Votre commune est-elle transparente? Voici celles qui refusent de dire si elles disposent de caméras de surveillance (carte interactive)
Le Vif, Le Soir et la Ligue des droits humains ont sondé les communes sur les caméras installées sur leur territoire. Résultat: 136 se sont montrées transparentes. Quatorze pas du tout.
Cela aura été un argument de campagne crucial: les caméras de surveillance installées par les communes sur leur territoire. Quasi tous les partis, MR en tête, mais aussi Les Engagés, le PS et Ecolo, ont appuyé sur le bouton «caméras» dans leurs slogans électoraux en vue du scrutin du 13 octobre. Les uns pour mieux traquer les délinquants environnementaux qui déversent leurs déchets dans la nature. Les autres, plus nombreux, pour garantir une meilleure sécurité face aux incivilités, à la délinquance de rue, au trafic de drogue…
Illustration édifiante: la surenchère entre le MR et le PS carolos. «Il faut plus de caméras, également avec des programmes d’intelligence artificielle pour repérer les situations problématiques», a plaidé Anthony Dufrane, tête de liste MR, lors d’un débat organisé par La Nouvelle Gazette. «Il y a déjà 350 caméras à Charleroi et nous en voulons 500 de plus», a tonné Thomas Dermine, le dauphin de Paul Magnette. Qui dit mieux? «Je suis pour la technologie parce que c’est de la prévention», a, pour sa part, clamé Benoît Lutgen (Les Engagés), bourgmestre de Bastogne, sur le plateau de QR (RTBF). C’est clair, les politiques sont de plus en plus accrocs à ce système de surveillance.
La preuve, le nombre de caméras dans l’espace public ne cesse de croître. «Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il est clairement en expansion, constate Rosamunde Van Brakel, criminologue à la VUB. Plusieurs recherches ont relevé que les décideurs politiques évoquaient les caméras surtout pendant les campagnes électorales pour montrer qu’ils agissent ou vont agir. Nous appelons cela « le théâtre de la surveillance ». Lequel ne se limite pas aux caméras, qui en sont néanmoins la manifestation la plus évidente. On assiste en Belgique, comme cela se passe au Royaume-Uni depuis plus longtemps, à une banalisation des caméras traditionnelles et de la société de surveillance.»
«Il y a déjà 350 caméras à Charleroi et nous en voulons 500 de plus.»
C’est cette banalisation qui a motivé la Ligue des droits humains (LDH) à tester la transparence des communes au sujet des caméras. Il y a deux ans, elle a envoyé à chaque commune francophone du pays une demande d’informations concernant le nombre de dispositifs de surveillance mis en place dans l’espace public, leurs modèles, leur localisation, les documents relatifs aux marchés publics pour l’acquisition du matériel, les avis émis par le conseil communal et les analyses d’impact relatives à la protection des données (AIPD), imposées par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), dans le cadre de ces dispositifs.
Des informations existantes
La LDH n’a obtenu que de trop maigres résultats, malgré deux recours à la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) à l’encontre de Mouscron et Liège, dont les décisions étaient favorables à sa demande. Aussi, cet été, à l’approche des élections, Le Vif et Le Soir ont décidé de se joindre la Ligue. Les bourgmestres ont donc été sollicités une nouvelle fois, par la LDH et les deux médias.
Pour le dire franchement, nous espérions obtenir suffisamment de réponses complètes pour pouvoir cartographier les caméras dans l’espace public ouvert, en Wallonie et à Bruxelles. Ce devoir de transparence de la part des communes et des zones de police ne nous apparaissait pas insurmontable pour les autorités concernées. D’autant que, comme le rappelle Alejandra Michel, responsable de l’unité de droit des médias au Crids (UNamur): «Les communes ont l’obligation d’apposer des pictogrammes annonçant la présence de caméras, également pour les caméras fixes temporaires, que l’on bouge à intervalles réguliers, pour détecter les dépôts sauvages. Les travaux préparatoires de la « loi caméra » encouragent aussi les communes à publier la liste de leurs caméras sur leur site Web ou dans le journal communal. La transparence en la matière s’avère une exigence.»
Sur les 281 communes interrogées, 136 ont répondu de manière satisfaisante (le comptage a été arrêté le 8 octobre). Pas même la moitié, donc… Et encore, en comptant large: parmi les 136, la plupart n’ont pas fourni d’AIPD, mais bien tous les autres documents demandés. Pour ces études d’impact, une majorité de bourgmestres ont renvoyé vers les zones de police. Par ailleurs, 60 ont fourni des réponses partielles, c’est-à-dire dans lesquelles il manquait des informations essentielles, comme les marchés publics ou les emplacements des caméras. Les autres n’ont rien répondu, ou de manière insuffisante. Certaines, une bonne douzaine, ont tout simplement refusé.
Nous avons contacté personnellement chaque bourgmestre ou directeur général. La plupart se sont engagés à répondre, mais un grand nombre de ces promesses sont restées lettre morte. Idem à l’échelon des zones de police interpellées. Plusieurs bourgmestres récalcitrants se sont justifiés en arguant que la recherche des infos demandées représentait une trop grande charge de travail. «Ces informations sont pourtant censées exister, s’étonne Alejandra Michel. La loi impose aux communes de notifier leurs caméras aux services de police, cela inclut leur localisation précise, la technologie, etc. Evoquer la charge de travail et le manque de personnel n’est pas forcément une bonne excuse. A moins que les obligations légales ne soient pas connues de certaines communes.»
