Exit le woke, place à la prospérité: le virage politique de Bart De Wever
Pendant sept minutes, Bart De Wever explique dans une vidéo ce que la N-VA souhaite pour la Flandre: un programme économique intitulé « Pour la prospérité flamande ». Exit le concept de « woke ».
Evidemment, la N-VA a laissé à Bart De Wever le soin de lancer la campagne pour les élections parlementaires du 9 juin 2024. Le plus grand parti du pays (en termes de sièges et de votes, même s’il n’est plus en tête dans les sondages) brandit le slogan : « Pour la prospérité flamande ». Et n’évoque plus la notion de woke.
C’est une variante du message qui a permis à la N-VA de faire sa percée politique historique en 2010, lorsque le jeune Bart De Wever et ses bouillants camarades de la N-VA distribuaient des billets de banque près de l’ascenseur à bateaux de Strépy : l’indépendance flamande était une question d’argent. Le récit socio-économique était au centre, avec des slogans provocateurs tels que « Voka est mon patron ».
Les francophones bloquent l’agenda socio-économique
Pour prospérer, la Flandre doit devenir plus indépendante, car en Belgique, les francophones bloquent l’agenda socio-économique de l’aile droite flamande. Le nouveau programme de la N-VA affirme qu’il ne s’agit pas simplement l’économie au sens strict. C’est aussi la base, sinon la condition préalable, pour parvenir à une Flandre chaleureuse, prospère et sûre : « Que ce soit pour des investissements dans nos soins de santé, nos pensions, notre infrastructure, notre approvisionnement énergétique ou pour une politique de sécurité et d’immigration plus stricte : il faut créer suffisamment de prospérité pour financer tout cela. »
Quatre cents affiches sur des panneaux publicitaires commerciaux, près de cinq mille panneaux de jardin et banderoles, ainsi que des publicités numériques sur les sites web de journaux et les réseaux sociaux sont censés convaincre les Flamands de la « nouvelle » orientation de la N-VA. C’est pourquoi, sous le logo du parti, on voit apparaître une nouvelle ligne directrice: « Pour la Flandre. Pour la prospérité. »
Où passé est le « woke » ?
Si Bart De Wever et la N-VA s’efforcent autant de promouvoir ce nouveau message, c’est évidemment lié à l’autre message qu’il a essayé de vendre en 2022 et au début de 2023 : que le woke est le grand danger qui menace notre pays et notre identité. Bart De Wever a organisé une tournée dans toutes les villes universitaires flamandes sur le thème du « woke ». Renforcé par « les nombreuses réactions négatives » (comme il le dit lui-même), il a même développé ses idées dans un petit livre au titre percutant: Woke (Kennes Editions).
Bart De Wever devait absolument convaincre la Flandre du grand danger que représente le woke. Pendant des mois, il n’avait que ce mot à la bouche. Toute la N-VA devait s’y conformer. La ministre flamande de l’Environnement Zuhal Demir a même appliqué la rhétorique woke au débat sur le climat. « Woke, woker, wokest. La semaine dernière, un ‘vieil homme blanc hétéro’ n’avait même pas le droit d’avoir une opinion sur le climat. Où allons-nous ? »
Bart De Wever a même engagé une guerre verbale ouverte avec les universités flamandes et l’élite intellectuelle, y compris les artistes et les médias. Par sa langue acérée et son point de vue unilatéral, il s’est presque rangé du côté anti-système, et particulièrement du côté droit de celui-ci.
Ce livre a fait de la N-VA un parti dogmatique. Dans Woke, De Wever déclare peu ou prou que la liberté d’expression est sacrée. Mais lorsque, ces dernières semaines, des ONG flamandes ont osé plaider en faveur de plus de solidarité et de compréhension pour la cause palestinienne, le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) a immédiatement menacé de leur retirer leurs subventions.
Le woke est devenu un écran de fumée pour sanctifier ses propres sympathies et condamner tout le reste. Que Bart De Wever lui-même ait parfois franchi des limites est évident, comme l’illustre la citation suivante (page 130) : « Je ne pense pas que ce soit par mentalité coloniale que le jury du prix Nobel a déjà attribué plus de prix Nobel aux Israéliens qu’à l’ensemble de la population du monde arabe. » Comment interpréter cette phrase autrement que comme un mépris pour une « culture arriérée » ?
