Elections 2024 | Pas envie de voter? Voici dix bonnes raisons d’y aller quand même
On peut ne pas avoir envie d’aller voter, mais cela demeure utile. Il existe des arguments pour s’en convaincre. Voici dix bonnes raisons de ne pas bouder l’isoloir.
Le 9 juin, la plupart des citoyens en âge de voter s’acquitteront de leur devoir électoral. Certains s’y rendront avec des pieds de plomb, d’autres ne feront pas le déplacement. Lors des élections fédérales de 2019, quelque 11,6 % d’électeurs n’étaient pas allés voter. Le phénomène augmente dans manière quasi ininterrompue depuis un demi-siècle. Si on y ajoute les votes blancs et nuls, ce sont 17 % des électeurs qui n’ont pas exprimé de vote.
Certains arguments, dont voici une liste non exhaustive, pourraient cependant alimenter leur réflexion. Parce que voter n’est peut-être pas une si mauvaise idée…
1. Parce qu’aller voter, c’est obligatoire
C’est une tautologie : les Belges sont obligés de voter parce que le vote est obligatoire. Voilà une excellente raison de jouer le jeu.
Mais un électeur belge sur dix ne s’est pas rendu aux urnes lors des derniers scrutins. Et ce n’est pas un secret, les sanctions prévues par le code électoral pour toute absence injustifiée – de quarante à quatre-vingts euros et jusqu’à deux cents euros en cas de récidive – sont rarement appliquées. En outre, l’obligation, en vigueur depuis 1893, l’est un peu moins désormais : les électeurs de 16 et 17 ans seront autorisés à voter aux élections européennes, en juin, sans y être obligés (NDLR, 21/03/2024: la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt le 21 mars 2024, impliquant tout de même une obligation, pour ces jeunes électeurs). En Flandre, elle n’aura désormais plus cours lors des élections locales.
A côté de son caractère légal, l’obligation fait donc appel à d’autres dimensions, relevant du sens civique, de la participation à l’exercice de la démocratie. « Voter est un droit et il n’est pas dénué de sens, en tant que citoyens, de faire valoir les droits qui nous sont octroyés. Il y a dans le même temps un élément de devoir civique qui y est lié », commente Emilie van Haute, politologue au Cevipol (ULB). Droit et devoir sont les deux faces d’une même pièce.
Les défenseurs de l’obligation avancent régulièrement l’argument selon lequel elle contraint les partis politiques à s’adresser à l’ensemble de l’électorat. Ses opposants invoquent le même argument, symétriquement : sans obligation, le politique serait poussé à conquérir l’ensemble de la population, même les moins enclins à voter.
Certaines catégories sociales sont davantage représentées parmi les gens qui ne votent pas.
Emilie Van Haute
Toujours est-il qu’en Belgique, pionnière en la matière, l’obligation date de 1893. Cette date marqua aussi la fin du principe du vote censitaire et l’avènement du suffrage universel masculin avec vote plural. Chaque avancée ayant conduit à une progression du suffrage universel impliqua la réparation d’injustices et fut le fruit de combats, ce qui ajoute éventuellement un aspect moral, aujourd’hui, au fait de s’acquitter de ce geste démocratique. « D’autres se sont battus pour ce droit… »
En réalité, rappellent les politologues, contrairement à ce que l’on est porté à croire spontanément, le parti catholique, au pouvoir, défendait alors l’obligation de vote, pour s’assurer que les électeurs les plus « modérés » participent au scrutin. Il s’agissait de réduire le poids d’électeurs plus « radicaux », alors que le POB, ancêtre du parti socialiste, s’apprêtait à entrer dans l’arène électorale.
En politique, les velléités de suppression ou de renforcement de l’obligation sont souvent motivées par des calculs électoraux. En attendant, l’obligation existe bel et bien depuis plus de 130 ans.
2. Parce que ça demande un moindre effort
« Voter amène à poser un choix personnel, seul, en secret, sans pression externe », résume Laura Uyttendaele, docteure en sciences politiques et sociales (UCLouvain). Aucun citoyen, au-delà de ce que la tenue d’élections coûte à la collectivité, ne doit s’acquitter d’un quelconque montant. Tous sont, en théorie, parfaitement égaux durant ces quelques instants passés dans l’isoloir.
Chacun pourra trouver des raisons de ne pas voter, mais probablement pas le fait que cela lui impose un effort démesuré. Une petite heure tout au plus, quand tout va bien, une fois tous les six ans pour les élections locales et tous les cinq ans pour les autres, dans la salle du village ou l’école du quartier. Les absents peuvent voter par procuration ou se justifier auprès du juge de paix. C’est peu de chose pour éviter que d’autres ne décident à leur place.
