Vague azur ou retour en force de la gauche? Voici les enjeux des élections communales
Quatre mois après les élections de juin, c’est reparti pour un tour. Aux élections communales, le MR et Les Engagés chercheront à achever la concurrence. Et les autres, à se refaire une santé. Voici les grands enjeux du scrutin.
De longue date, 2024 avait été pointée comme une annus electoralis. En voici venu le second point d’orgue, les élections communales, quatre mois après le triple scrutin de juin, qui fit apparaître, dans un paysage politique belge que l’on dit atomisé, une certaine limpidité. Il y eut des vainqueurs et des perdants. Des gouvernements se sont formés, rapidement, dans les fractions francophone et germanophone du pays. Les choses se mettent en place en Flandre et au fédéral. Seule la Région bruxelloise, finalement, reste en proie à de profondes incertitudes.
C’est une conséquence de ce calendrier: hormis lors d’un répit estival, la campagne semble ne jamais s’être interrompue. Les élections locales prennent des allures de second tour, qu’il s’agisse de prolonger une belle dynamique ou d’enrayer une tendance défavorable.
Un scrutin pas comme les autres
Les partis tireront des enseignements, au soir du dimanche électoral. Avec eux, les spécialistes de la science politique brosseront les tendances, désigneront les vainqueurs et les perdants. Mais tous s’empresseront de rappeler que les élections communales sont différentes des autres, qu’il convient de garder cette idée à l’esprit au moment de tirer ses conclusions.
C’est un poncif, certes, mais qui n’est pas totalement dénué de pertinence: le scrutin communal, ce sont en réalité autant de scrutins qu’il y a de communes (261 en Wallonie et 19 à Bruxelles), avec des popularités locales, des relations interpersonnelles, des enjeux spécifiques, des sociologies particulières, un attachement aux candidats plutôt qu’aux grands partis.
Le scrutin communal, ce sont en réalité autant de scrutins qu’il y a de communes
Cette distanciation se vérifie dans la nature des listes, dont les appellations ne sont pas toujours celles des partis. Certaines équipes comptent des candidats de tendances différentes ou sans apparentement. Des cartels se forment, des accords préélectoraux se font et se défont.
Même dans les grandes villes, où les élections communales se structurent plus qu’ailleurs autour des grands partis, des listes d’ouverture se forment parfois. Avec, sur les bulletins de vote, des appellations diverses: PS+ ou Vert Ardent-Ecolo à Liège, MR-IC à Charleroi, Mons en mieux et Liste du bourgmestre à Mons, MR+ à Bruxelles, sans oublier les innombrables «Liste du bourgmestre», «Ensemble», «Intérêts communaux» et autres jeux de mots plus ou moins heureux.
Dissocier complètement les élections communales de l’échiquier politique global, comme s’il n’existait pas de lame de fond, n’a pas davantage de pertinence. Les partis sont en campagne, défendent leurs bastions, convoitent des mayorats, protègent leurs majorités absolues ou, là où c’est possible, espèrent quelques renversements. Les résultats influeront aussi sur d’autres niveaux de pouvoir et sur les tractations en cours. Dans le contexte des négociations d’une coalition Arizona au fédéral, sortir renforcé ou sanctionné des élections locales vous place dans une position plus ou moins confortable.
Ce sera probablement l’enjeu majeur du scrutin communal: le bouleversement des élections de juin se confirmera-t-il, une fois que le puzzle des enjeux locaux se complétera?
Un scrutin pour transformer l’essai
Devenu le premier parti francophone en juin, le MR entend logiquement poursuivre sur sa lancée. Un récent sondage, réalisé en septembre par Ipsos pour le compte du Soir et de RTL, confirmait dans les intentions de vote la prédominance des libéraux, malgré un léger tassement en Wallonie, mais avec une progression à Bruxelles.
A vrai dire, le MR est déjà le parti qui occupe le plus de mayorats, puisqu’on compte en Wallonie et à Bruxelles une centaine de bourgmestres. Ces communes ne sont en général pas les plus peuplées, les plus importantes étant les bruxelloises Uccle et Etterbeek et, en Wallonie, les localités brabançonnes de Braine-l’Alleud, Wavre et Waterloo.