L’effet Marrakech
Plusieurs membres du parti, y compris de l’aile droite, ont soulevé des questions sur la stratégie de leur président. Ils craignaient un nouvel effet Marrakech : si Bart De Wever pouvait réellement mobiliser les Flamands contre le grand danger du woke, cette mobilisation se traduirait une fois de plus par une campagne basée sur la peur de « l’étranger » et la colère envers les forces anti-occidentales. Ce qui jouerait de nouveau en faveur du Vlaams Belang, de plus en plus radical et dur.
Le Vlaams Belang est en tête des sondages depuis un certain temps maintenant. Bien que scientifiquement ils ne représentent pas grand-chose, politiquement ils sont très importants. Et comme les partis politiques, en particulier la N-VA en tant que plus grande formation, roulent sur l’or, ils n’hésitent pas à dépenser des sommes considérables pour des sondages internes prétendument secrets. Sans aucun doute, il a dû ressortir de là que la N-VA ferait mieux de ne plus mettre l’accent sur le woke. Fin de l’histoire.
Ensuite, Bart De Wever a bu la coupe. En tant que figure de proue de la nouvelle campagne, il présente au potentiel électeur de la N-VA le nouveau « message clé » dans un message vidéo : « Quatre principes directeurs pour la prospérité flamande ». En néerlandais, cela sonne ainsi : « La première règle est peut-être la plus importante : équilibrer le budget. » Tout le discours dure sept minutes et huit secondes. Pas une seule fois, il ne prononce le mot woke. De Wever a refermé son livre.
Le nouveau CVP
En échangeant le discours anti-woke contre une analyse socio-économique, Bart De Wever positionne son parti de l’autre côté de l’échiquier politique : le parti anti-système devient un parti de gouvernement. Il se joint ainsi à un nationalisme flamand pragmatique autrefois prôné par les premiers dirigeants du gouvernement flamand, initialement appelé « exécutif ». Ces dirigeants étaient principalement des démocrates-chrétiens : Gaston Geens (1981-1992), Luc Van den Brande (1992-1999) et Yves Leterme (2004-2007).
La N-VA s’aventure donc dans le marécage du centre politique et le fait en ayant une confiance totale dans la boussole du président Bart De Wever. « Le chemin est long, le guide expérimenté », se vantait déjà Jean-Luc Dehaene (CVP) il y a trente ans. Dans ce sens, ce changement de cap illustre comment la N-VA, en tant que principal parti politique flamand, tente d’imiter le nouveau CVP.
Il y a de bonnes raisons pour un parti nationaliste flamand de le faire. Feu Gaston Geens (1931-2002) a écrit en 1987 le petit livre Op eigen kracht. Richting geven aan Vlaanderen (Par nos propres moyens. Donner une direction à la Flandre). Le deuxième chapitre (crucial) s’intitule: Wat we zelf doen, doen we beter (Ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux). C’est ce que promet encore aujourd’hui le nouveau programme de la N-VA. Qui place Bart De Wever sur le terrain de l’Open VLD et du CD&V, ses partenaires de coalition flamands.
Il y a donc du pain sur la planche, car le gouvernement flamand de Jan Jambon est à peu près aussi mal en point que le gouvernement fédéral Vivaldi. Seulement, la formation du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) traverse une crise existentielle, et celle du ministre-président flamand n’en est pas (encore) là. Mais si quelqu’un a donné un coup de pouce significatif aux Flamands épargnants, c’est bien le ministre fédéral des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V).
Le Flamand qui travaille dur
En même temps, le gouvernement flamand souffre d’une image très hybride. Prenez par exemple l’édition du quotidien De Tijd de lundi, qui relaie la nouvelle campagne de De Wever. Cet article intitulé “De Wever joue la sécurité en pré-campagne” (page 9) était juste à côté de l’information: « Le plan climat belge n’est pas prêt à temps en raison du conflit entre les écologistes et Demir »/ « Si Demir faisait simplement son travail, ce ne serait même pas un sujet de discussion (page 8) ». Le principal journal économique flamand suggère-t-il que Zuhal Demir aurait peut-être été un peu paresseuse, ou négligente?
En la première page, De Tijd annonçait la nouvelle que, après la construction neuve, le marché de la rénovation est également en baisse : 30 % de crédits en moins et 16 % de permis en moins pour la rénovation. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le Flamand moyen qui a une brique dans le ventre.
Mener une campagne est une chose, convaincre l’électeur en est une autre. Jusqu’en juin 2024, le service de propagande du parti du travailleur flamand n’aura donc que peu de répit.
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