-il.

D’autres économies le rendent sceptique, dans la SNCB, sous contrat de gestion, ou dans l’administration fédérale. «A moins d’importer DOGE (NDLR: le département d’efficacité gouvernementale américain) en Belgique, je ne vois pas comment ils vont y parvenir», lâche Vincent Van Quickenborne, faisant allusion à l’approche pour le moins radicale défendue par Elon Musk, de l’autre côté de l’Atlantique.

On n’en est pas là. Cela n’empêche ni l’opposition de dégainer ni des experts en finances publiques de s’interroger sur la robustesse de l’effort budgétaire annoncé. Il faudra essuyer les plâtres, si d’aventure les économies annoncées ne se matérialisaient pas. C’est-à-dire trouver l’argent quelque part. «Moi, j’ai bien ma petite idée. Je pense que c’est la réforme fiscale qui en fera les frais», redoute Vincent Van Quickenborne, qui fut sous la Vivaldi le collègue de gouvernement de quelques ministres figurant aujourd’hui dans sa ligne de mire.

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