Bourgmestres
Une moitié environ des bourgmestres wallons et bruxellois n’ont jamais qu’exercé un seul mandat, mais cela ne signifie pas que leur liste ou leur parti n’est pas aux affaires de longue date. © ImageGlobe

Elections communales | Depuis combien de temps votre bourgmestre est-il à la tête de votre commune? (carte interactive)

Benjamin Hermann Journaliste au Vif
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Depuis combien de temps votre bourgmestre est-il à la tête de votre commune? (carte interactive)

L’essentiel

• Le pouvoir communal en Belgique est parfois occupé par les mêmes individus ou les mêmes coalitions depuis longtemps, entraînant une impression d’inertie politique.
• Malgré les critiques et les doléances exprimées par les élus locaux, l’échelon communal reste le moins abîmé par le désamour ambiant.
• Sur les 262 communes wallonnes et les 19 communes bruxelloises, certains bourgmestres se sont enracinés depuis plusieurs décennies, mais la majorité ont effectué un ou deux mandats.
• La rotation du pouvoir au niveau communal ne se traduit pas toujours par un renouvellement des forces politiques en présence.
• La nature personnelle et affinitaire de la politique communale ainsi que le manque de concurrence lors des élections sont des facteurs expliquant cette inertie du pouvoir en place.

Dans les communes, le pouvoir semble parfois occupé par les mêmes bourgmestres ou les mêmes coalitions depuis toujours. A ce niveau plus qu’ailleurs, la politique est une affaire de personnes avant tout. Voici ce qu’il en est dans toutes les communes de Wallonie et de Bruxelles.

Le niveau de pouvoir communal concentre son lot de paradoxes. On aime critiquer son bourgmestre, pour un rien parfois. L’échelon de pouvoir le plus proche du citoyen est aussi celui auquel on s’en prend le plus volontiers. Ce n’est pas pour rien que l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) avait baptisé, voici deux ans, une enquête menée auprès des mandataires «Le blues des bourgmestres et des élus». Exigences toujours plus élevées, ingratitude, perte de motivation, férocité des réseaux sociaux: les doléances exprimées ne manquaient pas, brossant un tableau parfois sombre du vécu des mandataires locaux.

Dans le même temps, comme le confirment systématiquement les enquêtes d’opinion, l’échelon communal est assurément le moins abîmé par le désamour ambiant. Ainsi, ce niveau de pouvoir, décrit comme le plus proche du citoyen, est aussi celui qui suscite le plus d’affection.

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Le conseil communal, le collège et le fauteuil de bourgmestre ne se caractérisent pourtant pas toujours par un grand dynamisme politique. L’impression selon laquelle certains mandataires, ou certaines coalitions dirigent leur entité depuis la nuit des temps, est persistante. Qu’il s’agisse de majorités socialistes dans leurs bastions liégeois ou hainuyers, des libéraux dans leurs fiefs brabançons ou de la Région bruxelloise, ou des centristes, autrefois sociaux-chrétiens, dans certaines communes plus rurales, certains bourgmestres semblent s’accrocher au pouvoir. «Tel est le paradoxe: il s’agit à la fois du niveau de pouvoir où la démocratie peut s’épanouir au mieux, avec une importante dimension de proximité, et de celui où elle ne s’épanouit pas pleinement si on tient compte des indicateurs classiques de la démocratie, tels que le pluralisme, l’expression d’opinions différentes ou la diversité», observe Min Reuchamps, politologue à l’UCLouvain.

Le Vif a compilé les données des 262 communes wallonnes et des 19 communes bruxelloises pour y voir plus clair et nuancer quelques observations. Par souci de cohérence, l’analyse porte sur les différentes réalités communales à partir des élections du 10 octobre 1976, à savoir celles qui ont consacré la fusion des communes. Cela ne signifie aucunement, bien entendu, que certaines entités ne sont pas sous la domination de tendances politiques depuis une période bien antérieure.

La «démocratie dans la continuité» n’a rien d’abominable en soi.

