Pourquoi les plus petites communes devront fusionner, d’une façon ou d’une autre
En Wallonie, la fusion de Bastogne et Bertogne pourrait faire des petits. Certaines entités devront de toute façon évoluer, sinon en s’unissant avec d’autres, au minimum en fusionnant administration communale et CPAS. Telle est la volonté du gouvernement wallon.
C’est par excellence un sujet qui anime les débats locaux. Fusionner? La question se pose parfois, donnant lieu à des argumentations contradictoires. A quelques crispations, aussi. Pourtant, en Région wallonne, nombre de communes seront tenues d’aborder la question de la fusion. Cela ne signifie pas qu’elles y seront contraintes, mais le sujet reviendra inéluctablement sur la table.
En 2022, le précédent gouvernement régional mettait en musique les modalités permettant aux communes d’enclencher le processus de fusion. L’objectif consistait à rationaliser les structures, faire des économies d’échelle. Les entités fusionnées bénéficient d’une reprise de dette de 500 euros par habitant, avec un plafond fixé à 20 millions. Une enveloppe globale de 100 millions a été provisionnée. Celles qui se lanceront durant la mandature à venir bénéficieront du bonus également.
La suite est connue. Seules Bastogne et Bertogne ont choisi de s’unir. Des discussions, parfois informelles, ont eu lieu ailleurs. C’est ainsi, par exemple, que Stavelot a fait un appel du pied à Trois-Ponts, en vain. Bertrix a également sollicité Herbeumont. La question a pu se poser à Fauvillers et Martelange, à Wellin, Tellin et Beauraing, ainsi que dans cinq communes du Borinage. Concernant Rochefort et Marche-en-Famenne, une étude de faisabilité a été lancée.
Une fusion «dans l’intérêt du citoyen»
Les freins demeurent nombreux. Ils sont parfois affectifs, mais ce n’est pas qu’une histoire d’esprit de clocher. Certaines communes craignent d’être phagocytées, d’y perdre en service à la population ou en proximité. La démarche provient parfois d’un collège communal, de façon unilatérale. Et puis, les intérêts politiques peuvent intervenir, forcément.
«Les communes de l’est du Brabant wallon collaborent déjà, dans plusieurs domaines. La supracommunalité s’organise aussi avec la Province. Il n’y a pas besoin de fusionner pour cela», relève Hugues Ghenne (PS), le bourgmestre de Orp-Jauche. Il fait partie de ces élus qui ne s’en cachent pas: la fusion, c’est non. Sur certains tracts de son groupe politique, UP, le message est clair: «Eviter la fusion des communes: préservons l’identité de nos villages!» Pour Hugues Ghenne, «fusionner serait absurde. De toute façon, les citoyens n’en veulent pas.»
Le bourgmestre de Herstal, Frédéric Daerden (PS), a avancé en septembre l’idée d’une grande métropole regroupant sa ville et celles de Liège et Seraing. Là, il s’agit surtout de redimensionner une métropole où les territoires communaux issus de la fusion de 1977 apparaissent comme étriqués.
Faut-il envoyer les fusions aux oubliettes? «Moi, je suis persuadé qu’au terme de la prochaine mandature, une dizaine de communes au minimum auront décidé de fusionner», commente Jean-Marc Franco (Les Engagés), le futur ex-bourgmestre de Bertogne. Malgré quelques tensions, il reste convaincu que ce fut une bonne décision. «Après l’émoi, beaucoup ont compris que nous l’avons fait dans l’intérêt du service au citoyen, certainement pas pour des raisons financières ou politiciennes.» A Bertogne, indique Jean-Marc Franco, les citoyens ont déjà pu en mesurer quelques effets positifs, sur le montant de la taxe «déchets», les accès au centre sportif, à la maison de repos, au parking.
«L’idée est d’avancer assez vite, pour permettre aux communes concernées de prendre les devants.»
François Desquesnes (Les Engagés), ministre wallon des Pouvoirs locaux.
Quand une commune est-elle trop petite?
La volonté de l’actuel gouvernement wallon (MR-Les Engagés) consiste bien à soutenir les fusions sur base volontaire. Les communes les moins peuplées seront de toute façon amenées à s’interroger sur leurs contours, puisque la majorité régionale entend imposer aux entités d’intégrer leur CPAS à l’institution communale, en dessous d’un certain seuil d’habitants. Pour le formuler autrement: des communes trop petites qui ne fusionneraient pas avec une ou plusieurs voisines seront amenées à se réorganiser, en fusionnant administration communale et CPAS, mais aussi conseil communal et conseil de l’action sociale.
A partir de quel seuil démographique? «Mon administration va y travailler, en collaboration avec l’Union des villes et communes de Wallonie et la Fédération des CPAS», précise François Desquesnes (Les Engagés), ministre wallon des Pouvoirs locaux. Aucune échéance n’est annoncée à ce stade. «L’idée est quand même d’avancer assez vite, pour permettre aux communes concernées de prendre les devants.»
En 2022, l’économiste Jean Hindriks (UCLouvain, Itinera Institute) avait établi, sur la base des dépenses de fonctionnement et de personnel des communes, que la taille minimale devrait être de 15.000 habitants pour être optimale. Selon ces critères budgétaires, trois quarts des communes wallonnes seraient concernées. Ce seuil est vraisemblablement bien plus élevé que celui que fixera le gouvernement wallon en temps voulu. «Je n’avance pas de chiffres, poursuit François Desquesnes. Mais certains indices ne trompent pas. Si, dans une commune, la fonction de directeur général ne permet pas d’occuper un 38heures/semaine ou si, dès que votre seul responsable de l’urbanisme est absent, toutes les demandes de permis sont en attente», la question de l’échelle peut se poser. Mais il insiste: toute fusion doit se faire sur base volontaire, en vertu de l’autonomie communale. Et seules les communes qui resteront sous le fameux seuil seront tenues de fusionner avec leur CPAS.
«Je reste nuancé, ajoute François Desquesnes. Il y a d’un côté l’autonomie communale et de l’autre, l’efficience. Comptez 252 communes de langue française en Région wallonne, ajoutez-y autant de CPAS et vous avez 500 structures, auxquelles ajouter les intercommunales, les régies communales autonomes, les asbl, etc. Cela fait beaucoup pour 3,6 millions d’habitants. Le but, c’est un service public rendu de la manière la plus qualitative. Notre conviction est qu’en dessous d’un certain seuil, il y a une perte de productivité et de service rendu», ce qui justifiera un grand toilettage. «Réduire le service public ou augmenter les impôts, nous ne le voulons pas. Par conséquent, il faut améliorer l’efficience», quitte à provoquer encore quelques vifs débats dans les villes et villages de Wallonie.
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