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Het Conclaaf, Pyjama Partis: comment expliquer l’engouement pour la téléréalité politique? «Les francophones ont réussi à battre les Flamands sur leur propre terrain»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A moins de deux semaines des élections, l’émission «Het Conclaaf» connaît un succès fulgurant en Flandre. Dans un autre registre, RTL diffuse «Pyjama Partis» et la RTBF «Politic Challenge», deux concepts originaux à destination des primo-votants. La «politique-divertissement» a décidément le vent en poupe.

Des centaines de milliers de téléspectateurs. Les deux premiers épisodes de «Het Conclaaf», diffusés respectivement les 16 et 23 mai sur VTM, ont frôlé les records d’audience au nord du pays. Un carton qui tient notamment à l’originalité du programme: le temps d’un week-end, les producteurs ont rassemblé sept ténors de la politique flamande (Alexander De Croo pour l’Open VLD, Bart De Wever pour la N-VA, Tom Van Grieken pour le Vlaams Belang, Sammy Mahdi pour le CD&V, Conner Rousseau pour Vooruit, Petra De Sutter pour Groen et Raoul Hedebouw pour le PTB-PVDA) dans un château érigé au fin fond de la campagne wallonne. Entre un repas spaghetti et une session d’observation ornithologique, les leaders politiques ont confronté leurs visions sur différentes thématiques d’actualité, laissant place à quelques invectives et règlements de compte.

Deux semaines auparavant, les médias du sud du pays ont également tenté de mêler politique et divertissement à travers deux concepts plutôt farfelus. Dans «Politic Challenge», diffusé mi-mai sur le compte TikTok «Mise à Jour» de la RTBF, les figures de proue des partis francophones ont été invitées à répondre aux questions des primo-votants à bord d’une attraction à sensation forte. De son côté, RTL a opté pour une «pyjama party» avec différents représentants politiques, enregistrée dans le kot d’un étudiant de 21 ans.

Ces trois programmes, bien que différents dans leur approche, prouvent l’importance pour les candidats aux élections du 9 juin de capter un public plus jeune et généralement déconnecté des sphères politiques. «De telles émissions ont potentiellement beaucoup d’impact, car outre les taux d’audiences qu’elles suscitent, elles entraînent des réactions et des partages sur les réseaux sociaux, voire même des commentaires dans la presse de l’autre côté de la frontière linguistique, souligne Dave Sinardet, politologue à la VUB. Elles ont un retentissement énorme, bien plus important que le énième débat politique du dimanche. Pour les politiques, c’est une opportunité à ne pas rater

Une tradition flamande

De là à convertir durablement un public non averti à la politique, il y a un pas. Surtout pour les émissions à caractère quasi uniquement ludique, comme Pyjama Partis, qui laisse apercevoir Rajae Maouane (Ecolo) répéter une chorégraphie avec un lutin ou Raoul Hedebouw (PTB) s’essayer au rap. «Ce type de programme ne tire pas la politique vers le haut, déplore Caroline Sägesser, politologue au Crisp. Je comprends l’intérêt de Het Conclaaf, qui surprend par son efficacité et laisse réellement la place au débat politique. Mais j’ai du mal à saisir la plus-value de Pyjama Partis.»

@rtlplay Raoul Hedebouw et Hugo font un clip de rap 🎤 “Pyjama Partis” c’est sur RTL play 🎬 #pyjamapartis #humour #rap #clip #politique #election #vote #9mai @Hugo Neyt @RTL info ♬ son original – RTLplay
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Une différence qualitative qui s’explique notamment par des traditions médiatiques différentes entre le nord et le sud du pays. «La Flandre est vraiment pionnière dans le politainement, qui marie la politique au divertissement, rappelle Dave Sinardet. Depuis une trentaine d’années, on voit des politiciens participer à des télé-crochets aux côtés de chanteurs, d’acteurs et de sportifs, où le curseur de l’amusement est placé très haut.» Le président de la N-VA, Bart De Wever, a d’ailleurs forgé sa notoriété grâce à sa participation à l’émission «De Slimste Mens ter Wereld», qui a comptabilisé des millions de vues. L’ex-président de Vooruit, Conner Rousseau, s’est également illustré dans «The Masked Singer» en 2022. «Les politiques flamands ont eu le temps de s’habituer à ce genre de formats et semblent plus à l’aise dans ce rôle de célébrité, note Caroline Sägesser. Cela joue sans doute sur la qualité du programme.» Et Dave Sinardert d’ironiser : «Les médias francophones ont réussi à battre les Flamands sur leur propre terrain de jeu. Ils sont parvenus à réaliser des émissions avec encore moins de contenu politique… Il fallait le faire!»

Une temporalité discutable

Si «Het Conclaaf» séduit par son format, son timing a de quoi laisser perplexe. La dernière émission sera en effet diffusée le 6 juin, soit à peine trois jours avant les élections. «Cette temporalité me met mal à l’aise, réagit Caroline Sägesser. L’un ou l’autre extrait (coupé et monté par les réalisateurs) pourrait avoir un effet important sans que les politiques concernés n’aient le temps de s’en expliquer avant le scrutin. Déontologiquement, je pense qu’il aurait été préférable de diffuser l’émission plus tôt dans la campagne électorale. Surtout si l’objectif était de créer un effet d’entrainement, en éveillant d’abord l’intérêt du public pour la politique et d’ensuite lui laisser vraiment le temps de creuser les programmes des différents partis avant de faire un choix.»

Un timing de diffusion qui laisse également peu de place à la spontanéité. «Vu l’échéance cruciale, les politiques sont particulièrement prudents dans leurs déclarations, note Dave Sinardet. Certes, le contexte du château offre une dynamique différente de celle d’un débat de vingt minutes sur un plateau de télé, mais les politiques invités sont tous entourés de grands professionnels de la communication, qui connaissent les enjeux de l’émission et ont élaboré toute une stratégie. Cette impression de réalité ou d’authenticité est finalement faussée.»

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