Le simple fait d’organiser des élections ne constitue pas une garantie : des régimes totalitaires en organisent, et des pouvoirs démocratiquement élus ont commis les pires atrocités. Mais il faut reconnaître qu’il existe plus illibéral, comme régime, que le belge, qui convoque huit millions d’électeurs le 9 juin. Entretenir cette liberté vaut bien le déplacement.
3. Parce que l’abstention est inégalitaire
Les électeurs ne sont pas égaux face à l’abstentionnisme. « Certaines catégories sociales sont davantage représentées parmi les gens qui ne votent pas, en l’occurrence plutôt des personnes aux ressources plus faibles», confirme Emilie van Haute.
A l’occasion du sondage réalisé par l’institut Kantar pour Le Vif, début février, il est apparu que les répondants qui ne voteraient pas, si le vote n’était pas obligatoire, seraient deux fois plus nombreux (30,4%) parmi les titulaires d’un diplôme du primaire ou du secondaire inférieur que chez les Belges ayant effectué des études supérieures (13,9%). Au surplus, les inactifs (30,4%) et les ouvriers (24,7%) seraient plus souvent absents que les pensionnés (20,2%), les employés (18%) et les indépendants (13,6%).
Dans une analyse de l’abstention électorale parue en 2021, des chercheurs de l’ULB et de la VUB se sont appuyés sur la littérature scientifique pour confirmer que les caractéristiques sociologiques font partie des déterminants qui pèsent sur le phénomène. Dans les grandes lignes, « les groupes au sein desquels les recherches en science politique ont identifié la participation électorale tendant à être plus faible sont les suivants : les plus jeunes, les seniors, les moins diplômés, les personnes d’origine étrangère et les électeurs qui résident dans un contexte urbain ». La variable du genre est, certes, très étudiée en science politique, mais son influence sur l’abstention est plus nuancée.
Les explications sont diverses pour chacune des variables. A titre d’exemple, les électeurs vivant en milieu urbain s’abstiennent davantage en raison, notamment, du sentiment que leur vote pourra ou non faire la différence, en lien avec la taille de la commune. « Dans les petites entités, il existe également un sens de la communauté plus important, qui opère comme mobilisateur électoral », avance encore l’analyse.
4. Parce qu’il est possible de voter blanc (ou nul)
L’abstention électorale peut s’expliquer de multiples manières : des facteurs sociologiques, un manque de confiance, un rejet des politiques, un désintérêt, une incompréhension, un manque d’intérêt pour le scrutin dont il est question, le sentiment de ne pas être représenté, etc. Il est par conséquent compliqué de mesurer avec exactitude dans quelles proportions il résulte d’une forme de protestation ou, à l’inverse, d’une posture d’apathie.
Mais il existe bel et bien une manière de s’acquitter de son devoir sans exprimer de choix : le vote blanc, qui consiste à remettre un bulletin vierge. Ou le vote nul, éventuellement. On entrera alors dans les statistiques de l’abstentionnisme, mais pas celles de l’absentéisme.
Le citoyen qui aura voté blanc ne pourra pas être pris en défaut. Il se sera aussi, si telle est sa volonté, montré plus concerné qu’en étant absent. Il se déplace, mais l’offre politique ne lui inspire rien ou ne lui convient pas. Il y a là un début de message envoyé aux décideurs.
Ni l’abstention ni les votes blancs et nuls ne sont comptabilisés dans la répartition des sièges. Ils ne pèsent pas directement dans le rapport de force. Le parti Blanco, toutefois, compte changer la donne. Cette nouvelle formation se présente dans les onze circonscriptions fédérales précisément avec l’objectif de soutenir, à la Chambre, la représentation de sièges non attribués. La composition de l’hémicycle reflétera alors mieux l’expression citoyenne, estime le parti, qui ambitionne de faire modifier la Constitution pour mettre son objectif en œuvre.
5. Parce qu’on peut souvent trouver chaussure à son pied
Avant de balayer l’ensemble des candidats d’un revers de la main, mieux vaut jeter un œil à l’offre. Il y a vraisemblablement, quelque part sur une liste, une personne digne d’intérêt, à laquelle on pourrait attribuer une voix sans trop de peine.
C’est que l’offre politique est diversifiée en Belgique. Presque n’importe qui peut se présenter, pour défendre à peu près n’importe quelle cause. La multiplicité des listes qui apparaissent sous les yeux des électeurs lors des élections législatives en est le signe. La réalité électorale fait que les électeurs votent la plupart du temps pour les personnalités les plus connues ou celles que les partis ont eux-mêmes décidé de mettre en tête de gondole. De ce point de vue, l’électeur est plutôt conservateur.
