Des Engagés et quatre adversaires jaloux: comment PS, Ecolo, MR et DéFI veulent contrer leur ascension
Les Engagés sont en croissance. Ils deviennent une menace pour les quatre autres partis de gouvernement, qui les ménageaient jusqu’à présent.
Sur le dos de Maxime Prévot est accrochée une cible que pointent quatre adversaires jaloux. Mais dans ses mains il tient un bouquet, que convoitent quatre promis pleins d’envie. Ces adversaires et ces promis sont les mêmes, qui veulent à la fois flinguer et convoler. Ces quatre partis démocratiques, le PS, le MR, DéFI et Ecolo, ne sont pas dans leur meilleure forme dans les sondages. Ils sont à la fois des concurrents électoraux et des partenaires de gouvernement potentiel des Engagés de Maxime Prévot.
Or, la formation centriste, enquête après enquête, semble devenir aussi centrale que Maxime Prévot l’espérait en Wallonie, et donc presque incontournable en Belgique francophone. Les quatre promis jaloux en ont donc fait la cible de leurs dernières semaines de campagne, d’ici au 9 juin, avant de revenir à leurs promesses de coalitions à nouer après cette date.
Voici comment MR, DéFI, Ecolo et PS veulent contrer l’ascension des Engagés.
Pour le MR, n’en parler jamais, y penser toujours
Les sondages ne sont pas fameux pour le MR en Wallonie, et ils y sont très bons pour Les Engagés. Les enquêtes d’opinion sont excellentes pour le MR à Bruxelles, et elles y sont très mauvaises pour Les Engagés. Et ces fortunes croisées démontrent comme les formations de Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot sont concurrentes dans l’isoloir avant même de l’être pour l’accès au pouvoir. Selon le grand baromètre du Vif réalisé en mars par Kantar, 20% de ceux qui pourraient envisager de voter pour Les Engagés pourraient voter pour le MR, et 24,5% de ceux qui pourraient envisager de voter pour le MR pourraient voter pour Les Engagés. C’est à chaque fois le plus gros bataillon d’électeurs potentiels.
Le MR ne doit donc jamais parler de son principal concurrent tout en y pensant toujours.
Le 9 juin, le succès de l’un pourrait donc signer la défaite de l’autre, et c’est pourquoi l’ascension des Engagés est un sujet majeur de préoccupation pour Georges-Louis Bouchez. Mais certainement pas un sujet de communication. Il ne peut attaquer frontalement Les Engagés. Leur profilage en droite convenable, avec leurs dix milliards d’économies dans les dépenses publiques mais pas dans les soins de santé ni dans la sécurité sociale, avec leur travail obligatoire après deux ans de chômage qui en fait ne concernerait personne, avec leur liberté de vote sur l’avortement qui est celle des libéraux depuis 1961, concurrence un MR qui se veut parti unique de la droite authentique contre «50 nuances de gauche». Le MR ne doit donc jamais parler de son principal concurrent tout en y pensant toujours, comme il doit montrer qu’il est le seul à vraiment s’opposer à la gauche wallonne et bruxelloise pour pouvoir être le seul à gouverner avec elle à Bruxelles et en Wallonie. Si le MR reproche à la droite convenable d’être de droite, il la légitime auprès des électeurs hésitants de droite, et s’il lui reproche d’être convenable, il la renforce auprès des électeurs hésitants du centre. Il doit donc montrer sa différence sans la justifier. En appuyant sur un des points de programme qui les distingue à droite, par exemple l’immigration, qui est l’unique thématique sur laquelle le CDH a eu le «courage de changer» sans adopter la position la plus populaire dans les sondages. Et en insistant sur ce qui convient aux cinquante nuances de Flandre, aussi, pour se rendre incontournable, donc crédible aux francophones, depuis l’extérieur. L’interview de Georges-Louis Bouchez avec Sammy Mahdi, par laquelle le MR et le CD&V, qui fait pourtant liste commune avec Les Engagés à Bruxelles, appelaient ensemble à une coalition fédérale avec la N-VA relève en fait de cette tournure stratégique. L’invitation faite à Alexander De Croo au 1er mai libéral à Mons également.
Pour DéFI, cibler Bouchez pour toucher Prévot
A Bruxelles, les sondages ne sont pas bons pour DéFI, et pas pour Les Engagés non plus, mais ils sont bons pour ces derniers et mauvais pour ces premiers en Wallonie, et donc les premiers comme les derniers peuvent regretter de n’avoir pas pu mener leur projet de fusion à bien. Ce regret, périphérique pour Les Engagés dont les bastions sont wallons, est existentiel pour DéFI, dont la base est bruxelloise, si bien qu’un premier réflexe a pu pousser François De Smet à cibler Maxime Prévot. Il le fit à sa manière polie lors du premier débat présidentiel de la RTBF. Réaction compréhensible mais nuisible, puisqu’elle distingue DéFI d’un concurrent presque insignifiant à Bruxelles, et qui de ce fait n’en est pas vraiment un. Pourtant, selon l’enquête électorale du Vif, 18,2% des électeurs potentiels des Engagés pourraient un jour voter pour DéFI. Mais ce potentiel électorat cherche une droite convenable, donc signifiante, ce que les turquoises ne sont pas à Bruxelles, et ce que les amarantes ne sont pas en Wallonie. Aucun des deux n’a donc intérêt à faire de l’autre sa cible publique et privilégiée. Les deux doivent donc surtout se distinguer du Mouvement réformateur, pour le priver du monopole droitier auquel il prétend. Présenté alors comme une nuance de droite, le libéralisme social de François De Smet doit donc avant tout contredire le « libéralisme tout court » de Georges-Louis Bouchez, en se montrant un meilleur libéral que lui, sur la laïcité, sur l’économie, sur l’immigration, sur la gouvernance, mais, surtout, sans opposer le «bouclier social» de son programme au «bouclier fiscal» réformateur. C’est ainsi que DéFI pourra, peut-être, intercepter ces électeurs qui lui font défaut, et qui relancent le MR à Bruxelles sans y renflouer Les Engagés.