La longévité des bourgmestres

Si certains bourgmestres semblent s’enraciner depuis plusieurs décennies, en pouvant donner une impression de grande inertie politique, ce n’est en réalité pas le cas de la majorité d’entre eux. Sur l’ensemble des bourgmestres des Régions wallonne et bruxelloise, 133 n’ont à ce jour effectué qu’un seul mandat, ce qui correspond à un peu moins de la moitié. D’autres se sont davantage installés, qu’ils aient effectué deux mandats (61 bourgmestres), trois (51), quatre (15), cinq (13), six mandats (5) voire davantage (3).

A ce jour, le mayeur à la plus importante longévité est le socialiste Claude Eerdekens, indétrônable à tête de la commune d’Andenne. Il a ceint l’écharpe maïorale dès 1972, avant la fusion donc, dans l’ancienne commune de Seilles, pour ensuite diriger l’entité d’Andenne durant presque un demi-siècle. Claude Eerdekens figurera, le 13 octobre, sur les bulletins de vote de sa commune, en poussant la liste cette fois. Mais il l’a déjà annoncé: si d’aventure sa liste devait l’emporter et lui-même y engranger le plus grand nombre de voix, il restera bourgmestre mais passera le flambeau à mi-mandature.

Le maïeur de la cité des Ours est cependant loin d’être le seul à avoir été réélu à maintes reprises. On songera, par exemple, au bourgmestre de Marche-en-Famenne, André Bouchat, qui, à 85 ans, est lui aussi candidat aux prochaines élections communales. Il poussera également sa liste, comme il l’avait d’ailleurs fait il y a six ans.

En Région bruxelloise, c’est Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek depuis 1992, qui détient le record de longévité. Dans un mois, il sera candidat à la tête de la Liste du bourgmestre, qui rassemble des personnalités de diverses sensibilités politiques.

Sur la douzaine de bourgmestres les plus anciens de Wallonie et de Bruxelles, d’ailleurs, la plupart se portent candidats au prochain scrutin, que ce soit en tête de liste ou en dernière position. Seul Josy Arens, bourgmestre d’Attert, a décidé de ne pas rempiler. Dans cette commune de la province de Luxembourg, deux listes s’affronteront pour décrocher le fauteuil maïoral et assurer la succession.

Nouveaux bourgmestres ne signifie pas renouveau

La rotation du pouvoir ne se limite pas à celle des bourgmestres. Ou, pour le formuler autrement, le fait que le visage à la tête d’une commune change à l’occasion d’élections ne signifie pas que les forces en présence ont été modifiées.

Tel est le lot, avant tout, de ces communes dans lesquelles une formation politique détient le pouvoir sous forme de majorité absolue depuis longtemps. En raison de leur caractère urbain et de leur plus importante démographie, c’est moins le cas des communes bruxelloises que de certaines entités wallonnes. Et parmi les communes wallonnes, il existe à la fois des entités historiquement attachées à une tendance politique et d’autres, souvent plus petites, dans lesquelles historiquement, seules deux ou trois listes s’affrontent lors des scrutins. Cette dernière réalité implique nécessairement une certaine inertie, puisque le choix des électeurs se trouve alors réduit à une, deux ou trois options.

Ces majorités absolues ne sont pas l’apanage d’une tendance politique en particulier. On en trouve, en Wallonie, qui sont apparentées à chacun des trois piliers traditionnels (socialiste, libéral ou d’origine sociale-chrétienne), voire localement à des listes regroupant diverses tendances. Ainsi, certaines communes de la région liégeoise et du Hainaut sont connues pour être dirigées par des majorités absolues socialistes depuis belle lurette, parfois bien avant la fusion des communes d’ailleurs: Seraing, Saint-Nicolas, Quaregnon, Châtelet ou Manage, notamment. D’autres entités sont historiquement libérales, comme Lasne, Waterloo ou Wavre, dans le Brabant wallon. Certaines listes associées aux Engagés (au CDH et au PSC précédemment) occupent le pouvoir de longue date, comme à Beaumont dans le Hainaut, à Juprelle en région liégeoise ou Tenneville, en province de Luxembourg, pour ne citer que quelques exemples.

Geoffrey Grandjean, professeur de science politique, et Valentine Meens, doctorante à l’ULiège, avaient dressé un panorama de la situation des communes wallonnes dans la foulée des élections de 2018. Sur un total de 262 communes, 189 groupes politiques avaient remporté une majorité absolue. Cette configuration est donc loin d’être une exception, bien au contraire. Parmi ces groupes politiques, 22 avaient décidé d’ouvrir leur majorité pour former une coalition avec une liste minoritaire.