Les coalitions gouvernementales donnent l’impression qu’en politique, tout le monde se ressemble et s’assemble. Mais les élections ont pour fonction d’élire des représentants dans les parlements, où la diversité prévaut bel et bien.
Une douzaine de partis siègent à la Chambre. Tous ne se présentent pas dans chaque circonscription, évidemment. Et il suffit qu’une autre formation franchisse le seuil électoral de 5% pour y faire son entrée. Mais il y a là, déjà, une fameuse panoplie d’orientations politiques. Des marxistes aux libéraux, des séparatistes aux belgicains, des républicains aux monarchistes, des néerlandophones aux francophones en passant par les germanophones, chacun avec leur vision sur l’environnement, la gouvernance, la neutralité, la justice, la sécurité et on en passe, les partis politiques offrent tout de même un spectre d’opinions fort diversifié.
« Parmi les arguments récurrents, on entend souvent que les gens ne se sentent pas représentés. La question de la représentation est complexe, concède la politologue Emilie van Haute. Il y a la question des idées, celle des personnes et celle des affects. Sur les deux dernières, donc savoir qui nous représente et si nous nous sentons représentés, c’est peut-être plus compliqué. Mais en ce qui concerne les idées, on ne peut certainement pas dire que tout se ressemble. L’offre est diversifiée. »
Voter amène à poser un choix personnel, seul, en secret, sans pression externe.
Laura Uyttendaele
6. Parce qu’on peut voter intelligemment
Chaque voix compte. Un scénario dans lequel l’attribution d’un siège se jouerait à un suffrage près demeure peu probable, certes, mais tout à fait potentiel. C’est d’autant plus vrai dans un système de représentation proportionnelle à la belge que dans le cadre de scrutins majoritaires, où les votes minoritaires ne sont pas représentés.
Par ailleurs, en dépit des tractations politiques, l’issue des élections reste avant tout une question purement arithmétique. Certains termineront premiers, d’autres progresseront, d’autres encore se casseront la figure. Ces mouvements détermineront en grande partie la suite des opérations.
Si chaque voix compte, potentiellement, pourquoi se priver d’aller voter ? Pourquoi ne pas se donner la moindre petite chance d’influencer les résultats ? Ne pas voter consiste à ne rien modifier du rapport de force.
Dans l’isoloir, chacun peut voter par conviction, mais aussi, s’il le souhaite, de manière plus réaliste… ou un brin cynique. La question de savoir si l’abstention ou l’absentéisme électoraux favorisent ou non l’extrême droite n’est pas tranchée. Mais quiconque cherche à faire barrage à l’extrême droite pourra voter pour un autre parti, partant du principe que toute voix qui ne la renforce pas la déforce.
A l’intérieur d’une même liste, l’électeur peut choisir de soutenir un ou plusieurs candidats, donc ne pas soutenir d’autres candidats avec lesquels il aurait moins d’affinités. En Wallonie, désormais en Flandre également, aux élections communales, le rôle des électeurs est même renforcé puisque devient d’office bourgmestre le candidat ayant obtenu le plus de voix dans le premier parti de la majorité.
Diverses formes de votes « utiles » peuvent intervenir. Il s’agit, par exemple, de privilégier le vote pour un ou plusieurs candidats qui ont plus de chances d’être élus que les candidats que l’on préfère. Chacun, en fonction de sa grille d’analyse, peut effectuer ses calculs : voter à droite pour repousser les « 50 nuances de gauche », ne pas voter pour le PS parce que cela revient à voter pour la N-VA (le même raisonnement peut se tenir avec le MR), voter pour n’importe qui sauf le PTB ou inversement, etc.
7. Parce que chacun est légitime
Il peut arriver qu’on ne vote pas parce qu’on ne se sent pas autorisé à le faire, du point de vue des connaissances politiques, par exemple. Mais cela contrevient aux principes du suffrage universel. Toute personne qui répond aux conditions pour être électeur en a parfaitement le droit et devrait sans doute le faire valoir.
Un tel raisonnement peut apparaître auprès des primo-votants, qui ne sont pas encore familiarisés avec le suffrage. Les prochaines élections européennes, d’ailleurs, permettront aux jeunes à partir de 16 ans de s’exprimer. « Il arrive que les personnes ne se sentent pas légitimes pour voter. Cela se dit parfois de manière plus assumée parmi les jeunes, mais ils ne sont pas en soi plus sujets que les autres à cette question, observe Laura Uyttendaele. Il arrive qu’on entende des arguments du type “je ne travaille même pas encore”, “je suis trop jeune” ou “je n’y comprends rien”. » Mais ce ne sont pas là des critères d’accès au vote, dès lors que le suffrage censitaire ou capacitaire n’a plus cours depuis belle lurette.
