Elections européennes: pourquoi la macronie n’est pas sûre de pouvoir «sauver les meubles»
Entre Jordan Bardella, du Rassemblement national, solide favori, et Raphaël Glucksmann, du Parti socialiste-Place publique, challenger surprise, Valérie Hayer doit éviter un échec douloureux.
Dans le sport le plus populaire au monde, c’est ce qu’on appelle le «football panique»: dans les dernières minutes d’un match, balancer des ballons longs et décocher des tirs de loin en espérant que, sur une erreur défensive ou une déviation, le gardien adverse soit trompé, le tout pour éviter une élimination et un naufrage. Alors qu’on sait fondamentalement qu’une action construite, style Courtois-De Bruyne-Meunier-esquive de Lukaku pour Chadli-goal-«je l’ai dit, bordel!» contre le Japon en Russie en 2018, serait plus efficace. Sauf que quand la panique domine, la raison perd ses droits.
Le lundi 3 juin, le Premier ministre français Gabriel Attal, à l’issue d’une interview à Franceinfo, s’est invité dans un débat entre candidats dans un auditorium de Radio France où la tête de la liste de son parti Renaissance, Valérie Hayer, était interrogée à moins d’une semaine des élections européennes. Stupéfaction et impuissance des présentateurs, speech de soutien du jeune chef du gouvernement, accolade à l’eurodéputée… La scène a sidéré bon nombre de responsables et de commentateurs politiques qui ont fustigé le paternalisme et le sexisme de la démarche –la candidate est à la traîne dans les sondages, compétente dans les matières européennes, elle peine depuis le début de la campagne à subjuguer ses auditoires– quand ils n’ont pas dénoncé une instrumentalisation du service de radio-télévision publique. La critique est d’autant plus argumentée que le président Emmanuel Macron s’invite à son tour aux «20 h» de France 2, et de TF1, le 6 juin, au terme de la journée de commémoration du 80e anniversaire du Débarquement de 1944, pour parler aux Français. Tout juste aurait-il «l’excuse» d’y faire une annonce importante sur la guerre en Ukraine. Mais à trois jours du scrutin, l’intervention pose indubitablement question. Comme a légitimement semé l’incompréhension chez les autres candidats la tenue d’un débat télévisé, le 23 mai sur France 2, entre la tête de liste du Rassemblement national, Jordan Bardella, et… le Premier ministre Gabriel Attal.
«Ouverture» à droite?
Sauver la soldate Hayer justifie-t-il de faire tout et n’importe quoi comme dans le «football panique»? La candidate Renaissance est, il est vrai, sous la menace de deux «disqualifications». Jordan Bardella est crédité dans les sondages de plus de 33% quand elle ne dépasse pas les 16%. Et dans la suite du classement, la tête de la liste Parti socialiste-Place publique, l’eurodéputé sortant Raphaël Glucksmann, la talonne avec 14% des intentions de vote (sondage Ifop-Fiducial du 3 juin pour LCI). Lors des précédentes élections européennes en 2019, particulières parce qu’elles ne sont pas censées représenter un enjeu hexagonal, le Rassemblement national, déjà avec Jordan Bardella, était arrivé en tête avec 23,34% des suffrages. Mais il ne distanciait que de très peu de voix la liste Renaissance, à 22,42%. La principale force de gauche, Europe Ecologie Les Verts, arrivée troisième, empochait 13,48% des voix tandis que le Parti socialiste-Place publique (le mouvement de Raphaël Glucksmann), terminait en sixième position, avec 6,19% des suffrages. Entre les deux formations progressistes, les rôles sont désormais inversés.
Un tel écart entre l’extrême droite et la majorité présidentielle aura des conséquences –même si l’exécutif n’a cessé de prétendre qu’une élection européenne ne pouvait avoir d’autres répercussions qu’européennes–, déjà douloureuses en soi puisque le groupe libéral Renew Europe, auquel appartient Renaissance, est promis à un sévère recul. «Cela dépendra du différentiel, analyse Nathalie Saint-Cricq, éditorialiste à France 2 venue présenter à Bruxelles son dernier livre, L’Ombre d’un traître. Si c’est une « gamelle » monstrueuse –Bardella à 32% et Hayer à 16%–, cela fragilisera effectivement Emmanuel Macron. A partir de là, beaucoup de choses sont ouvertes. S’il veut continuer à réformer avec une majorité relative, soit la droite Les Républicains servira de force d’appoint et il pourra mettre en place une sorte de gouvernement d’ouverture pour gérer le pays (NDLR: raison pour laquelle le nom du président du Sénat, Gérard Larcher, est parfois cité comme futur Premier ministre), soit c’est le blocage, qui n’est dans l’intérêt de personne. Et dissoudre l’Assemblée nationale ne serait pas davantage judicieux pour Emmanuel Macron parce que le Rassemblement national en tirerait sans doute profit. Le président, qui est d’un tempérament optimiste, pense pouvoir sauver les meubles. Mais d’autres, dans son camp, sont très inquiets, craignant que la situation devienne ingérable. Il est vrai que si l’exécutif a d’un côté un Rassemblement national triomphant et de l’autre une France insoumise qui « fait le cirque », cela sera compliqué. La politique française est cependant pleine de surprises.»
«Certains, dans le camp d’Emmanuel Macron, craignent que la situation devienne ingérable.»
Le retour des socialistes?
Autre répercussion nationale possible des élections européennes en France, la redistribution des cartes à gauche. Le Parti socialiste-Place publique, en arrivant troisième, voire deuxième, du scrutin, infligerait un camouflet à La France insoumise (LFI) qui a pris le leadership à gauche lors des élections législatives de juin 2022, après la présidentielle et le bon score de Jean-Luc Mélenchon, en forçant l’alliance de La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) rassemblant socialistes, écologistes, communistes et insoumis. Qui plus est, LFI s’est un peu plus isolée en concentrant sa campagne européenne sur la défense, légitime, de la cause palestinienne, avec des accents extrémistes qui ont pu effrayer des électeurs d’autres formations de gauche. «Si Raphaël Glucksmann réussit à faire plus de 14 %, si La France insoumise est à 7% ou 8% et les Ecolos à 5%, la « gauche de gouvernement » aura le leadership et pourra envisager de se reconstituer pour la suite», avance Nathalie Saint-Cricq. Parce que Glucksmann, en Européen convaincu, n’a a priori pas d’ambition nationale, le défi du Parti socialiste, dont on ne voit pas à ce stade comment il pourrait être relevé, sera de trouver un bon avant-centre pour l’emmener à la bataille présidentielle, et d’éviter de devoir céder au «football panique» pour sauver son candidat d’un naufrage en 2027.
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