Dans l’opposition partout… sauf à Bruxelles? Le double jeu dangereux du PS
Le PS a accepté de négocier pour former un gouvernement à Bruxelles. Menaçant, de ce fait, la cure d’opposition généralisée voulue par son président Paul Magnette après la débâcle électorale du 9 juin. De quoi compliquer le puzzle de la refonte des socialistes?
Après deux mois d’attente et de probables casse-tête stratégiques, le PS a décidé d’intégrer les négociations pour la formation d’un gouvernement à Bruxelles. Il répond ainsi à la main tendue du MR et des Engagés au niveau francophone. Un choix compréhensible au vu de l’arithmétique – les socialistes sont quasi incontournables dans la capitale –, mais qui ne facilite pas la tâche de Paul Magnette. Le président du PS avait annoncé une grande cure d’opposition à tous les niveaux de pouvoir, lorsque le couperet des élections était tombé pour les siens, au lendemain du 9 juin.
David Leisterh, formateur francophone à Bruxelles au vu de la victoire du MR, le savait. De tous les missionnés du pays, c’est lui qui allait avoir – avec son homologue néerlandophone de Groen Elke Van den Brandt – la tâche la plus ardue : négocier avec l’ennemi juré PS, via le président de la section bruxelloise Ahmed Laaouej. Lequel se place en contradiction avec la volonté d’opposition affichée par son président Paul Magnette?
«Difficile de dire si la décision d’entamer des négociations à Bruxelles a été validée du côté du Boulevard de l’Empereur (NDLR: le siège du PS), entame Romain Biesemans, politologue au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Mais lors de l’annonce post-électorale de Paul Magnette, les ténors bruxellois que sont Ahmed Laaouej, Karine Lalieux et Philippe Close ne se sont pas montrés favorables à cette cure d’opposition généralisée.» Dans la capitale, les socialistes estiment avoir limité la casse. En effet, rapporte Le Soir, ils ont gagné 400 électeurs à l’issue du scrutin régional par rapport à 2019.
«Le PS pourra justifier ce choix en disant avoir pris ses responsabilités dans un contexte de blocage à Bruxelles»
Benjamin Biard, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp)
Comment analyser cette décision du PS?
Si les négociations PS-MR-Les Engagés aboutissent, les socialistes devront jouer sur les deux tableaux: les chiens de garde au fédéral et en Wallonie, tout en menant la barque à Bruxelles. Une situation inconfortable? «Nous ferons comme lors d’élections précédentes et comme d’autres partis lorsque nous avons été dans le cas de majorités asymétriques (le PS en majorité dans les entités fédérées entre 2014-2019 et dans l’opposition au fédéral)», répond simplement Stéphanie Wilmet, la porte-parole du parti socialiste.
«Le PS pourra en tout cas justifier ce choix en disant avoir pris ses responsabilités dans un contexte de blocage à Bruxelles», commente Benjamin Biard, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp).
Cette asymétrie que vivront peut-être bientôt les troupes socialistes est loin d’être inédite, mais pourrait éloigner encore un peu plus le PS bruxellois du reste du parti. «Il risque d’y avoir des accrocs entre les deux instances», reprend Romain Biesemans, en référence aux dossiers qui ne font pas l’unanimité en interne (abattage rituel, port du voile…). «Mais ce contraste donnera peut-être une plus grande marge de manœuvre aux socialistes bruxellois pour imposer leur ligne, et ainsi se distancier de celle tenue au Boulevard de l’Empereur», continue le politologue.
«Pour s’en sortir, le PS devra peut-être copier la stratégie du MR»
Romain Biesemans, politologue au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol)
Vers une copie de la particip’opposition du MR?
Les partis sont habitués à jongler entre les niveaux de pouvoir, et les différentes réalités qui leur incombent, qu’il y ait participation ou non à une majorité. Ainsi, le MR est ressorti vainqueur du précédent exercice alors qu’il combinait opposition à Bruxelles et majorité aux autre échelons. «La stratégie de particip’opposition incarnée par leur président Georges-Louis Bouchez a bien fonctionné», analyse Benjamin Biard. Rejoint dans son propos par Romain Biesemans: «Pour s’en sortir, le PS devra peut-être copier la stratégie du MR, d’autant qu’il se retrouverait dans un gouvernement bruxellois de centre, voire centre-droit.»
Quel signal pour les électeurs?
Pour le PS, l’enjeu de ce double jeu sera de rester cohérent aux yeux des électeurs lors des cinq prochaines années. Sinon, la grande cure d’opposition souhaitée par Paul Magnette n’aura servi à rien, sinon décrédibiliser un parti déjà en perte de vitesse.
«La communication devra être bien ficelée, confirme Romain Biesemans. D’autant plus à l’aube des élections communales, et alors que le PTB critiquera probablement l’entrée du PS dans les négociations pour le gouvernement bruxellois. Ils pourront dire que le PS n’est plus un parti de gauche». En tout cas, termine le politologue du Cevipol, «le destin du PS d’ici 2029 va prendre des chemins entrecroisés mais différents, de Namur à Bruxelles». Si David Leisterh se trouvait face à un casse-tête pour assembler les pièces du gouvernement bruxellois, celui que Paul Magnette devra reconstituer pour réussir la refonte de son parti n’est pas moins complexe…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici