Des agents de Frontex pourront contrôler et expulser les migrants sur le sol belge: un dangereux précédent?
Dans l’urgence, la Vivaldi a décidé de permettre à des agents de Frontex de contrôler et expulser les étrangers aux frontières belges. La mesure provoque l’ire de plusieurs associations, et place le PS et Ecolo en porte-à-faux. Décryptage d’une loi qui muscle encore un peu plus la politique migratoire belge.
Comme à chaque fin de législature, des lois sont votées en urgence par la Chambre des représentants. Au sein de la majorité gouvernementale, chacun tente de profiter des dernières heures de la Vivaldi pour obtenir l’une ou l’autre victoire symbolique, susceptible de se transformer en argument de vote lors des prochaines élections. La loi Frontex, portée par la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden (cd&v) et votée début mai, fait partie des textes que la Vivaldi a fait passer en force dans le money time.
Elle autorise les agents de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, à contrôler et expulser les étrangers aux frontières belges. En clair, une centaine d’agents de Frontex pourront intervenir – sous l’autorité de policiers belges – dans les aéroports, les ports, la gare de Bruxelles-Midi ainsi que son terminal Eurostar.
On nous fait croire que les méthodes militaires employées par Frontex permettront de régler le sort de ces milliers de personnes
Sotieta Ngo, directrice générale du CIRÉ
«La loi Frontex nous inquiète beaucoup»
Noyée dans un océan d’autres projets examinés (et votés) dans le rush par le parlement fédéral, la loi Frontex a provoqué l’ire de plusieurs associations, dont le CIRÉ (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). «La loi Frontex nous inquiète beaucoup, confirme Sotieta Ngo, directrice générale. On nous fait croire que les méthodes militaires employées par l’agence permettront de régler le sort de ces milliers de personnes en situation irrégulière, qui ont chacune une trajectoire différente.»
Frontex n’a pas bonne presse. De 2015 à 2022, c’est le Français Fabrice Leggeri qui occupait la tête de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Sous son mandat, l’organisation n’a pas été épargnée par les polémiques. Jusqu’à sa démission, mis en cause par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) pour le refoulement illégal de migrants à la frontière gréco-turque. Ce qui n’a pas empêché l’ex-directeur de Frontex de rebondir, pour atterrir sur la troisième place de la liste européenne du Rassemblement National (RN), le parti d’extrême droite français dirigé par Marine Le Pen.
“En cherchant à capter le vote de l’extrême droite, le gouvernement va pousser les migrants dans les filets des réseaux criminels”
Sotieta Ngo, directrice générale du CIRÉ
Pour Sotieta Ngo, le vote de la loi Frontex démontre l’incapacité du gouvernement à régler le dossier de l’asile et de la migration. «Ce qu’ils ont décidé équivaut à tirer au bazooka sur une fourmi. Les migrations ne s’arrêteront ni aux frontières européennes, ni aux frontières belges. En cherchant à capter le vote de l’extrême droite, le gouvernement va pousser encore un peu plus les migrants dans les filets des réseaux criminels.» La directrice générale du CIRÉ en profite pour rappeler que la détention et/ou l’expulsion d’une personne coûte 200 euros par jour. «Alors que le coût quotidien de l’accueil d’une personne sur le sol belge est de 40 euros.»
Le malaise d’Ecolo et du PS
Le texte a été soutenu par les sept partis qui composent la majorité Vivaldi. Mais pour les partis de gauche, qui ont mis leurs idéaux en sourdine, le malaise est palpable. Notamment pour les Verts, qui ont fait de la cause migratoire leur cheval de bataille: Simon Moutquin, Claire Hugon, Cécile Cornet et Samuel Cogolati se sont tous les quatre abstenus de voter la loi Frontex. Séverine de Laveleye et Sarah Schlitz ont été plus loin encore, en étant absentes au moment du vote en plénière. Dans les rangs du PS, les députés fédéraux Khalil Aouasti et Hervé Rigot ont également appuyé sur le bouton abstention.
La loi Frontex fait partie d’un grand compromis au sein de la Vivaldi
Ecolo
Les deux partis de gauche francophones tentent de se justifier. Côté écologiste, on explique que la loi Frontex fait partie d’un grand compromis au sein de la Vivaldi. En échange, «Ecolo a notamment obtenu la fin de l’enfermement des enfants, une meilleure protection des femmes migrantes victimes de violences et l’inscription dans la loi des alternatives à la détention.» Tout en essayant d’encadrer le plus possible la loi Frontex, affirment les verts.
Tout comme Ecolo, le PS a soutenu le texte, après s’être assuré que des garde-fous suffisants y avaient été apposés. «Pour encadrer les missions de Frontex aux frontières belges, on s’est assurés du contrôle des agents par les policiers, eux-mêmes surveillés par le Comité P, explique le député socialiste Hervé Rigot. Ainsi que la délimitation de l’espace sur lequel ils peuvent intervenir. On privilégiait le renforcement de la police des aéroports au vote de cette loi, mais ce n’est pas la voie qui a été retenue.»
Des zones d’ombres subsistent
La loi Frontex a été votée par la Chambre des représentants, dans la foulée du Pacte européen sur l’asile et la migration adopté au niveau continental. «Les deux dispositions expriment au fond la même chose: une approche sécuritaire de la migration, avec une Europe forteresse plutôt qu’espace démocratique où l’on respecte les droits humains», commente Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la question migratoire. Une philosophie que Frontex, qui a été créée en 2004 pour défendre les frontières européennes, incarne bien selon le chercheur. «Le contrôle des frontières d’un Etat est une prérogative qui lui appartient, normalement. Dans ce cas-ci, on fait appel à des agents qui ne sont pas sous notre tutelle.»
“Qui va s’assurer que les personnes seront traitées humainement?”
Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la question migratoire
Les ‘garde-fous’ mis en avant par les partis de gauche ne dissipent pas, selon Marco Martiniello, les zones d’ombre qui subsistent quant à la mise en place de cette loi Frontex. «Qui va s’assurer que les personnes seront traitées humainement? Comment empêcher le double emploi entre la police et les agents? Je perçois surtout l’incapacité de la classe politique à mener une politique d’asile et de migration efficace sur le territoire belge.»
Les dispositions pratiques de cette mesure controversée doivent encore être précisées dans l’arrêté royal, qui une fois signé marquera l’entrée en vigueur de la loi Frontex. Après deux ans, il est prévu que la mesure soit évaluée.
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- Fabrice Leggeri
- Office européen de lutte antifraude
- OLAF
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- Ecolo
- PS
- Verts
- Simon Moutquin
- Claire Hugon
- Cécile Cornet
- Samuel Cogolati
- Khalil Aouasti
- Hervé Rigot
- Comité P
- MR
- Marco Martiniello
- Pacte européen
- ULiège
- Etat
- CIRÉ
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