Le MR est-il en mesure de s’emparer de quelques hôtels de ville de plus grande envergure? Telle est l’ambition affichée par le président Georges-Louis Bouchez dans son fief de Mons, en tout cas. Là, l’affrontement avec le socialiste Nicolas Martin s’avère particulièrement musclé, mais lui ravir la première place relève probablement de la gageure. Ce sont certes des scrutins différents, mais dans la Cité du Doudou, le PS était resté en tête tant au fédéral qu’à la Région, en juin. La liste Mons en mieux est promise à une progression, mais ne récoltait que la moitié (21,49%) des voix du PS (44,25%) lors du précédent scrutin communal. Si renversement il y a, la surprise sera de taille, assurément.
Le MR est déjà le parti qui occupe le plus de mayorats. Il compte en Wallonie et à Bruxelles une centaine de bourgmestres.
Bruxelles, Charleroi et Liège seront vraisemblablement dominées par les socialistes, n’en déplaise à Georges-Louis Bouchez et aux siens. On voit mal qui pourrait déloger Les Engagés de Maxime Prévot à Namur. Aussi, c’est dans des villes certes importantes, mais d’un poids démographique légèrement moindre, que le MR pourrait éventuellement renverser la majorité en place. Historiquement libérale, Ixelles, par exemple, était tombée dans l’escarcelle écologiste en 2018. Mais la «vague verte» de l’époque semble lointaine. A Watermael-Boitsfort, les libéraux pourraient profiter du retrait de l’écologiste Olivier Deleuze. Les élections de juin ont aussi vu les libéraux passer en tête dans des communes de tradition socialiste, comme Oupeye en région liégeoise ou Soignies dans le Hainaut. D’autres villes, comme Tournai, sont dans le viseur des libéraux.
Depuis juin, les vents semblent également favorables aux Engagés, l’autre grand vainqueur des élections régionales et fédérales, mais avec des réalités contrastées: une résurrection en Wallonie, mais une progression plus limitée à Bruxelles. Dans les deux Régions, on dénombre une soixantaine de bourgmestres centristes. Certaines villes et communes restent des places fortes: Namur, en premier lieu, comme Mouscron et Gembloux, et, en Région bruxelloise, Woluwe-Saint-Pierre notamment. A l’image du MR, Les Engagés sont bien installés dans une quantité de communes de petite et moyenne taille, les deux formations se faisant parfois concurrence sur le terrain local, d’ailleurs.
Libéraux et centristes, parfois avec DéFI, ont également choisi de former des cartels dans une série de communes, souvent à majorité socialiste. Le phénomène s’observe notamment dans les régions liégeoise et bruxelloise. Unir ses forces dans un cartel peut sensiblement accroître sa représentation au conseil communal, grâce au fonctionnement de la clé de répartition des sièges. Mais l’arme est à double tranchant: ce binôme peut représenter une cible à abattre, ou à renvoyer d’office dans l’opposition. Dans d’autres cas, comme à la Ville de Bruxelles, les forces du centre-droit n’ont pas formé de liste commune, mais annoncent ouvertement vouloir gouverner ensemble.
Le nord du pays a lui aussi vu quelques partis sortir vainqueurs des urnes, en juin, avec la volonté de confirmer aux élections communales. On en dénombrera deux, principalement. La N-VA, en léger recul en juin, aura à cœur de conserver sa première place en Flandre… et singulièrement le mayorat d’Anvers, pour son président/formateur Bart De Wever. Renforcé, impliqué dans les négociations gouvernementales, Vooruit voudra poursuivre sur sa lancée, en conservant le pouvoir dans quelques villes (Louvain notamment) et en le décrochant dans la symbolique Saint-Nicolas (celle de Flandre Orientale), ville du président socialiste Conner Rousseau.
Un scrutin pour limiter la casse
Les socialistes francophones, eux, ont subi une défaite en juin, en Wallonie surtout, moins à Bruxelles. Le problème du PS est double: une longue érosion, qu’il semble difficile d’enrayer, et surtout la perte du leadership dans la partie francophone du pays.
Mais pour les socialistes, au moins autant que pour tous les autres, les élections communales ne sont pas des élections comme les autres. Le PS bénéficie d’un avantage que les autres n’ont pas: les grandes villes, leur périphérie et bon nombre de bastions. Au total, 81 communes sont dirigées par un bourgmestre socialiste. Mais en juin, neuf «places fortes» ont été ravies par Les Engagés en Wallonie, et plus de 50 par le MR. Il faudra voir, une fois de plus, dans quelle mesure libéraux et centristes pourront transformer l’essai.
