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Le Vif a tenté de se mettre dans la tête et à la place des présidents de parti. Dans quel état mental sont-ils après les élections communales de 2024? © BELGAIMAGE/GETTY IMAGES

«Eh, oh, ça suffit maintenant, Georges-Louis, on ne va pas passer la nuit sur cette histoire de province de Hainaut»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le Vif a tenté de se mettre dans la tête et à la place des présidents de parti. Dans quel état mental peuvent-ils bien être après les élections communales de 2024? Essayons un peu d’imaginer…

Maxime Prévot et son téléphone

Mettez-vous à sa place une seconde. Il a gagné et Maxime Prévot se dit qu’il a son mouvement politique participatif horizontal, le meilleur de l’univers, et sa ville-capitale, la plus belle du monde. Il décide de tout, tout seul dans l’un comme dans l’autre, mais tout le monde continue de croire que son mouvement n’est pas un parti, il savoure à l’aise, et son téléphone sonne.

C’est Georges-Louis Bouchez qui lui rappelle qu’à la Province de Hainaut une majorité MR-Les Engagés est possible, que cette majorité serait plus cohérente avec le signal de l’électeur wallon du 9 juin et du 13 octobre, ils feraient ça sans le PS, ce serait historique et Lucie Demaret deviendrait députée provinciale avec un cabinet à Mons, rue de Nimy. Mais avec son merveilleux mouvement horizontal participatif, Maxime Prévot a tout cassé dans sa plus belle capitale du monde, et à Georges-Louis Bouchez il peut dire que la majorité namuroise se fera à eux deux, sans les écolos pour la première fois depuis 2006, il raccroche et il voit avec Pierre-Yves Jeholet et Frédéric Daerden si à la Province de Liège il n’y a pas moyen d’entrer, tout le monde est d’accord, et son téléphone sonne.

C’est Georges-Louis Bouchez avec son autre numéro qui lui fait observer que renvoyer le PS dans l’opposition hainuyère pour la première fois depuis un millénaire serait un signal fort qu’ils ont eu le courage de changer, surtout avec une députation provinciale à laquelle participerait Lucie Demaret qui a été plébiscitée par près de 4.000 électeurs du district de Charleroi, ce qui est moins que d’autres libéraux, mais eux habitent vraiment dans leur district donc bon. Mais Maxime Prévot peut répondre à son compagnon réformateur qu’à Bruxelles leur axe tient dans presque toutes les communes et il raccroche parce qu’il doit féliciter Eric Goffart et Thomas Dermine qui vont plus que probablement convoler ensemble à Charleroi, puis il doit voir avec ses Montois et Nicolas Martin, et son téléphone sonne.

C’est Georges-Louis Bouchez qui lui retéléphone avec son deuxième numéro pour lui dire que bien sûr si on veut, on peut faire une tripartite dans le Hainaut avec le PS, mais que ça impliquerait deux députés provinciaux pour le PS, deux pour le MR et seulement un pour Les Engagés et qu’il faut bien y réfléchir mais que lui pense qu’un de ses deux députés serait Lucie Demaret qui est une fille objectivement talentueuse qui saurait connecter les bassins de vie de Charleroi et de Mons et Maxime Prévot, là ça commence à bien faire et il crie «Eh, oh, ça suffit maintenant, on ne va pas passer la nuit sur cette histoire de province de Hainaut», en tout cas pas lui, merde à la fin, et il raccroche pour dire à Paul Magnette que le Hainaut est une province importante pour tout le monde et pour lui demander qui est Lucie Demaret.

Puis son téléphone sonne et c’est Georges-Louis Bouchez qui le rappelle avec un de ses deux numéros ou un numéro masqué ou bien son numéro fixe de la Toison d’Or où il est enfermé pour passer ses coups de fil alors que tous ses camarades l’attendent à Mons. «Maxime, tu as bien regardé les résultats à la province de Hainaut dans le district de Charleroi?» Et Maxime, eh ben, il regarde comment on fait pour mettre son seul téléphone sur silencieux.

