Il a pleuré Alexander De Croo, le 9 juin, pleuré parce qu’il était triste, mais aussi parce qu’il était frustré. © BELGA

Exil international ou repli sur Brakel? Comment Alexander De Croo doit trancher son destin personnel

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Alexander De Croo, en vacances et en affaires courantes, passe son dernier été comme Premier ministre. Il a presque tout perdu, politiquement, depuis le 9 juin. Mais il garde les élections communales en point de mire…

Il est en vacances depuis quelques heures. Son esprit vaque depuis deux mois. Alexander De Croo est entré dans l’histoire par le mauvais côté, le 9 juin, mais il est toujours Premier ministre du royaume de Belgique. Le soir des élections, sur l’estrade dressée par son parti déconfit, il a pleuré, son parti l’a applaudi mais son parti continue cet été de se défaire de lui, et de se déchirer.

Il a pleuré Alexander De Croo, le 9 juin, pleuré parce qu’il était triste, mais aussi parce qu’il était frustré. Son parti, l’Open VLD, a perdu 200.000 voix entre 2024 et 2019, et est passé de douze à seulement sept sièges à la Chambre, mais Alexander De Croo était censé le sauver. Plus précisément, sa popularité personnelle de Premier ministre était censée le sauver, puisque les sondages qui tous promettaient le pire à l’Open VLD garantissaient le meilleur à Alexander De Croo, et que l’Open VLD comme Alexander De Croo espéraient en profiter. Mais Alexander De Croo a perdu 20.000 voix de préférence entre 2024 et 2019. Dans sa circonscription de Flandre-Orientale, Alexander De Croo a été dépassé en voix de préférence par une écologiste, Petra De Sutter, et presque égalé par la terne cheffe de groupe du Vlaams Belang à la Chambre, Barbara Pas. Et l’Open VLD y a perdu deux sièges.

Sa popularité personnelle, dans les sondages, il la voyait comme une gratification de son peuple, qui lui savait gré d’avoir sauvé la Belgique des crises, enfin de l’en avoir mieux sortie que ses voisins. De celle du coronavirus d’abord, puisque la première vague de la pandémie avait été catastrophiquement gérée, mais que la seconde et ses suites avaient beaucoup plus honorablement qu’ailleurs redressé le tir. De celle de l’énergie ensuite, puisque le revenu des Belges, dont celui des plus pauvres, a été plus sérieusement protégé qu’ailleurs.

Triste et frustré

Refinancer les soins de santé et préserver le pouvoir d’achat grâce à l’indexation et à des mesures sociales soigne un bilan et sauve peut-être un pays des crises, mais cela ne fait pas gagner les élections et cela fait grimper les déficits. D’ailleurs, depuis le refuge climatisé du 16, rue de la Loi, Alexander De Croo voit s’installer un gouvernement composé de gagnants des élections, qui promet de faire baisser les déficits mais qui n’ose trop rien dire du financement des soins de santé et de la protection du pouvoir d’achat par l’indexation.

Ainsi Alexander De Croo était censé sauver sa peau, sauver son parti et sauver son pays, il ne l’a pas fait et c’est pour ça qu’il n’est pas seulement triste à pleurer, mais que c’est aussi parce qu’il est frustré, qu’il a pleuré, Alexander De Croo.

C’est une défaite absolue, personnelle et collective dans les faits, nationale dans sa tête. Alexander De Croo passe cet été comme le perdant absolu de l’histoire politique belge. Et il y a de quoi y laisser vaquer son esprit. Sur son destin à lui, sur celui de son parti, et peut-être sur celui de son pays.

C’est ainsi qu’il traverse son été. En attendant une crise, peut-être, mais en sachant que sa vie, le plus sûrement, va changer à jamais. Il a pu un peu mobiliser de sa déclinante énergie autour de la fermeture d’Audi à Forest, mais c’était bien peu de choses, quand on a traversé le coronavirus, l’Ukraine ou la démission d’une secrétaire d’Etat parce qu’on avait imprimé son logo sur des affiches. Et puis, quand une usine ferme en Wallonie ou à Bruxelles, c’est souvent la faute des gouvernements régionaux, voire des collèges communaux, et Audi, c’est en Région bruxelloise. Il n’y a que quand elle ferme en Flandre que le débat public se focalise sur la responsabilité du gouvernement fédéral. Alexander De Croo, ensuite, a pu prêter serment à la Chambre, le 16 juillet, plus tard que ses nouveaux collègues députés, parce qu’il était occupé à Londres pour un sommet le 10 juillet, jour de la prestation de serment de tous les autres.

