Elections 2024: les femmes ont-elles mieux performé que les hommes? (infographies)
Sur les 312 listes présentées aux élections fédérales, régionales et européennes du 9 juin, seules 107 femmes en occupaient la première place. Pourtant, en moyenne, les performances des têtes de rang féminines n’ont rien à envier à celles de leurs homologues masculins. Dans certains partis, elles sont même systématiquement meilleures.
65.307 votes pour Petra De Sutter (Groen) à la Chambre, près de 30.000 pour Christie Morreale (PS) à la Région, sans parler du demi-million engrangé par Sophie Wilmès (MR) à l’Europe. Qui a dit que les femmes n’étaient pas des attrape-voix? Les électeurs belges leur font en tout cas confiance, à en croire les résultats du 9 juin. Autant qu’aux hommes?
Pour comparer les performances des candidats issus de la gent féminine et de la gent masculine, Le Vif a analysé les taux de pénétration (NDLR: rapport entre le nombre de voix de préférence obtenues par un candidat et le total des votes valablement exprimés dans la circonscription où il se présentait) des différentes têtes de liste à chaque niveau de pouvoir (fédéral, régional, européen). Ce taux, bien que plus éclairant que le nombre brut de voix engrangées, dépend toutefois de la concurrence, c’est-à-dire du choix (exhaustif ou non) de candidats inscrits à l’élection. Il sera logiquement plus important à l’Europe, où les listes ne comportent que deux candidats par parti, qu’à la Région bruxelloise (jusqu’à 72 inscrits par parti).
Première constatation: les têtes de liste féminines restent encore l’exception plutôt que la norme. Sur les 312 listes présentées le 9 juin (hors communauté germanophone), seules 107 femmes en occupaient la première place. Soit un peu plus d’un tiers (34,2%).
DéFi, cancre de l’égalité
Globalement, les partis flamands ont une longueur d’avance dans la mise en avant des candidates, à l’exception de la N-VA et du Vlaams Belang. Avec 8 femmes têtes de liste sur 13, Vooruit détenait la palme de la féminisation (61,5%). Groen et le CD&V complétaient le trio de tête, avec chacun 7 femmes numéro 1 sur un total de 13 listes (53,8%). Côté francophone, Ecolo se démarquait avec un ratio de 9 femmes têtes de liste contre 11 hommes, suivi par le MR et le PTB. Malgré leur ambition de renouveau, Les Engagés ont loupé le coche de l’égalité avec à peine quatre femmes têtes de liste sur 19 (21%). DéFi, mouton noir des partis traditionnels, a réussi à faire encore pire avec seulement 3 femmes en rang de tête (15,7%). A noter enfin que le parti d’extrême-droite Chez Nous jouait la carte masculine à 100%, avec douze hommes en tête de liste… sur douze.
Le contexte étant désormais posé, place aux résultats. Après analyse, il apparaît que la performance des têtes de liste masculines est légèrement supérieure à celle des femmes. La différence est toutefois minime: les candidats affichent un taux de pénétration moyen de 2,91%, contre 2,88% pour les candidates. Sans le triomphe de Sophie Wilmès (543.821 voix pour un taux de 21,07%), la moyenne féminine chute toutefois à 2,71%.
Les électeurs préfèreraient-ils les hommes? Non, rétorque Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB, pour qui l’explication genrée ne tient pas la route. Le chercheur, qui a étudié durant de longues années les caractéristiques des candidats particulièrement populaires, relève une différence de ressources politiques et médiatiques. «Les scores les plus élevés sont généralement réalisés par des élus sortants, des bourgmestres, des personnes qui occupent une position politique élevée (comme président de parti, ministre, chef de groupe) ou des personnalités qui jouissent d’une exposition médiatique importante, explique le professeur de l’ULB. Si on neutralise tous ces élements sur le plan statistique, plus aucune différence n’apparaît entre les hommes et les femmes.»
Une médiane favorable aux femmes
Deux bourgmestres d’une ville de taille comparable obtiennent ainsi généralement le même nombre de voix de préférence, tout comme deux ministres sortants, peu importe leur genre. «Les femmes sont donc tout autant capables de séduire les électeurs, résume Jean-Benoît Pilet. Mais le problème, c’est qu’elles souffrent encore d’une série de désavantages en termes de notoriété médiatique et politique, qui résultent en des scores parfois plus bas.»
Le taux de pénétration moyen des têtes de liste hommes est boosté par la présence de certaines figures de proue, qui combinent les caractéristiques de performance, comme Bart De Wever (bourgmestre d’Anvers et président de la N-VA), Maxime Prévot (bourgmestre de Namur et président des Engagés) ou Paul Magnette (bourgmestre de Charleroi et président du PS), souligne encore Jean-Benoît Pilet. «Quand on neutralise l’effet de ces candidats-là, la différence homme-femme ne s’observe plus.» La médiane, soit la valeur qui sépare la moitié inférieure et la moitié supérieure du classement, est d’ailleurs favorable aux femmes, avec un taux de pénétration de 2% contre 1,27% pour les hommes. «La médiane fait fi de ces valeurs aberrantes et de ces extrêmes, et est donc plus éclairante sur la performance centrale des candidats.»
La débâcle verte
Aussi, la moyenne féminine des taux de pénétration peut être influencée par les piètres résultats des écologistes au dernier scrutin, qui misent pourtant davantage sur les femmes en tête de liste. «Historiquement, les électeurs de Groen et d’Ecolo ont d’ailleurs eux-mêmes tendance à octroyer plus de votes de préférence aux femmes qu’aux hommes, relève Petra Meier, politologue à l’UAntwerp. C’était assez marquant il y a quelques années lors de l’analyse des bulletins: certains électeurs cochaient systématiquement les femmes, dans une volonté de revendiquer l’égalité de genre en politique.» Si l’on découpe la moyenne des taux de pénétration par parti, on observe d’ailleurs que les têtes de listes féminines ont particulièrement bien performé chez Groen (3,26% contre 0,90% pour les hommes) et Ecolo (1,71% contre 1,52%). Une tendance généralisable à la majorité des partis traditionnels, à quelques exceptions près (PS, N-VA, Les Engagés).
Bref, si les revendications féministes ou identitaires (certains hommes continuent de voter uniquement pour des candidats masculins) existent, la majorité de l’électorat ne tient pas compte de la dimension du genre dans son choix ultime dans l’isoloir. Après la parité sur les listes, imposée en 2002, et le principe de la tirette (NDLR: deux candidats du même sexe ne peuvent jamais se suivre sur la liste) voté en 2018 en Région wallonne et en 2020 à Bruxelles, l’heure ne serait-elle pas à l’obligation d’une parité totale en têtes de rang? «C’est en tout cas la seule étape législative qu’il est encore possible d’instaurer», estime Jean-Benoît Pilet. Mais les efforts devront aussi venir des partis eux-mêmes, pour nommer des femmes aux postes-clés (commissaire européenne, cheffe de groupe, présidente de parti, bourgmestre…), et ainsi leur faire bénéficier de la visibilité nécessaire pour performer aux élections, conclut Petra Meier.
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