Georges-Louis Bouchez et son mercato

Mettez-vous à sa place une seconde. Georges-Louis Bouchez a gagné, mais personne ne semble le reconnaître, et tout le monde n’a pas l’air de le savoir, même La Province, le grand journal montois, a dit que Nicolas Martin était deux fois plus fort que lui, et c’est vrai que c’est très humiliant personnellement, ça. Georges-Louis Bouchez n’a déjà pas la victoire modeste quand elle est éclatante. Et il n’a pas le triomphe partageur quand avec d’autres que lui tout son parti l’emporte. Alors, quand la victoire collective est contestée par une humiliation personnelle, il gagne comme un très mauvais perdant. Là, le président des Francs Borains veut rejouer le match. Il insulte l’arbitre, il cogne les supporters adverses, il snobe les siens qui l’attendent pendant des heures à Mons alors qu’il reste dans son bureau de dirigeant bruxellois, où il essaie de prolonger le mercato en recrutant des joueurs qui sont affiliés ailleurs. Il appelle tout le monde et il crie partout. Il rejoue le match qu’il a gagné mais dont certains –trop– disent, beaucoup trop, qu’il l’a perdu. Il appelle ceux de son parti qui n’ont pas pu signer un accord de majorité alors qu’ils ont gagné grâce à lui et les traite de nuls. Il appelle ceux des autres partis qui ont gagné mais qui n’ont pas voulu signer un accord de majorité avec les nuls de son parti qui ont gagné grâce à lui, et il crie et les traite de nuls, tous, ceux de son parti et les autres, mais à ces derniers il propose de beaux mandats s’ils signent avec son parti de vainqueurs. Il appelle les présidents des autres partis sauf Paul Magnette, et les présidents des fédérations des autres partis, et il traite les autres de nuls. Il ne veut pas convaincre tous ces nuls qu’il a gagné. Il appelle des conseillers des autres partis qui ont été élus, et eux, il veut les convaincre qu’ils ont perdu, et il traite les dirigeants de ces autres partis de nuls. Et, à eux, il promet de beaux mandats pour qu’ils rejoignent son parti de vainqueurs. S’il ne veut pas les convaincre qu’il a gagné, c’est parce qu’il s’en fiche. Ce qu’il veut, c’est leur faire comprendre, à tous, qu’il est plus fort qu’eux. Et que leur intérêt, à eux, est de tirer profit de sa force à lui. Pas de la subir. Mais tout le monde n’a pas l’air de le savoir.

Paul Magnette et sa spéciale

Mettez-vous à sa place une seconde. Il a gagné, du moins à Charleroi. Alors il le dit, il dit qu’il a gagné partout, il l’a dit le premier, avant les autres présidents de parti, évidemment les médias ont diffusé, les gens l’ont cru, ça s’est imprimé dans leur esprit et dans les gazettes, il a fait croire qu’il avait gagné partout et qu’il était sauvé, qu’il allait arrêter de s’ennuyer à Charleroi et qu’il pourrait enfin commencer à s’amuser au boulevard de l’Empereur. C’est la spéciale de Paul Magnette, et c’est merveilleux, pense-t-il, surtout qu’il pense que tout le monde le pense. Alors que c’est moyennement vrai, quand on y pense. A Charleroi, la majorité absolue est sauvée c’est vrai, mais Thomas Dermine fait le pire résultat en voix de préférence (11.360) pour une tête de liste socialiste là-bas depuis Lucien Harmegnies en 1976 (10.470). Et ailleurs, des socialistes sortent gagnants du scrutin, spécialement Ahmed Laaouej à Koekelberg et dans tout Bruxelles, Nicolas Martin à Mons, Déborah Géradon à Seraing, Christophe Collignon à Huy ou même Eric Thiébaut à Hensies, Dimitri Legasse à Rebecq, Laurent Devin à Binche ou Hugues Bayet à Farciennes, mais ils ne sont pas spécialement ces socialistes-là qui aiment le plus Paul Magnette. Ils risquent de continuer à ne plus spécialement l’aimer. Et les socialistes qu’il aime bien ne sont pas spécialement sortis gagnants du scrutin, comme Pierre-Yves Dermagne à Rochefort, Jean-Charles Luperto à Sambreville, Ludivine Dedonder et son époux à Tournai, ou Frédéric Daerden à Herstal et d’autres à Liège. Et ils risquent de l’aimer moins spécialement.

Tous ceux-là, aimants comme moins aimants, constatent que le 13 octobre aura été très spécial pour leur parti, dépassé par Les Engagés en Wallonie si on agrège les résultats des cinq provinces, et c’est la première fois de son histoire que le Parti socialiste wallon s’y retrouve troisième. Et tous ceux-là, mais aussi tous les autres, savent que Georges-Louis Bouchez a l’objectif explicite de forcer les grandes villes wallonnes à la banqueroute en les privant de financements wallons. Ce n’est pas spécialement merveilleux, mais Paul Magnette doit penser qu’il a gagné pour pouvoir le dire, et pour pouvoir le dire il se prévaut de sa relation spéciale avec Maxime Prévot, qui a choisi le MR plutôt que le PS dans sa ville de Namur mais qui, ailleurs, en profite joyeusement pour se distancier de Georges-Louis Bouchez là où il trouve ça rigolo. Spécialement à Wavre et Nivelles.

