Didier Reynders, un nouvel échec après 25 ans de pouvoir exécutif au plus haut niveau
Hadja Lahbib a été préférée à Didier Reynders pour un poste de commissaire européenne. Une décision qui déçoit profondément l’ex-président du MR.
Didier Reynders n’a finalement pas été choisi par son parti pour être reconduit à la Commission européenne. Même si son mandat court jusqu’à l’automne et qu’il ne s’est pas prononcé sur la suite de sa carrière, cet échec a les allures d’un coup d’arrêt après un quart de siècle au plus haut niveau politique.
Agé de 66 ans, le libéral francophone est l’un des responsables politiques belges ayant connu la plus longue carrière dans des exécutifs au plus haut niveau, sans discontinuité depuis 1999. Longtemps ministre des Finances, puis des Affaires étrangères, il est devenu commissaire européen il y a cinq ans.
Né à Liège le 6 août 1958, Didier Reynders est licencié en droit de l’Université de Liège. Ses rencontres avec François Perin et Jean Gol ont été déterminantes. Le second, homme fort des libéraux francophones jusqu’à son décès en 1995, sera son mentor et lui confiera ses premières responsabilités publiques. En 1986, Didier Reynders est ainsi nommé à la présidence du Conseil d’administration de la SNCB, un mandat qu’il exercera jusqu’en 1991. Le PRL ayant rejoint l’opposition, il se retrouve sur les bancs de la Chambre où il a été élu pour la première fois en 1993.
En 1995, même s’il est considéré comme le dauphin de M. Gol, il doit s’effacer devant Louis Michel pour la présidence du parti. Il devient alors chef de groupe à la Chambre. Il mène la vie dure au gouvernement Dehaene-Di Rupo dont il pourfend la « rage taxatoire ».
C’est en 1999 qu’il accède au pouvoir exécutif. Il devient ministre des Finances lorsque les libéraux font leur retour dans les exécutifs après plus de dix ans d’opposition. À ce poste, il se fait connaître par la réforme fiscale du gouvernement arc-en-ciel et le passage à l’euro qu’il pilote en tant que président de l’Eurogroupe. Retrouvant son portefeuille des Finances en 2003, son deuxième mandat est marqué par la poursuite de la réforme fiscale et l’instauration de la Déclaration libératoire unique (DLU), qualifiée aussi d' »amnistie fiscale« .
La crise bancaire
En 2004, le PS relègue le MR dans l’opposition dans les Régions et Communautés au profit d’une alliance avec le cdH. Pour éviter d’être mis en minorité dans son parti, Louis Michel rejoint la Commission européenne. M. Reynders prend la place de vice-Premier ministre avant de décrocher la présidence du MR le 11 octobre 2004. Il devient le leader tout puissant des libéraux francophones.
En 2007, face à un PS secoué par des scandales politico-judiciaires, le MR remporte les élections. Cette victoire permet aux libéraux de devenir, à la Chambre, la famille politique la mieux représentée. Commence alors l’aventure de l' »orange bleue » sous la houlette d’Yves Leterme, figure de proue du CD&V et futur Premier ministre, et Didier Reynders… potentiel Premier ministre.
Cette coalition sans les socialistes ne verra jamais le jour. Elle se fracasse sur la revendication d’une réforme de l’État voulue par le CD&V, alors en cartel avec la N-VA, et sur le choix de la présidente du cdH, Joëlle Milquet, de ne pas laisser tomber les socialistes. Les relations entre la démocrate humaniste et l’homme fort du MR en sortiront détériorées irrémédiablement.
Dans le gouvernement Leterme, Didier Reynders rempile pour la troisième fois aux Finances. Ce sera sans doute son mandat le plus éprouvant. À la fin 2008, le système financier mondial traverse une crise sans précédent. Le gouvernement doit sauver les banques belges, en commençant par Fortis qui sera absorbée par les Français de BNP Paribas. Didier Reynders et Yves Leterme sont en première ligne pour piloter l’opération, non sans susciter certaines questions. Une commission d’enquête sera mise sur pied pour déterminer si des cabinets ministériels, notamment celui de M. Reynders, ont fait pression sur la justice dans ce dossier.
En 2009, le MR mène à nouveau une campagne tambour battant contre le PS. Didier Reynders lâche alors l’épithète d' »infréquentable » à l’adresse des socialistes. Les résultats ne sont pas au rendez-vous, le PS sauve la mise et Ecolo remporte les élections. Une coalition Olivier se met en place, sans le MR. La double casquette de Didier Reynders, à la fois vice-Premier ministre et président du MR commence à être sérieusement contestée au sein du parti.
Un déménagement à Uccle
En juin 2010, les libéraux perdent les élections que remportent socialistes au sud du pays et nationalistes de la N-VA au nord. Ils sont d’abord écartés des discussions mais, alors que la Belgique traverse la crise politique la plus longue de son histoire, ils reviennent dans le jeu au printemps 2011.
