« Deux poids, deux mesures »: pourquoi le MR laisse les agriculteurs bloquer les routes (analyse)
Le mouvement de grogne des agriculteurs bénéficie d’une plus grande largesse de la part de certains partis politiques, qui n’ont aucun intérêt électoral à les empêcher de manifester leur mécontentement. Analyse avec Jean Faniel, le directeur du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp).
Les agriculteurs manifestent leur colère aux quatre coins de la Belgique depuis plusieurs jours. Au volant de leurs tracteurs, ils bloquent les routes. À pied, ils barrent l’accès des entrepôts chargés de l’approvisionnement des produits de la grande distribution. Tout le pays est paralysé mais les politiques (le MR en tête), à qui les actions collectives des agriculteurs s’adressent, n’osent pas (vraiment) condamner le mouvement de grogne.
« Du côté de la classe politique, on laisse faire les agriculteurs, analyse Jean Faniel, le directeur du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp). Il y a deux poids deux mesures, quand on observe à quel point certains politiques critiquent les actions de grève menées par les syndicats ».
Le MR et les agriculteurs: une histoire d’amour de longue date
En Belgique, l’agriculture est une compétence partagée. Sous cette législature, les portefeuilles sont détenus par deux ministres MR : David Clarinval au niveau fédéral et Willy Borsus au niveau wallon. « Les libéraux se présentent comme les relais privilégiés des agriculteurs », continue le politologue.
Et pour cause : le MR occupe le ministère fédéral de l’Agriculture depuis 2003. Sabine Laruelle, actuelle sénatrice libérale et ancienne présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), y est restée pendant 11 ans. Depuis sa création à la fin du 19e siècle, le poste a toujours été occupé soit par un parti libéral, soit par un parti catholique. À l’exception d’un passage express du socialiste Arthur Wauters en 1946.
« Historiquement, le CD&V et le cdH ont des contacts étroits avec le monde agricole »
Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp)
Même tendance côté wallon : depuis sa création en 1985, le ministère wallon de l’Agriculture n’a été occupé qu’à une seule reprise par la gauche, avec l’élu PS José Happart entre 1999 et 2004. Le reste ? Une alternance entre ministres libéraux et chrétiens-démocrates. « Historiquement, le CD&V et le cdH ont des contacts étroits avec le monde agricole, le premier avec le Boerenbond (syndicat agricole flamand, NDLR) et le second avec la Fédération wallonne de l’agriculture ».
« Les plus embêtés par la fronde semblent être les écologistes »
Jamais les verts n’ont géré ce portefeuille, mais aujourd’hui la ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier est prise pour cible. Certains agriculteurs réclament même sa démission. « Les plus embêtés par la fronde semblent être les écologistes, reconnait Jean Faniel. Ils tentent de pousser pour une agriculture durable, mais beaucoup d’agriculteurs leur répondent qu’ils ont besoin du glyphosate dans leur pratique ».
D’après Jean Faniel, les agriculteurs en viennent à bloquer les routes car les moyens plus ‘soft’ de se faire entendre n’ont pas fonctionné. « Suivent alors des actions symboliques, comme de déverser du lait dans les champs, des pommes de terre devant un cabinet ou une institution politique. Ou carrément des opérations escargot en tracteur, avec des barrages filtrants voire bloquants sur les routes ».
MR: un traitement de faveur pour les agriculteurs ?
Des barrages que les autorités ne tentent pas de démanteler. Le signe, selon le directeur du Crisp, d’une asymétrie dans les réactions aux mouvements protestataires. « Les syndicats se font parfois condamner en justice suite à leurs grèves ou manifestations. On ne voit pas la même répression dans le cadre de la fronde des agriculteurs ».
Comment l’expliquer ? « On n’est pas dans une situation semblable à celle d’une entreprise, où des employés protestent pour faire passer un message à leur patron. Les agriculteurs se revendiquent plus comme des travailleurs indépendants ».
En 2021, 17 syndicalistes de la FGBT avaient été condamnés par la cour d’appel de Liège à des peines de prison avec sursis et autres amendes, dans l’affaire « du pont de Cheratte ». Plus récemment, des travailleurs de Delhaize avaient été empêchés par la justice de manifester en piquet de grève devant les magasins et dépôts du groupe. « C’était une menace claire au droit de grève », rappelle Jean Faniel.
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