Les socialistes sont toutefois réputés pour leur capacité à mobiliser leurs troupes dans la dernière ligne droite avant les élections, en particulier locales. Quelquefois, la question n’est donc pas tant de savoir si le PS arrivera en tête, mais s’il perdra ou non sa majorité absolue. Cette question-là se pose assurément dans la ceinture rouge liégeoise et dans les communes traditionnellement socialistes du Hainaut.
L’idée que le PS puisse ouvrir quelques-unes de ses majorités pourrait réjouir Ecolo. Mais les verts sont considérablement fragilisés.
Ça et là, les enjeux auxquels sont confrontés le PS sont internes: à l’intérieur des listes, quels sont les candidats qui obtiendront le plus de voix de préférence? Les deux grandes villes wallonnes constituent des cas intéressants. A Liège, les socialistes restent emmenés par Willy Demeyer, mais ont intégré l’ex-Esneutoise Christie Morreale, dont le score personnel sera observé de près, comparativement à celui du bourgmestre, mais aussi de figures locales comme Julie Fernandez Fernandez. A Charleroi, c’est Thomas Dermine qui occupe la tête de liste, devant la bourgmestre faisant fonction, Julie Patte, et un certain Paul Magnette.
L’idée que le PS puisse ouvrir quelques-unes de ses majorités pourrait réjouir Ecolo, dans l’absolu. Mais les verts sont considérablement fragilisés. La nouvelle coprésidence, endossée par Marie Lecocq et Samuel Cogolati, est-elle déjà en mesure d’insuffler une dynamique nouvelle? Disposant de neuf mayorats, les écologistes peuvent de surcroît se faire du souci, par exemple à Amay, où Jean-Michel Javaux pousse sa liste, ou à Watermael-Boitsfort, où Olivier Deleuze fait de même. Ecolo parviendra-t-il à conserver les mayorats d’Ixelles ou d’Ottignies-Louvain-la-Neuve? Dans toutes ces entités, les confrontations s’annoncent serrées et pourraient, en cas d’échec, enfoncer un peu plus les écologistes dans l’abîme.
Pour DéFI, à la tête des communes de Woluwe-Saint-Lambert, Schaerbeek et Auderghem, préserver ce qui fut acquis lors des précédentes élections communales ressemblerait déjà à une petite victoire. Peinant à s’implanter en Wallonie, les amarante devraient cependant pouvoir compter sur une assise locale suffisamment solide, avec l’aide de quelques figures locales bien installées: Olivier Maingain, Bernard Clerfayt, Sophie de Vos, en l’occurrence.
Quid de la Flandre? Là, ce sont probablement l’Open VLD et le CD&V qui ont le plus à perdre. Les libéraux ont été largement défaits en juin et les chrétiens-démocrates, traditionnellement implantés dans les communes, doivent composer avec la présence de la N-VA et la menace du Vlaams Belang.
Un scrutin pour rompre les digues
Il a beau en être exclu par le cordon sanitaire, le parti d’extrême droite flamand cherchera à faire des élections communales un tremplin vers le pouvoir. Sauf alliances inattendues, ce sera donc au moyen de majorités absolues. En 2018, il s’en était fallu de peu pour que le Vlaams Belang ne rafle la mise dans la commune de Ninove, en Flandre Orientale.
Le PTB, ou PVDA du côté néerlandophone, n’est pas formellement écarté par un cordon sanitaire. Sa participation au pouvoir communal demeure cependant assez improbable, sauf succès retentissant dans l’une ou l’autre commune. Quelques échanges avaient bien eu lieu avec le PS en 2018, à Charleroi ou Herstal, mais sans réelles chances d’aboutir. Pour Raoul Hedebouw et les siens, l’enjeu consiste à intégrer des majorités de gauche, comme il l’a fait à Zelzate, seule commune dans le cas, au côté de Vooruit. Molenbeek pourrait faire figure de nouveau laboratoire, comme éventuellement quelques communes wallonnes très ancrées à gauche. Mais la concrétisation de tels scénarios dépendra nécessairement de la capacité du PTB à nouer des alliances et de la volonté des autres (des socialistes) à faire de même.
Infréquentable avant les élections de juin, un autre acteur politique l’est un tout petit peu moins depuis lors. Fouad Ahidar s’est en effet imposé dans les négociations à Bruxelles. Fort de ses trois sièges au parlement bruxellois, l’ancien membre de Vooruit nourrit des ambitions dans sept communes bruxelloises. Aux communales également, l’ampleur de son succès bouleversera éventuellement les équilibres. C’est aussi l’incertitude autour de cette question qui fait le sel des élections communales.
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