Contre les centristes, Ecolo doit se recentrer sur une question climatique dont les verts sont propriétaires.
Pour Ecolo, ramener les Engagés au CDH
Les sondages ne sont pas très bons, à Bruxelles et surtout en Wallonie, pour Ecolo, et ceux qui leur sont les plus néfastes sont ceux qui sont les plus profitables aux Engagés, en Wallonie principalement où plus les turquoises sont hauts, plus les verts sont bas et inversement. Les Engagés se remplument donc en partie des électeurs qui firent le succès écologiste de 2019, dans un contexte où le climat était une préoccupation politique plus vive pour de nombreux francophones. Selon l’enquête réalisée par Kantar pour Le Vif, 19,5% des sondés qui envisagent de voter pour Ecolo pourraient le faire pour les Engagés. Et Maxime Prévot, soucieux d’apparaître en environnementaliste bien élevé autant qu’en homme de droite convenable, ne manque jamais d’insister sur le dogmatisme allégué des verts autant qu’il déplore l’isolement attribué au MR. Cette présentation d’Ecolo en épouvantail à pragmatiques s’appuie notamment sur un changement de doctrine sur une énergie nucléaire redevenue populaire, du CDH vers les Engagés: le CDH était contre, les Engagés sont pour. Mais elle repose aussi sur la dénonciation du progressisme d’Ecolo sur les questions sociales et de société, sur son féminisme radical, son antiracisme obstiné, sa volonté de taxer les grosses fortunes, etc. Et là, contre les centristes, Ecolo doit se recentrer sur une question climatique dont les verts sont propriétaires, donc centraux, plutôt que sur les questions sociales et de société, sur lesquelles les verts sont soit alliés de la gauche, soit en pointe des progressistes, donc soit excentrés, soit excentriques. A la Greenhouse, depuis longtemps, sous le hashtag #plusvertplusjuste, on se dit qu’il vaut mieux insister sur le vert que sur le juste. Et on proclame la jeunesse de son vert en faisant grisonner le turquoise. C’est pourquoi à chaque débat, Jean-Marc Nollet fait mine de se tromper et appelle CDH, parfois même PSC, Les Engagés. Il veut signifier que les centristes n’ont pas vraiment changé depuis ce passé auquel il voudrait ramener Maxime Prévot, celui de 2019, dans lequel Ecolo était devenu central aux dépens des centristes.
Pour le PS, se montrer plus solide que solidaire
Les sondages sont mauvais, à Bruxelles et en Wallonie, pour un PS qui, pourtant, partait déjà en 2019 d’un résultat très bas. La cause principale du déclin socialiste, c’est l’ascension du PTB. Mais celle des Engagés alimente, autrement et également, le spleen des hauts étages du Boulevard de l’Empereur. Egalement parce que les mouvements électoraux du rouge au turquoise ne sont pas négligeables. Selon l’enquête réalisée par Kantar pour Le Vif, 21% des électeurs potentiels du PS pourraient voter pour Les Engagés, ce n’est pas rien. Il y a un an déjà, Paul Magnette disait estimer à 2% les marges à aller chercher chez ceux qu’il appelait «les chrétiens de gauche». Et autrement parce que cet électorat-là n’est pas celui que tente le PTB, que le PS tente de conserver en s’affichant progressiste, mais plutôt celui de segments plus conservateurs qui font progresser les Engagés. Des électeurs plus centristes, qui choisissent un parti moins assertif sur les valeurs mais qui fait bien croire qu’il est là pour tenir la boutique. C’est cet électorat, plus mouvant que celui qui est parti au PTB, que doit attirer le premier terme du slogan 2024 du PS, Solide et solidaire. Apparemment ces mouvants chercheraient du solide. Ils se préoccuperaient davantage de ce que le PS a fait que de ce qu’il dit qu’il fera. Mais ces mouvants solides s’effraient, observe-t-on au PS, des formules trop brutales. L’emphase avec laquelle les socialistes communiquent sur leur bilan ne doit, de la sorte, plus tellement épingler les «couillons» du PTB. Elle doit surtout, désormais, rallier les plus mollassons en arrêtant de railler les couillons. Et en se montrant, au fond, plus solide que solidaire.
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