133

bourgmestres de Wallonie et de Bruxelles n’ont à ce jour effectué qu’un seul mandat.

Des coalitions bien installées

Derrière quelques statistiques peuvent cependant se cacher des réalités nuancées ou des enseignements moins évidents qu’il n’y paraît. Ainsi, il n’est pas rare que les communes soient dirigées par de nouvelles coalitions au lendemain d’élections, ou que des majorités soient renversées en cours de mandature. Cela ne signifie pas nécessairement que les rapports de force ont été radicalement inversés.

En observant les configurations politiques dans les communes wallonnes et bruxelloises depuis les précédentes élections communales, il apparaît que 126 d’entre elles –soit presque 45% des communes– ont connu un changement de coalition soit au lendemain du scrutin, soit en cours de mandature. Cette statistique pourrait donner à penser qu’un certain dynamisme politique s’est emparé du niveau de pouvoir communal. Ou un certain degré d’instabilité, c’est selon…

Lorsqu’on observe de plus près et de façon qualitative ces changements de coalitions, un constat s’impose cependant: dans une minorité de situations seulement, le nouveau pacte de majorité donne lieu à un profond renouvellement du pouvoir en place. Il s’agit typiquement de la situation dans laquelle un parti largement dominant décide d’ouvrir sa majorité à un partenaire de moindre ampleur, ou d’une coalition dans laquelle un des partenaires a été remplacé par un autre, au gré des résultats électoraux ou des mésententes.

Ainsi, on peut raisonnablement dénombrer une cinquantaine de communes wallonnes ou bruxelloises dans lesquelles un changement sensible de coalition est survenu en 2018 ou dans les années qui ont suivi. Ce ne sont jamais qu’une bonne quinzaine de pour cent des communes. Et quatre communes sur dix, parmi celles qui ont été dotées d’une nouvelle coalition.

On pourra donc reconnaître sans difficulté qu’une commune comme celle de Perwez, dans le Brabant wallon, a connu un renversement en 2018 avec la défaite de la liste d’André Antoine, au pouvoir précédemment, au profit de la liste Ensemble! de Jordan Godfriaux, désormais bourgmestre. On établira le même constat à Viroinval, dans le sud de la province de Namur, où une coalition s’était formée en boutant l’ancien bourgmestre dans l’opposition. En Région bruxelloise, l’arrivée de l’écologiste Christos Doulkeridis au maïorat d’Ixelles, en coalition avec les socialistes, constituait en soi une modification sensible du pouvoir en place, en vertu de la «vague verte» qui s’était alors produite. Ce sont là quelques exemples parmi tant d’autres.

A l’inverse, le fait que le PS se soit choisi le MR comme partenaire au détriment du CDH, à l’époque, à la Ville de Liège n’y a pas fondamentalement changé le fait que les socialistes y sont dominants et au pouvoir depuis 1973. Des observations similaires pourraient être effectuées à Charleroi ou à Bruxelles-Ville, notamment. Dans un même ordre d’idées, des majorités se sont constituées autour du MR à Montigny-le-Tilleul, des Engagés à Mouscron ou encore d’un bourgmestre DéFI à Auderghem, ouvrant les portes du pouvoir à certaines formations, sans pour autant remettre en question la domination historique du principal parti de l’entité.

Claude Eerdekens, à Andenne, est le plus ancien des bourgmestres. Il n’est pas exclu qu’il ceigne encore l’écharpe maïorale après les élections communales. © BELGAIMAGE

Le choix des électeurs

On pourra trouver mille explications à cette relative inertie du pouvoir en place. La première consistera en une évidence: ces personnes sont en place parce qu’elle se sont fait élire… par les électeurs. On peut regretter un certain enracinement, mais ce sont encore les citoyens qui en sont à l’origine. «Une première explication du phénomène est sans doute une satisfaction à l’égard des mandataires communaux», résume Jean-Benoit Pilet, professeur de science politique à l’ULB. Si un bourgmestre se fait réélire inlassablement, c’est peut-être parce que ses administrés l’apprécient personnellement ou reconnaissent ses qualités de gestionnaire.