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Pour Rosamunde Van Brakel, la transparence sur ces données est jugée beaucoup moins importante en Belgique que dans des pays voisins tels que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. «Grâce au RGPD, certaines zones de police deviennent plus transparentes sur le nombre de caméras utilisées, leur localisation et la technologie, mais ce n’est pas encore général», constate la criminologue. Alejandra Michel, de l’UNamur, trouve la réticence de certaines communes assez incompréhensible. «Outre la nécessaire transparence envers les citoyens, la sensibilisation sur l’existence de caméras sur le territoire communal peut avoir un effet sur le sentiment de sécurité, voire sur la commission de certaines infractions; ne pas être transparent peut donc être contreproductif.»
«La loi impose aux communes de notifier leurs caméras aux services de police.»
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Caméras de surveillance: un effet de contagion local
La Ligue des droit humains, elle, pointe surtout le très petit nombre de communes qui ont communiqué l’AIPD. «Or, il s’agit d’une obligation légale qui incombe au responsable de traitement préalablement à la demande d’autorisation d’installer des caméras, précise Emmanuelle de Buisseret Hardy, juriste à la LDH. Cette analyse d’impact doit permettre d’évaluer si un traitement de données telles que des images filmées par caméra, présente ou non un risque pour les libertés et droits des personnes concernées et si des mesures sont prises pour endiguer les risques. Ne pas transmettre ce document fait obstacle à toute possibilité de contrôle démocratique et témoigne d’une méconnaissance du droit d’accès à l’information des citoyens.»
Citons les communes wallonnes qui ont refusé de répondre à toutes nos demandes: Hélécine, Walhain, Ellezelles, Fleurus, Hensies, Clavier, Bassenge, Grâce-Hollogne, Flémalle, Aubel, Trois-Ponts, Bastogne, Oreye, Rochefort. Notons que près de la moitié de ces communes ont un bourgmestre étiqueté MR. En Région bruxelloise, Saint-Josse-ten-Noode et Uccle se sont distinguées par un silence radio total. On observe aussi un effet de contagion local –visible sur la carte– entre certaines communes récalcitrantes qui se sont apparemment donné le mot.
«Ne pas transmettre ce document fait obstacle à toute possibilité de contrôle démocratique.»
Il faut souligner que 38 communes ont déclaré ne pas avoir de caméras ni de projets d’installation de caméras sur leur territoire. Il s’agit logiquement de petites entités, comme Rumes, Floreffe, Faimes ou Gedinne, dont les maïeurs confient que «tout est plutôt calme» chez eux, que «tout le monde se connaît» et que dès lors «le contrôle social fonctionne». Certaines sont même plutôt fières de ne pas avoir installé de caméras. D’autres sont plus gênées et annoncent que ce sera bientôt le cas.
En revanche, quasiment aucune commune ne déclare avoir placé des caméras factices. Pourtant, leur nombre est conséquent si l’on en croit les chiffres avancés par l’ex-ministre wallonne de l’Environnement Ecolo Céline Tellier (lire ci-après). Parmi les communes qui ont répondu partiellement à nos demandes, il faut pointer Bruxelles-Ville dont nous avons obtenu la liste des caméras de la zone de police (ZP) mais pas celle des caméras communales. Raison invoquée: cette liste n’existe pas. Surprenant pour la capitale du pays…
Enfin, les zones de police ont également été contactées. Ici, les réponses sont variables. Certaines sont très transparentes et complètes comme la ZP de Sambreville-Sombreffe, celle de Comines-Warneton, celle de Ans-Saint-Nicolas ou celle de Châtelet-Farciennes, qui nous ont envoyé l’AIPD. Certaines n’ont rien donné. Pour les études d’impact, la plupart se sont retranchées derrière le fait qu’elles ne sont pas légalement obligées de la transmettre et ont donc refusé «pour des raisons évidentes liées à la confidentialité de nos mesures tant techniques qu’organisationnelles» (dixit PolBru). Nous avons sollicité le COC, l’institution parlementaire autonome en charge de la surveillance de la gestion de l’information policière. Mais l’organe de contrôle a rejeté la demande, arguant qu’il n’était pas un bureau de statistiques.
Bref, si les caméras de surveillance se multiplient dans les communes, la transparence, elle, est encore très relative. Le Vif, Le Soir et la LDH ont décidé de continuer à unir leurs efforts pour obtenir davantage d’informations dans les semaines à venir.
Des caméras de surveillance pour quelle efficacité?
Le constat est clair: «Les recherches criminologiques internationales qui ont étudié l’efficacité des caméras pour la prévention de la criminalité ne montrent aucun effet ou des effets limités, décrit Rosamunde Van Brakel, criminologue à la VUB. On note seulement une indication d’effet pour la prévention contre la délinquance autour des véhicules dans les parkings. En revanche, il n’y a pas d’étude sur l’impact des caméras sur le trafic de drogue ou la criminalité environnementale. Quant à l’identification de criminels, des études ont montré leur efficacité mais celles-ci sont trop limitées, surtout en Belgique, pour tirer des conclusions sérieuses.»
De son côté, l’ex-ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo) affirme: «Selon les informations obtenues en fin de législature, les mises en place de caméras ont eu un effet significatif sur la réduction des dépôts sauvages et l’amélioration de la propreté publique.» Durant son mandat, Céline Tellier avait lancé deux appels à projets dans le cadre de subsides octroyés pour ce genre de vidéosurveillance. Quelque 94 communes avaient été sélectionnées en 2020, puis 39 en 2021, l’enveloppe n’ayant pas été épuisée lors du premier appel. «En tout, cela concernait, pour les 131 communes lauréates, 914 moyens de surveillance, dont 733 caméras et 181 leurres», nous fait savoir Céline Tellier. Sur la base de chiffres transmis par les communes lauréates, les infractions environnementales constatées seraient descendues, entre 2022 et 2023, de 5.055 à 2.952. Des chiffres à prendre avec des pincettes, car les données sur lesquelles se basent ceux-ci sont souvent incomplètes.
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