Entre-temps, la contestation a pris de l’ampleur au sein du MR, orchestrée par le groupe « Renaissance » organisé autour de Charles Michel. Didier Reynders doit se résoudre à quitter la présidence du Mouvement à laquelle accède son rival en janvier 2011. Le changement de présidence et la conclusion d’un accord institutionnel, jugé par le FDF trop faible pour les francophones, entraînent le départ de la formation amarante des sphères du MR.
Dans l’équipe Di Rupo, Didier Reynders conserve le poste de vice-Premier ministre et reçoit le portefeuille des Affaires étrangères. Ses prédécesseurs libéraux, Louis Michel et Karel De Gucht, s’étaient distingués par quelques déclarations fracassantes. Reynders préfère la prudence.
En janvier 2012, il quitte Liège pour s’installer à Bruxelles où les libéraux sont en manque d’une forte personnalité. Il se présentera aux élections communales à Uccle et mènera la liste MR aux élections législatives. En 2013, il reçoit la Légion d’honneur des mains de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy. Le carnet d’adresses du ministre belge est réputé être l’un des plus fournis du Royaume.
Le retour comme informateur
Didier Reynders était promis à la Commission européenne lors de la formation du gouvernement fédéral en 2014, mais le revirement du CD&V, qui renonce au poste de Premier ministre pour celui de commissaire, bouleverse son plan de carrière. Le MR hérite du poste de Premier ministre qui va à Charles Michel, président du parti et formateur. Didier Reynders rempile aux Affaires étrangères. L’habitué des phrases choc dans les interviews se fait plus discret sur la scène nationale. Il sillonne le monde pour promouvoir la candidature belge au Conseil de sécurité des Nations unies. Son mandat sera également marqué par une crise diplomatique avec le Congo. En Europe, il se fait l’obstiné défenseur d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme et, vis-à-vis de la Russie, prône infatigablement la doctrine Harmel qui mêle fermeté à l’égard du grand voisin tout en maintenant des canaux de dialogue.
L’affaire du Kazakhgate viendra ébranler la réputation du vice-Premier ministre MR à l’automne 2016. L’un de ses proches, Armand De Decker, est accusé de s’être servi de ses fonctions parlementaires au profit d’un trio d’hommes d’affaires kazakhs. Le dossier débouche sur la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et l’ouverture d’une instruction judiciaire. Aucun fait n’implique toutefois M. Reynders. Il hérite de la Défense en fin de législature, après le remaniement de décembre 2018 dû à la défection de la N-VA.
En juin 2019, un poste international européen lui échappe une nouvelle fois. Il briguait le secrétariat général du Conseil de l’Europe mais l’assemblée parlementaire de l’institution lui préfère la Croate Marija Pejcinovic Buric.
Malgré ses ambitions internationales, Didier Reynders n’a pas abandonné la scène nationale. Au lendemain des élections, il est désigné informateur par le Roi aux côtés de Johan Vande Lanotte. Le gouvernement d’affaires courantes Michel II le choisit quelques semaines plus tard pour devenir commissaire européen, sous l’égide de la présidente nouvellement élue, l’Allemande Ursula von der Leyen.
Les déboires européens
Le juriste se voit confier la Justice, un portefeuille qu’il affectionne et qui comprend le délicat sujet du respect de l‘État de droit, ainsi que des droits des consommateurs, dans une société de plus en plus numérique. Son mandat est marqué par la création du certificat covid européen, la défense de l’État de droit face à des « démocraties illibérales » (Hongrie, Pologne), ou encore par les questions du gel des actifs russes et de la poursuite des crimes dus à l’agression russe sur l’Ukraine.
Fin 2023, il gère pendant quelques mois l’important portefeuille de la Concurrence de sa consoeur et vice-présidente, Margrethe Vestager, le temps que celle-ci mène sa campagne – sans succès – à la présidence de la Banque européenne d’investissement (BEI). Il se met dans la foulée en congé de la Commission pour mener sa propre campagne – la deuxième – au poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe.
C’est que, sur la scène politique belge, un imbroglio l’a poussé à ne plus se présenter aux élections. Désireux de prendre la tête de la liste européenne de son parti, Didier Reynders s’est vu barrer la route par la désignation tardive à cette place de Charles Michel, le président du Conseil européen. Le renoncement-surprise de ce dernier, vingt jours plus tard, a finalement ouvert la voie à Sophie Wilmès. Un énième épisode de la rivalité Reynders-Michel, qui n’a pas empêché le MR de s’imposer dans les urnes en juin 2024, sous la conduite de son nouvel homme fort, Georges-Louis Bouchez.
En juin, désormais privé de mandat électif, Didier Reynders échoue pour la seconde fois au Conseil de l’Europe. Sa présence continue depuis un quart de siècle dans les exécutifs au plus haut niveau est plus que jamais menacée. Le 7 juillet, il annonce sa candidature à sa reconduction à la Commission européenne… une manoeuvre délicate, qui place le MR devant le fait accompli et qui ne connaîtra pas, à nouveau, le succès. Au bout de quelques jours de suspense, le président des libéraux, Georges-Louis Bouchez, annonce qu’il choisit la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib… Didier Reynders exprime sa « profonde déception » à celui qu’il avait recruté à son cabinet treize ans plus tôt et ainsi contribué à lancer en politique.