Les esprits retors considéreront que si le pouvoir est en place de longue date, c’est aussi, éventuellement, parce qu’il pratique une forme d’électoralisme, de clientélisme, ou qu’il se déploie au gré des dynasties politiques ou des baronnies locales, comme cela peut être le cas dans l’une ou l’autre commune.

A l’inverse, «il faut constater que les électeurs ne s’expriment pas sous la menace. C’est un paradoxe: on peut regretter le manque de renouvellement, mais il est aussi dû aux choix des citoyens», observe encore Min Reuchamps. C’est ainsi que s’exprime «la démocratie dans la continuité», qui n’a rien d’abominable en soi. Elle est d’autant plus prégnante dans les communes qu’il s’agit des circonscriptions électorales les plus restreintes territorialement, donc potentiellement les moins diversifiées sur le plan de la sociologie électorale. On vote traditionnellement à gauche, à droite ou au centre dans telle commune, parce qu’on y trouve historiquement une majorité d’électeurs plutôt enclins à voter de la sorte.

189

majorités absolues se sont dégagées en Wallonie lors des dernières élections, sur un total de 262 communes.

Une affaire de personnes plus que de partis

Une des explications les plus convaincantes réside sans doute dans la nature même du niveau local. De tous les niveaux de pouvoir, il est celui pour lequel la politique est le plus une histoire de personnes et d’affinités. «Aux élections communales, on vote pour une personne, pas pour un parti», entend-on souvent.

Hormis dans les grands centres urbains –où cette réalité s’amenuise comme ailleurs– la politique communale n’est donc pas tellement une affaire de grands partis. Ce n’est pas pour rien que de plus en plus de listes ne portent plus l’appellation d’un de ces partis, d’ailleurs. Sous les appellations de type «Intérêts communaux», «Liste du bourgmestre», «Ensemble» et autre «Alternative» se regroupent des sensibilités différentes, des candidats d’obédiences divergentes, voire sans apparentement. Bien des électeurs trouveront leur compte dans les deux ou trois listes qui se présentent, quand ce n’est pas une seule.

Si un bourgmestre se fait réélire inlassablement, peut-être est-ce parce que ses administrés reconnaissent ses qualités de gestionnaire.

Dans la constitution même des coalitions communales, la thématique des affinités personnelles occupe une place prépondérante, comme l’a mis en évidence Geoffrey Grandjean. Parmi les motivations ayant conduit des groupes en majorité absolue à ouvrir une coalition, en 2018, on retrouvait systématiquement la thématique des affinités personnelles ou des souvenirs positifs partagés avec le partenaire. On pourra, pour s’en convaincre, songer à la ville de Rochefort, où le parti principal regroupe socialistes et libéraux. Là, le bourgmestre élu, Pierre-Yves Dermagne (PS), a été remplacé par des bourgmestres faisant fonction issus du MR, depuis 2019. Ainsi en est-il de la politique locale, quelquefois.

Qui le veut encore?

On dénombre en Belgique plus de 13.000 mandataires communaux (7.000 en Wallonie). Il n’est pas rare, dans des communes de petite ou de moyenne tailles, d’éprouver les plus grandes difficultés à constituer des listes, du moins des listes complètes.

L’installation de quelques individus au pouvoir dans la durée est aussi, dès lors, le résultat d’une assez faible concurrence, lorsqu’il s’agit de recruter de nouvelles personnes aspirant à entrer au conseil, voire au collège communal. «En plus de cela, il faut idéalement des listes représentatives en âge, genres, quartiers ou villages, etc.», note Geoffrey Grandjean. Une fois que les élections approchent, on compose avec celles et ceux qui le souhaitent, mais ce sont parfois des oiseaux rares, d’autant plus que l’exercice d’un mandat politique ne bénéficie pas particulièrement d’une grande attractivité, en matière de réputation par exemple.

«Quelque temps avant Mai 68, un quotidien français titrait que la jeunesse française était apathique, sourit Min Reuchamps. Dans les faits, en réalité, il est probable que quelques pour cent à peine de la jeunesse ont pris part à la contestation.» Il en est de même de la participation politique: il n’y aura jamais qu’une petite proportion de la population qui décidera d’y prendre part activement.

Parfois, elle s’y installera durablement, à l’image de ces quelques bourgmestre qui donnent l’impression d’avoir toujours été en place.

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