Des avancées communautaires en néerlandais, le bien de tous les Belges en français: le double langage de Bart De Wever
A la Chambre et dans les médias, le Premier ministre Bart De Wever promet du communautaire en néerlandais aux Flamands, et rien de méchant pour les Wallons en français.
Bart De Wever, patron du plus grand parti nationaliste de Belgique, a l’intention de faire, avec l’Arizona, du communautaire sans drapeau, c’est-à-dire sans réforme de l’Etat. Mais ses premières interventions témoignent surtout de sa volonté de faire du communautaire sans français, à savoir du communautaire uniquement adressé en flamand.
Le samedi 1er février, Bart De Wever donnait à la RTBF sa première interview de Premier en français. Il y expliquait que le basculement électoral du 9 juin en Wallonie rendait ses aspirations confédéralistes moins urgentes, alors même qu’en campagne il avait promis que pour son parti et lui, cela serait «le confédéralisme ou rien». Le même jour, à la VRT, Bart De Wever livrait sa première interview de Eerste minister en flamand. Il y exprimait que «toutes les réformes sur le marché du travail et sur les pensions sont communautaires», arguant notamment que «la réforme la plus communautaire que vous puissiez faire, c’est de limiter le chômage dans le temps».
Confédéralisme ou rien?
Ce qui est clair dans les deux langues, c’est qu’il n’y aura pas de réforme de l’Etat, elle ne figure pas dans l’accord de gouvernement, il n’en a même jamais été question dès le soir du 9 juin, donc ça ne sera pas le confédéralisme. Mais subsiste encore, dans les premiers jours de l’ère Arizona, une incertitude sur l’autre terme de l’alternative préélectorale de Bart De Wever. Les partis francophones de la majorité, mais aussi les partis flamands de l’opposition, assurent que puisque ça ne sera pas le confédéralisme, ça ne sera rien. Tandis que la N-VA, mais aussi les partis francophones de l’opposition, répètent que même si ça ne sera pas le confédéralisme, ça ne sera pas rien.
C’est sur cette ambiguïté que le dédoublement linguistique de Bart De Wever opère.
Le 4 février, à la Chambre, sa Déclaration de politique générale n’a pas levé ces ambiguïtés, qu’entretient le parfait bilinguisme du nationaliste anversois. Tout ce qui pouvait apparaître explicitement communautaire y a été dit en néerlandais. En flamand, ses premiers mots ont été pour souhaiter qu’à l’avenir une majorité dans les deux communautés linguistiques, à la Chambre, soutiendra les prochains gouvernements fédéraux. En français, il n’a parlé que d’une «large majorité démocratique». En flamand, il a rappelé que son exécutif renforcerait la sécurité dans «nos grandes villes et nos ports» contre les mafias de la drogue, c’est-à-dire surtout celui d’Anvers. En français, il a soutenu qu’il fusionnerait les zones de police bruxelloises. En néerlandais, il a annoncé que son gouvernement allait «se mettre en recherche d’une majorité des deux tiers» pour supprimer le Sénat. En français, il a préconisé qu’il fallait faire faire un régime aux services publics «qui ne sont pas liés à la sécurité».
Et Bart De Wever a pu continuer à l’oral l’entretien de ce bilinguisme de l’ambigu parce que, à l’écrit, l’accord de gouvernement qu’il a négocié contient quelques succédanés de confédéralisme, comme des chouettes petits cupcakes, sans sucre mais quand même avec un tout petit drapeau flamand planté dedans. Ainsi, chaque Région pourra, en échange de la suppression d’un jour férié existant (le 15 août semble-t-il, mais ce marial abandon n’a pas été officiellement consigné dans les 209 pages de l’accord de gouvernement), s’en choisir un, et la Région flamande optera pour son 11 juillet. Elles pourront aussi modifier le serment constitutionnel des mandataires et des fonctionnaires, ce qui arrangera Theo Francken, qui n’a prêté son serment de ministre fédéral qu’en néerlandais, si un jour il devient ministre ou parlementaire régional, et tout ceci sont de petits drapeaux tout à fait intégrés à la vieille stratégie de Bart De Wever, qui vise à faire baigner les Flamands dans une culture nationale qui ne serait pas belge.
Les premières interventions du Premier témoignent de sa volonté de faire du communautaire sans français.
Tout ceci est une partie du plan, visible même des partis francophones de la majorité et des partis flamands de l’opposition. Celle du petit communautaire, avec un petit drapeau. Mais l’accord de gouvernement contient aussi, répètent la N-VA en flamand et l’opposition francophone en français, du gros communautaire sans drapeau.
Sur le socioéconomique, comme l’a dit le Eerste Minister, la réforme des allocations de chômage touchera surtout les chômeurs de longue durée wallons et bruxellois, puisqu’il n’y en a presque pas en Flandre. Sur la fiscalité, ce sont surtout les Régions les plus pauvres, donc celles où l’on parle le français, qui peineront à trouver les moyens de compenser l’augmentation de la quotité exemptée sur l’IPP: 25% des recettes de cet impôt sont transférés aux Régions. Sur la mobilité, l’Arizona prévoit de faire venir le TGV à Zaventem, c’est sûr, et annonce un train à l’aéroport de Charleroi, peut-être, ça n’a duré que quelques heures puisque la gare à Gosselies n’est déjà plus envisagée. A la SNCB, les lignes denses, donc surtout flamandes, seront priorisées et les points d’arrêt les moins fréquentés, donc surtout wallons, seront abandonnés. Les infrastructures ferroviaires des ports maritimes seront renforcées, mais il n’est pas certain que les nombreux ports maritimes wallons puissent aspirer à en tirer un bénéfice élevé. Et sur l’énergie, est prévue une hausse de la TVA sur certains combustibles –le charbon et le mazout– principalement employés en Wallonie. Et en Wallonie, il y en a qui le remarqueront d’autant plus qu’en Flandre, le parti du Premier ministre flamand ne s’en cachera pas.
Un AVC, mais en flamand
Les Bruxellois, dont Bart De Wever, ce 4 février, s’est plu à proclamer dans leur langue qu’ils devront donc fusionner leurs zones de police, sont, eux, explicitement considérés dans l’accord de gouvernement fédéral. Ils sont un terrain sur lequel planter un drapeau. Ils subiront la réduction des moyens d’accueil des demandeurs d’asile, puisque ceux-ci se retrouveront dans leurs rues, et ça c’est du gros communautaire sans drapeau. Mais il y en a de l’avec drapeau, comme lorsqu’il est stipulé, dans l’accord de gouvernement, que Beliris, l’argent fédéral consacré à Bruxelles, devra être investi dans des projets qui «concernent plusieurs Régions», et plus seulement celle concernée par Beliris. Ou que les victimes d’accidents vasculaires cérébraux néerlandophones devront être soignés et les victimes de violences sexuelles devront être accueillies à Bruxelles en langue flamande. Parce qu’en français, ils ne comprendraient peut-être pas que ce gouvernement fédéral, celui du Eerste Minister Bart De Wever, fait bien du communautaire.
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