Elections 2024: en interne, la lutte féroce pour les places en tête de listes a déjà commencé
Dans tous les partis, la lutte des places a commencé en vue du scrutin de juin 2024. Et il y a déjà d’importants arbitrages à poser.
On ne va pas les plaindre, hein. Le métier de parlementaire est bien payé, ses horaires sont compatibles avec une vie sociale et une vie intérieure intenses. Et puis, comme il est normalement exercé avec passion, le boulot d’élu a tout du job de rêve.
Le seul problème, c’est que pour l’exercer, il faut régulièrement se faire élire, et c’est pour cela que les élections préoccupent tellement les élus qu’on les plaindrait presque. Car pour qu’un élu le devienne, et pour qu’il le reste, il doit figurer en bonne place sur les listes présentées par sa formation. C’est précisément ce qui préoccupe aujourd’hui les aspirants candidats aux élections de juin 2024. Il n’est d’ailleurs pas complètement déraisonnable d’affirmer que, pour certains sortants, notamment ceux entrés dans les parlements par la suppléance, leur vie professionnelle est en jeu. Mais on ne va pas les plaindre, hein.
C’est aussi ce sur quoi travaillent les présidents de parti, qui ont eux-mêmes à s’assurer de la bonne poursuite de leur électif destin personnel, qui passe par celui de leur parti. Celui-ci se réglera comme se règle toute chose dans toute organisation politique structurée, de haut en bas. Un parti est une pyramide inversée dont la base repose sur le sommet, et de la place des gros bras sur les listes en juin 2024 dépendra la position des plus petites mains.
En attendant, les arbitrages définitifs entre la reconduction des sortants, la promotion de nouveaux entrants et le recrutement de personnalités extérieures, attendus partout au plus tard pour le début de l’année prochaine, avec les gros bras entre eux et les petites mains à côté, ça castagne déjà pas mal à certains étages des partis francophones. Surtout que tous, sauf un, s’attendent, au mieux, à une stabilisation par rapport à leur résultat de 2019. Donc que tous, sauf un, enverront peut-être un tout petit peu plus, mais plus sûrement juste autant, ou un peu voire beaucoup moins, d’élus dans les différents parlements renouvelés le printemps prochain.
Le plus tranquille à cet égard est le PTB. Il aura, c’est presque certain, encore davantage de sièges à offrir à des camarades méritants, qui sont censément moins animés par l’ambition personnelle que leurs concurrents. Le dernier congrès du parti a réaffirmé la volonté de promouvoir des «députés ouvriers», et le mode de fonctionnement de la formation communiste l’immunise contre les élections internes concurrentielles autant que contre les désaccords en public.
Bref, au PTB, il y aura de quoi satisfaire tout le monde, donc il y aura peu de déçus, et s’il y a des déçus, personne ne le saura.
Au PS, un nœud bruxellois
Le PS dévoilera, par binômes, ses têtes de liste début décembre. Paul Magnette mènera celle de la Chambre dans le Hainaut qui, avec ses 18 députés actuels et ses 17 à partir de 2024 (Bruxelles, elle, passera de 15 à 16), est la plus grosse circonscription francophone, et la plus cruciale pour le PS, encore plus que Liège et ses quatorze sièges (la principauté en perd un au profit de Namur). Comme il sera à la Chambre, le Carolo ne pourra pas être à la Région, et ça tombe bien pour le secrétaire d’Etat Thomas Dermine, qui participera à sa première campagne comme premier candidat PS à la Région dans l’arrondissement de Charleroi-Thuin qu’aurait pu occuper son président-bourgmestre.
Pour certains sortants, leur vie professionnelle est en jeu. Mais on ne va pas les plaindre.
Comme le Hainaut est crucial, certains socialistes souhaiteraient voir Elio Di Rupo aider en poussant la liste fédérale. Le Montois, pourtant, paraît promis à la tête de liste européenne, qui courra sur tout le territoire francophone: les nombreux «eliologues» que compte encore le parti à la rose n’ont pas manqué d’observer que, lorsqu’un scrutin se rapproche, l’actuel ministre-président wallon se déplace toujours plus fréquemment dans sa future circonscription, et qu’il allait désormais davantage à Arlon ou Liège qu’à Colfontaine ou même Mons.
Dans l’orient liégeois, où tout est toujours compliqué, les rôles sont déjà répartis entre Frédéric Daerden, qui sera à la Chambre, et Christie Morreale, à la Région. Mais dans le centre bruxellois, c’est de la simple décision d’un Liégeois d’origine, Ahmed Laaouej, que découlera le choix de tous les autres. Si le chef de groupe à la Chambre et président de sa fédération l’estime rationnel, il se présentera sur la liste régionale, comme candidat ministre- président. Sinon, il conduira une dure bataille fédérale contre Zakia Khattabi et Sophie Wilmès.
