Elections communales 2024: pourquoi les partis comptent (beaucoup) sur les candidats non élus
Souvent candidats, jamais élus, les petits faiseurs de voix restent précieux pour constituer des listes complètes et capter de nouveaux publics cibles aux élections communales.
Au fil des élections communales, ils ou elles musardent au milieu de la liste de leur parti, sans jamais décrocher une place au conseil communal, encore moins au collège. Pour le grand public, ils disparaissent alors des écrans radars pendant six ans, avant de republier subitement des capsules de campagne sur leurs réseaux sociaux. «Le 13 octobre, votez 13!», scande l’un, quand le hasard du nombre offre un bon slogan. «22e à la commune, 5e à la province», résume simplement un autre, en sachant que pour la deuxième, voire troisième fois d’affilée, les chances d’être élu seront infimes, voire nulles. Douze ans d’attente n’usent donc pas toujours les souliers de campagne des petits et moyens candidats les plus obstinés, ou les plus serviables.
A raison? Au-delà de l’espoir d’obtenir un meilleur score la prochaine fois, un élément peut jouer en leur faveur dans le cas spécifique de la Wallonie. Comme ce fut déjà le cas en 2018, la Région n’appliquera pas la règle de l’effet dévolutif de la case de tête pour ces élections communales. Toujours appliquée en Flandre et à Bruxelles, celle-ci consiste à répartir la moitié des votes en case de tête –quand l’électeur coche le cercle au-dessus de la liste, plutôt que de voter pour un ou plusieurs noms spécifiques– entre les candidats qui n’ont pas atteint le chiffre minimal d’éligibilité par leurs seules voix de préférence. Parmi ceux-ci, le mieux placé sur la liste peut puiser dans ce pot commun jusqu’à atteindre le seuil requis, et ainsi de suite, dans le sens descendant. «Ce mécanisme a pour conséquence de favoriser les candidats les mieux placés en haut de la liste», résument plusieurs experts académiques, dans un ouvrage collectif analysant le renouvellement de l’offre politique lors des élections du 14 octobre 2018 (1). «Pour certains observateurs, ce système donne un poids trop important à la « particratie » au détriment du vote « démocratique » des électeurs.»
«Dans une grande commune, certains ne font que 300 voix, mais captent un électorat spécifique qui, sans eux, aurait voté pour un autre parti.»
Davantage de chances aux élections communales en Wallonie?
Inversement, en l’absence d’une telle règle, le ticket pour une place de conseiller communal repose uniquement sur les voix de préférence obtenues, ce qui peut maximiser les chances d’être élus des candidats de milieu de tableau particulièrement proactifs. Entre les élections communales de 2012 et 2018, le pourcentage de candidats élus hors de l’ordre de la liste en Wallonie est passé de 43,2% à 48,7%, soit une tendance bien plus significative qu’à Bruxelles (+3,3%) et qu’en Flandre (-1,9%), ont chiffré les mêmes experts. La suppression de l’effet dévolutif au sud du pays ne permet toutefois pas à elle seule d’aboutir à un renouvellement massif des élus. «Les recherches montrent que les votes de préférence tendent à aller prioritairement aux candidats élus sortants, qui ont une forte visibilité médiatique, ou qui dépensent beaucoup pendant leur campagne», rappellent-ils. Ce changement ne fait du reste pas l’unanimité, puisqu’il tend à «renforcer le phénomène de « personnalisation de la vie politique » –et ses dérives– au détriment de la logique de cohésion d’un projet politique». Dans certains cas, il peut aussi conduire à déforcer la parité hommes-femmes dans les assemblées.
Constituer des listes complètes
A côté des ambitions personnelles, les petits candidats sont par ailleurs très utiles pour le jeu collectif d’un parti. L’échelon communal a beau constituer le niveau de pouvoir auquel le citoyen accorde le plus sa confiance (44,9%, selon un sondage du Vif dévoilé en février dernier), la défiance envers la classe politique n’incite pas vraiment les hésitants à se porter candidat. Les hésitantes en particulier: «On sait qu’il est plus compliqué de trouver des femmes nouvellement candidates que des hommes, confirme Audrey Vandeleene, politologue à l’ULB et coautrice de l’étude collective précitée. Même si c’est un peu moins vrai à l’échelon local, elles ont davantage besoin que quelqu’un du parti les convainquent de se présenter.» Or, toute liste déposée doit obligatoirement répondre à une stricte parité –à une place près en cas de nombre impair– et, dans le cas de la Wallonie, à une alternance homme-femme sur l’ensemble de la liste (tirette).