Raoul Hedebouw et ses responsabilités

Mettez-vous à sa place une seconde. Raoul Hedebouw n’a pas gagné les élections et il ne le voulait pas vraiment, particulièrement pas en Wallonie, mais il a dit que c’était une belle victoire pour son parti, parce que les résultats n’ont pas vraiment d’importance et que ce qui compte, c’est comment on les présente, et parce qu’il voulait aller au pouvoir pour grandir, et qu’il le pourrait bien, y compris en Wallonie. Il a répété que son parti avait vocation à entrer dans des majorités et qu’il y ferait ses preuves. Il négocie à Molenbeek et à Herstal, à Forest plus vaguement mais dans l’espoir d’une d’issue heureuse, et peut-être encore ailleurs, et pour Raoul Hedebouw et son parti c’est une étape cruciale dans une croissance qu’il présentait comme infinie mais qui est en fait très limitée. Il veut que le PTB grandisse, qu’il se responsabilise, et pour grandir il faut donc qu’il fasse ses preuves aux responsabilités. La preuve, le PTB était aux responsabilités à Zelzate avec Vooruit depuis 2018, et à Zelzate en 2024 Vooruit a fait deux fois plus de voix qu’en 2018 alors que le PTB a perdu un siège, mais personne ne dit qu’il a perdu. Et la preuve encore, le PTB n’était pas en majorité à Anvers, et à Anvers en 2024 il a fait plus de deux fois plus de voix qu’en 2018, mais tout le monde dit qu’il a perdu et que c’est Bart De Wever, qui a perdu près de 20.000 voix de préférence entre 2024 et 2018, qui a gagné. La preuve qu’en vrai les résultats n’ont pas vraiment d’importance et que ce qui compte c’est comment on les présente.

Samuel Cogolati et sa fierté

Mettez-vous à sa place une seconde. Samuel Cogolati n’est pas fier et tout le monde l’a remarqué. Mais il doit garder son air gentil. Toujours avoir l’air gentil. Ne pas cligner des yeux. Sourire sans desserrer les dents. Dire qu’on nous annonçait grands, grands, grands perdants mais que nous sommes que grands, grands perdants. Ne pas cligner des yeux. Dire qu’on fait de la politique autrement et qu’on le fera toujours. Sourire et ne pas desserrer les dents. Se plaindre que là où il pourrait prolonger des majorités de gauche, en particulier en Région bruxelloise, le PS choisit de signer avec le MR. Sourire et ne pas cligner des yeux. Choisir de signer avec le MR à Watermael-Boitsfort. Ne pas desserrer les dents. Essayer de voir si à Huy, on ne pourrait pas s’allier avec le PS et passer quelques appels à ses mandataires dans les communes où le PS pourrait avoir besoin d’Ecolo. Toujours avoir l’air gentil. Essayer de voir si à Huy on ne pourrait pas s’allier avec le MR et passer quelques appels à ses mandataires dans les communes où le MR pourrait avoir besoin d’Ecolo. Ne pas cligner des yeux. Avoir l’air gentil et dire que les autres sont méchants. Répéter que le MR sombre dans le populisme, les fake news, la droitisation et tout ce qu’on veut, et dire que c’est ce que la politique a de pire. Signer à Frameries avec le soutien de Georges-Louis Bouchez et de Jacqueline Galant. Ne pas cligner des yeux. Répéter que le PS préfère un parti qui sombre dans le populisme, les fake news, la droitisation et tout ce qu’on veut et dire, c’est ce que la politique a de pire. Offrir le maïorat de Tournai à une dame qui vous surnomme Gogolati. Sourire mais ne pas desserrer les dents. Ne pas être fier. Etre remarqué. Vouloir avoir l’air gentil. Ne pas être cru.

Sophie Rohonyi et sa seconde

Mettez-vous à sa place. Une seconde, pas plus: elle ne la gardera plus beaucoup plus longtemps que ça. Son parti est presque déjà en liquidation. Presque tout doit partir. Presque tous vont partir.

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