Dans les deux cas, ses camarades devront s’y plier: d’abord les potentiels candidats ministres-présidents (Philippe Close, Caroline Désir, voire encore Rudi Vervoort, qui avait annoncé que non, il n’envisageait pas de poursuivre après 2024, puis que oui, tout de même), mais aussi d’autres gros bras: Karine Lalieux et Nawal Ben Hamou, Rachid Madrane et Catherine Moureaux. La mécanique des équilibres entre les femmes et les hommes et le nord et le sud, enclenchée par un homme du nord-ouest, issu de l’immigration, s’imposera alors à tous les autres.
Au MR, carrefour européen et embouteillage carolo
Une tradition belge est très ancrée au MR, qui a souvent promu en Europe ses champions les plus méritants. Si ancrée que les trois derniers présidents du MR logent aujourd’hui aux trois coins du triangle européen, Olivier Chastel au Parlement, Didier Reynders à la Commission et Charles Michel au Conseil. Les deux derniers mandats ne sont pas électifs. Ils arrivent à échéance fin 2024, et la route des trois bleus converge vers l’élection directe au parlement de Strasbourg: chacun des trois serait une tête de liste légitime à l’Europe pour le Mouvement réformateur. Mais c’est Charles Michel, qui serait le premier président du Conseil à se présenter à une élection, qui décidera. S’il estime rationnel de se faire élire à Strasbourg, il mènera le combat réformateur européen aux dépens de Didier Reynders et Olivier Chastel.
Si pas, par exemple parce qu’un autre mandat international l’appelle, Didier Reynders devra s’imposer aux dépens d’Olivier Chastel. Dans les deux cas, ses camarades devront s’y plier. Didier Reynders, 65 ans, a déjà signifié qu’il n’avait pas l’intention de prendre sa retraite. Il lui faudra alors se trouver un pli dans la mécanique des équilibres entre les femmes et les hommes et le nord et le sud à Bruxelles, terre libérale où le MR regorge tant de talents qu’il en cède, comme Alexia Bertrand, aux camarades flamands.
Olivier Chastel, 58 ans, a déjà signifié qu’il aiderait là où il peut aider. Dans son arrondissement de Charleroi, où quatre parlementaires (Denis Ducarme et Caroline Taquin au fédéral, Nicolas Tzanetatos et Rachel Sobry à la Région) et un ministre (Adrien Dolimont) sortants devront probablement se caser sur trois places directement éligibles – la troisième à la Chambre dans le Hainaut et les deux premières à la Région dans la circons- cription de Charleroi-Thuin – Olivier Chastel aide déjà en ne réclamant rien pour lui à ceux-là qu’il a, en partie, formés.
De la place des gros bras sur les listes en 2024 dépendra la position des plus petites mains.
Les comités de liste sont composés chez Ecolo, qui proposeront, à l’automne, les meilleurs candidats aux «places stratégiques», éligibles en juin 2024. Pour éviter que des bourgmestres et échevins sortants ne court-circuitent la mécanique complexe de la reconduction des sortants (pas plus de deux mandats successifs sans dérogation ; on verra si Stéphane Hazée la demande), de la promotion de nouveaux entrants et du recrutement de personnalités extérieures, les premiers ont, dès juin, dû opter pour des places stratégiques éligibles aux communales d’octobre 2024.
Les coprésidents Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane auraient espéré voir, cet automne, leur mandat renouvelé de quatre ans, à la suite d’une élection interne. Il a été prolongé jusqu’à après le scrutin de juin 2024, et rien n’assure aujourd’hui qu’il sera reconduit. Cette incertitude devra bientôt les poser, par conséquent, à une place stratégique (on parie que Jean-Marc Nollet mènera, contre Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez, la bataille royale hainuyère à la Chambre, et que Rajae Maouane poussera la liste régionale). Dans les deux cas, les camarades des assemblées générales, ceux qui se prononceront sur les propositions des comités de liste, devraient s’y plier, même si, chez les verts, on craint le traditionnel reflux électoral consécutif aux participations gouvernementales. Bref, chez Ecolo, il n’y aura pas de quoi satisfaire tout le monde, donc il y aura des déçus, et s’il y a des déçus tout le monde le saura.
A cet égard, Les Engagés de Maxime Prévot sont les moins tranquilles du lot, dans la tendance inverse au PTB, somme toute, mais avec, pour le sommet de la pyramide partisane engagée, un pouvoir au moins aussi discrétionnaire que celui dont jouit la direction du PTB. Les départs pour désaccords, les sorties de route et autres retraites heureuses de plusieurs personnalités du ci-devant CDH (Alda Greoli, André Antoine, Céline Fremault, Catherine Fonck, etc.) ne laissent presque plus, comme anciennes figures, que Benoît Lutgen – annoncé tête de liste à la Chambre dans le Luxembourg – et Maxime Prévot – qui devrait conduire la liste fédérale namuroise. Cela offre au dernier nommé un espace pour porter de nouveaux visages, ceux de jeunes déjà au parti ou de recrues de la société civile, à des places éligibles. Le problème, c’est que rien ne dit que ces éligibles seront élus pour exercer ce job de rêve.
Mais on ne va pas les plaindre, hein.
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