Les petits ou moyens candidats aident donc à remporter une première bataille capitale: celle de constituer une liste complète. Pour les élections régionales et fédérales, cette étape ne pose généralement aucun problème aux principales formations. Mais au scrutin local, deux défis apparaissent. D’un côté, les nouveaux candidats ne se bousculent pas toujours au portillon. De l’autre, seule une minorité de conseillers communaux sortants (43,8% en 2018, hors bourgmestres et échevins) se représentent six ans plus tard, pour l’une ou l’autre raison (âge, disponibilité professionnelle, déménagement, prise de distance avec le parti…). Puisant sur leurs décennies d’ancrage local, des partis comme le MR, le PS et Les Engagés (ex-CDH, ex-PSC) ont presque toujours réussi à présenter des listes complètes en 2018. Ecolo, dans seulement 72,4% des cas, probablement davantage déforcé par l’émergence de listes citoyennes locales. Quant à DéFi et au PTB, plus récents sur l’échiquier wallon, ils n’ont respectivement affiché complet que dans 40% et 43,8% des communes où ils ont fait campagne.
Les procédures pour constituer une liste varient fortement d’une commune et d’un parti à l’autre. «De manière générale, les formations partent de l’existant, résume Audrey Vandeleene. Elles prennent la liste des élections précédentes, regardent qui veut continuer, qui la section locale ne souhaite éventuellement pas rappeler et puis, tentent de recruter pour les places restantes. Mais dans bien des cas, ce recrutement est tellement compliqué qu’elles n’ont pas le luxe de les attribuer en tenant compte d’équilibres sociodémographiques très poussés.» En d’autres mots, un parti souhaitant systématiser la présence d’un pourcentage de jeunes candidats ou de représentants issus de minorités diverses dans toutes les communes risque de pénaliser sa quête de listes complètes.
«Disposer d’un maximum de candidats permet aussi de faire campagne sur tout le territoire de la commune.»
Brasser plus large
Or, plus une liste est étoffée, plus le parti dispose de précieuses ressources financières et humaines pendant la campagne. A cet égard, le rôle des petits candidats dépasse donc largement l’accumulation des seules voix de préférence. «On le sait de plusieurs études en sciences politiques, les électeurs ont tendance à voter pour des personnes qu’ils connaissent ou qui habitent dans leur entité, souligne Audrey Vandeleene. C’est ce que l’on appelle la logique de « friends and neighbours« . De manière plus pratique, disposer d’un maximum de candidats permet aussi de faire campagne sur tout le territoire de la commune, notamment par l’intermédiaire de « réunions Tupperware » ou de la distribution de tracts.» Enfin, l’arithmétique des voix de préférence révèle finalement bien peu du profil des électeurs que ces petits faiseurs de voix parviennent à ramener dans l’escarcelle du parti. «Il ne faut pas toujours regarder leur popularité d’un point de vue quantitatif, décode l’experte de l’ULB. Dans une grande commune, certains ne font que 300 voix, mais captent un électorat bien spécifique qui, sans eux, aurait voté pour un autre parti. Ils peuvent à ce titre élargir le réseau d’électeurs de leur formation.»
Que deviennent les forces vives du milieu de tableau qui n’ont pas obtenu un siège? Si certains se désengagent à des degrés divers de leur parti, d’autres peuvent espérer décrocher une place de conseiller communal ou provincial au cours de la législature en cas de désistement. Ou plus probablement, endosser l’un ou l’autre rôle plus discret, mais néanmoins indispensable: conseiller de CPAS, secrétaire de cabinet, collaborateur parlementaire, président d’une section locale, membre d’un conseil d’administration… «Dans certains cas, il peut s’agir d’une sorte de cadeau pour service rendu, outre la visibilité ainsi obtenue, acquiesce Audrey Vandeleene. Mais vu les difficultés à constituer les listes, il arrive aussi qu’un parti demande à tel collaborateur ou militant de se présenter, même si ce n’est pas le plan A de ces derniers. Après la campagne, ils reprennent simplement leur fonction initiale.»
Candidats non élus aux communales: une longévité marginale
En Belgique, la thématique des élections communales reste sous-étudiée en sciences politiques, concèdent les experts académiques. Il n’est donc pas possible, à ce stade, d’avoir une vue exhaustive sur la rétention des candidats non élus au fil des derniers scrutins locaux. Le Vif a fait l’exercice pour quatre partis dans les trois plus grandes villes wallonnes (Charleroi, Liège et Namur) et pour les trois dernières élections communales. Verdict: le nombre de candidats qui se sont présentés à au moins trois reprises sans jamais être élus, soit sur une période de douze ans, est marginal pour les quatre partis analysés (0% à 6% des listes). Ce cas de figure ne concerne que onze candidats, ce qui révèle un renouvellement substantiel mais logique des effectifs sur une telle durée parmi ceux qui récoltent moins de voix. Ils sont en revanche bien plus nombreux à tenter deux fois leur chance, avant de disparaître des listes pour de bon.
(1) Les Elections locales du 14 octobre 2018 en Wallonie et à Bruxelles: une offre politique renouvelée?, par Jérémy Dodeigne, Caroline Close, Vincent Jacquet, Geoffroy Matagne, Vanden Broele, 254 p.
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