En réalité, comme le dit la formule reprise par la politologue, « tout est politique ». Nombreuses sont les personnes qui, comme la prose de Monsieur Jourdain, font de la politique sans s’en rendre compte, en s’engageant, en s’impliquant dans la vie associative, en défendant des idéaux, en manifestant, etc.
8. Parce que cela pousse à s’informer un tant soit peu
Personne n’est obligé de parcourir en long et en large les programmes des partis pour se forger une opinion. Mais il est envisageable d’identifier quelques préférences électorales en se renseignant un minimum. Ce sera toujours une manière de jauger la diversité de l’offre et de mesurer la complexité de la chose publique.
C’est sur ce point, sans doute, que la problématique est délicate d’un point de vue sociologique : qui se sent en mesure de construire un avis avant d’aller voter ? L’information et la sensibilisation jouent ici un rôle primordial, sur le plan démocratique. Les moyens de se renseigner sont multiples, au demeurant, depuis les débats télévisés jusqu’aux pages de la presse écrite, en passant par les tests électoraux mis en place par les médias à l’approche des élections.
9. Parce que cela fait du bien d’aller voter
Plus d’un électeur a déjà quitté le bureau de vote avec le sentiment du devoir accompli. Peut-être s’attend-il à voir ses espoirs déçus, ou se dit-il que son bulletin aura l’effet d’une goutte d’eau dans l’océan. Mais, le plus sérieusement du monde, il n’est pas interdit d’éprouver cette satisfaction.
« Les élections représentent des moments symboliques assez forts, reconnaît d’ailleurs Emilie van Haute. On fait partie d’une communauté, tout le monde fait la même chose le même jour. Il n’y a quand même pas énormément de moments, pour ne pas dire aucun, durant lesquels quasi tous les citoyens en âge de voter posent le même acte en même temps, participent à la même grand-messe. » Oui, voter peut procurer ce qu’on appelle des « rétributions symboliques », et ce sentiment de faire partie d’un ensemble, au sein duquel on est invité à exprimer son opinion librement.
10. Parce qu’on n’a pas trouvé beaucoup mieux
Les élections ont beau faire l’objet d’un désintérêt, la démocratie belge n’a pas encore déniché la panacée en mesure de les remplacer. Les partis politiques avancent leurs formules pour, comme le veut l’expression consacrée, rapprocher citoyens et politiques. Il s’agit souvent d’encourager la participation citoyenne, donc de mieux associer les citoyens aux décisions. C’est ainsi qu’ont fleuri des initiatives à tous les niveaux de pouvoir: interpellations citoyennes, droit de pétition, commissions mixtes, budgets participatifs, consultations publiques, etc.
La Communauté germanophone est même régulièrement citée en exemple en tant que laboratoire de la démocratie participative, après avoir instauré un dialogue citoyen permanent, qui allie tirage au sort, délibérations et formulation de recommandations.
Ces initiatives sont conçues comme étant complémentaires du processus électoral et du régime parlementaire. Elles comportent, certes, leurs avantages, mais demeurent aussi à la marge, tant qu’à présent, et apparaissent en ordre dispersé. Des chercheurs de l’ULB et de la VUB, les mêmes qui s’étaient penchés sur le phénomène de l’abstention, ont fourni l’an dernier une large analyse sur l’état de ces processus participatifs en Belgique. Il apparaît que, après avoir répertorié 75 initiatives, il s’avère très compliqué de les ranger dans des catégories bien définies, faute d’un cadre légal suffisant.
Surtout, ces initiatives, à côté de leurs vertus, comportent leurs désavantages. Leur effectivité est toute relative et, pointe l’analyse, dresser un bilan sur la mise en œuvre des résultats concrets est une gageure. Le risque existe donc de produire l’inverse de l’effet recherché: des citoyens qui s’impliquent mais ont le sentiment de brasser de l’air ne se détourneront-ils pas encore plus du politique? La colère récente des participants au panel citoyen «We need to talk» sur le financement des partis, face à l’absence d’accord politique sur leurs recommandations, constitue un exemple parlant.
Surtout, l’inclusivité et la représentativité reviennent régulièrement sur le tapis. Qui s’implique? Qui en a les moyens, le temps et l’envie? Qui en a l’intérêt?
«Les élections, quoi qu’on en pense, restent ce moment où tout le monde est égal. C’est important de pouvoir signer des pétitions, interpeller les politiques, participer aux assemblées citoyennes ou manifester, mais cela a un côté encore plus inégalitaire», résume la politologue Emilie van Haute. Les élections, elles, ne sont peut-être pas suffisantes, mais constituent probablement «un seuil minimal» plutôt accessible de l’expression des aspirations de tout un chacun.
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