A quoi joue donc Conner Rousseau? Ce qu’il a à gagner (ou à perdre)
Sans surprise, le président de Vooruit a été désigné comme responsable de l’échec des négociations, alors que lui-même ne cesse de déclarer vouloir en faire partie.
«Refus obstiné», a lâché le président des Engagés, Maxime Prévot. «Totalement irresponsable, a renchéri le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Il a trompé son monde. Pendant cinq mois, il nous a fait croire qu’il pouvait entrer dans cette formule de gouvernement, pour finalement refuser.» «Complètement incompréhensible» a, de son côté, commenté le président du CD&V, Sammy Mahdi.
Les trois présidents de parti impliqués dans la formation de feue (?) la coalition Arizona ne manquaient pas de qualificatifs pour vilipender la posture de leur homologue de Vooruit. Conner Rousseau a décidé qu’il n’était pas en mesure de poursuivre les discussions sur la base des notes et des tableaux budgétaires proposés par le cinquième président de la bande, le formateur Bart De Wever (N-VA). Les efforts doivent être plus équitablement répartis, a-t-il seriné. C’est-à-dire peser davantage sur les épaules des grands patrimoines et des multinationales.
La rencontre de la dernière chance organisée lundi a abouti sur une impasse. Conner Rousseau a quitté la réunion une vingtaine de minutes avant les quatre autres, non pas en claquant la porte, mais après que Bart De Wever le lui a demandé. La suite est connue: le formateur s’est rendu au palais, pour démissionner, ce qui lui a été (momentanément) refusé. Il faudra peut-être changer de formule. Cinq mois après les élections fédérales, le responsable de cette grande perte de temps est ce jeune et tempétueux président des socialistes flamands qui exigeait, comme l’ont formulé plusieurs intervenants, plusieurs buts d’avance au marquoir avant même que la partie ne commence véritablement. Imbuvable.
C’est l’éternelle rengaine du «valet noir» qui a refait surface. Lorsque des tractations pour la mise sur pied d’une coalition capotent, il y a un responsable. Joëlle Milquet fut affublée du surnom de «Madame Non» avant l’échec de l’orange-bleue, en 2007. Bien d’autres sont entre-temps passés pour les empêcheurs de tourner en rond. C’est au tour de Conner Rousseau, responsable de la situation sans doute, mais coupable tout désigné également.
L’histoire de Conner Rousseau s’apparente jusqu’ici à celle de l’homme providentiel, particulièrement doué pour se casser les dents.
L’art de se brûler les ailes
Qui l’eût pourtant cru, il y a un an d’ici, que le socialiste serait en mesure de peser à ce point sur les destinées du futur gouvernement fédéral? L’histoire de Conner Rousseau s’apparente jusqu’ici à celle de l’homme providentiel, particulièrement doué pour se casser les dents.
Né il y a 32 ans à Saint-Nicolas, il est le fils d’une ancienne bourgmestre socialiste de cette ville de Flandre-Orientale. Elu parlementaire régional en mai 2019, il accède l’automne suivant à la présidence d’un parti qui s’appelle encore sp.a. La formation sera rebaptisée Vooruit et Conner Rousseau, communicateur talentueux, perçu comme celui par lequel pourront se relever les socialistes néerlandophones.
C’était sans compter sur quelques faux pas. Conner Rousseau choque, en 2020, lorsqu’il suggère que certaines femmes (toxicomanes) puissent être empêchées d’avoir des enfants. Il scandalise encore en 2022, lorsqu’il déclare ne pas se sentir en Belgique lorsqu’il traverse Molenbeek. Il se brûle carrément les ailes, l’an dernier, lorsque la presse néerlandophone révèle des propos franchement racistes exprimés auprès de policiers, lors d’une nuit de fête à Saint-Nicolas. Conner Rousseau est contraint à la démission et est remplacé à la présidence par une proche, la députée fédérale Melissa Depraetere.
A ce moment, l’histoire semble être celle d’une rock star de la politique rattrapée par ses propres excès. Mais la résurrection aura lieu. En juin 2024, il lui est accordé de se présenter, en dernière place sur la liste, aux élections régionales. Il est largement plébiscité par les électeurs. Durant l’été, comme si rien ne s’était passé quelques mois plus tôt, il est réintronisé à la présidence de Vooruit. Il devient, de ce fait, un des cinq interlocuteurs de la potentielle coalition Arizona, censée regrouper sans trop de peine les vainqueurs des élections de juin, du moins parmi les partis démocratiques: MR et Les Engagés du côté francophone; N-VA, CD&V et Vooruit du côté néerlandophone.
Un socialiste dans un attelage de centre-droit? Sa ligne politique, moins marquée à gauche qu’au PS ou au sein de la famille écologiste, fait de lui un interlocuteur accommodant, d’autant plus qu’il noue une entente cordiale avec son homologue de la N-VA, Bart De Wever.
Conner Rousseau a-t-il tout gâché? Lui ne l’entend pas de cette oreille en tout cas, alors que les autres protagonistes semblaient enterrer l’Arizona dès le 4 novembre. Si les lignes tracées par Bart De Wever bougent quelque peu, il ne demande qu’à revenir autour de la table. Son coreligionnaire, le ministre fédéral Frank Vandenbroucke, a formulé des déclarations allant exactement dans le même sens. Et même Sammy Mahdi (CD&V) a laissé entendre que «le curseur peut encore être déplacé».
Peut-être a-t-on vite fait de penser à l’Open VLD pour faire le nombre, même de justesse, dans le cadre d’une autre coalition. On s’est également mis à songer, dans la presse et au sein des partis, à d’autres formules. Conner Rousseau, de son côté, estime seulement avoir adopté la posture du président d’un parti de centre-gauche, embarqué dans un attelage penchant à droite.
Tel est le lot des négociateurs se trouvant dans une position isolée. Le MR fut un temps le seul parti francophone de la Suédoise, alors que Vooruit est cette fois le seul parti socialiste. Etre embarqué dans cette configuration se monnaie assez cher et requiert quelques garanties à présenter à son électorat et ses militants.
Conner Rousseau le sait, de même que Bart De Wever, auquel un sursis a opportunément été accordé. Le formateur explorera-t-il une nouvelle voie ou ramènera-t-il Vooruit autour de la table? Si cette dernière option émerge finalement, alors la dernière séquence aura surtout ressemblé à une forme de dramatisation, ni plus ni moins. Si l’échec est acté, en revanche, Conner Rousseau aura loupé le coche, comme il sait le faire.
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