Il redeviendra normalement, peut-être, un député ordinaire, à la rentrée, quand son successeur sera installé –Bart De Wever a promis ça pour le 20 septembre. En attendant, Alexander De Croo a pu aller faire un tour comme tout le monde, enfin comme tous les gens de son rang, à Spa Francorchamps, visiter le paddock et féliciter le vainqueur du Grand Prix de Formule 1. Et Alexander De Croo aussi s’est pas mal déplacé à Paris puisque, comme tous les gens de son rang, il honore de son statut les Jeux olympiques organisés par nos voisins français. Avec son épouse et un de ses fils, il a même été invité à dîner à l’Elysée, où le couple Macron avait soigneusement sélectionné ses commensaux, seuls une quinzaine de dirigeants amis y étant conviés.

La photo prise sur le tapis rouge lui montre un regard vacant. Il a suivi la longue cérémonie d’ouverture, toujours en famille et comme toutes les personnes de son rang. Comme elles, il était sous la pluie, et beaucoup plus qu’elles, on a vu son regard encore vacataire transpercer les éléments. Ces heureuses obligations menées si tristement, il reste en fait peu de choses à Alexander De Croo, en affaires courantes, sans crise à devoir gérer, et en pleine pause de l’après-21-Juillet.

Refinancer les soins de santé et préserver le pouvoir d’achat sauve peut-être un pays des crises mais ne fait pas gagner les élections.

On peut donc dire sans mentir qu’Alexander De Croo n’a pas fait grand-chose de son été, et même qu’en ce moment il ne fait rien. Là il est officiellement en vacances et il reviendra dans dix jours. Il en saura plus sur ce qu’il va devenir, plutôt sur ce qu’il peut devenir.

Il a déjà prêté serment à la Chambre, il sait qu’il pourra siéger encore cinq ans. Mais pour quoi faire? Espérer que d’ici là, avec le contraste politique qu’annonce l’alternance fédérale, la Vivaldi ne soit plus un gros mot, et que son nom propre perde sa coûteuse connotation commune en Flandre, abîmé qu’il a été par cinq ans d’accusations de trahison, de gauchisme ou de soumission aux diktats wallons? Et alors revenir au coeur du pouvoir, dans son parti requinqué ou dans un autre, incarnation d’une sympathie renouvelée par l’expérience de l’opposition digne?

Ou bien s’éloigner un peu du jeu, tirer une leçon morale de la défaite, et tenter de peser sur le débat public, en conscience, lui, le libéral du grand monde, ouvert à l’international, féministe à sa manière, pas rigide sur l’islam? Ceux qui pensent pour lui, et parfois avec lui, résument l’alternative que pourrait lui présenter son destin comme un choix entre une deuxième vie de David Cameron ou une seconde carrière d’Al Gore. Le premier avait perdu un scrutin par sa faute, avait quitté son poste de Premier ministre, puis s’était imposé une discrétion longue qui le légitima comme ministre des Affaires étrangères sur le retour, garant d’une certaine pondération. Le second avait perdu des élections par la faute du système électoral, avait quitté son bureau de vice-président, et avait ensuite couru le monde pour alerter contre le dérèglement climatique, avec le succès populaire et l’insuccès pratique que l’on connaît.

Alexander De Croo: exil ou repli?

Il fut, un peu avant et un peu après les élections du 9 juin, candidat à une fonction à l’international. Il se montra intéressé par le poste de représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, mais ne l’obtint pas, et son nom circule tout de même encore, de moins en moins fort (pourquoi ses successeurs lui feraient-ils ce cadeau?), comme commissaire européen, que la prochaine majorité fédérale devra désigner tout bientôt. La probabilité qu’Alexander De Croo s’exile après ses vacances est très faible. Celle du repli municipal, en revanche, est élevée, elle est même assumée. Alexander De Croo sera en effet tête de liste le 13 octobre à Brakel, la commune des Ardennes flamandes dont ce dynaste libéral fut, comme son père, bourgmestre. Et c’est bien parti mais pas aussi sûr que ça aurait pu l’être ces 50 dernières années, là-bas dans le domanial municipe des De Croo. Le 9 juin dernier, sa défaite absolue, personnelle et collective dans les faits, nationale dans sa tête, avait aussi été locale dans le coeur d’Alexander De Croo puisque, pour la première fois depuis des décennies, les libéraux flamands, devancés par le Vlaams Belang, n’étaient pas arrivés premiers sur le territoire communal.

Il se voyait possible Premier ministre, peut-être à l’Otan ou à la Commission européenne, au pire ministre des Affaires étrangères; Alexander De Croo sera donc, si tout se passe bien pour lui, sur les bancs de l’opposition à la Chambre et donc député-bourgmestre de Brakel à l’automne. Il souhaite aussi se faire élire, par les membres de l’Open VLD, au bureau de son parti, qui sera renouvelé avec la présidence à la rentrée. Huit candidats se sont déclarés. Alexander De Croo ne s’est prononcé en faveur d’aucun, et dans les huit candidats, aucun ne se revendique prioritairement de son sillage. Il y en a même une majorité qui s’en défient, qui trouvent que la décision, prise par Tom Ongena, le président démissionnaire, de faire le choix de l’opposition après la déculottée, était précipité. Par les larmes du Premier qui passe son dernier été à laisser vaquer son esprit.

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