Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker | Pourquoi il faut arrêter de raconter que les élections communales n’ont rien d’idéologique

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La vie politique, et en particulier les élections communales, seraient marquées par la fin des idéologies. C’est complètement faux: sans idées et sans idéologie, la politique n’a aucun sens.

Le monde politique se divise en deux catégories de personnes, celles qui ont une idéologie et celles qui disent ne pas en avoir. Les premières ne sont pas à la fête. Voici des décennies que le politiquement correct les encoigne dans la ringardise du militantisme obtus. Un mandataire qui a des idées est un sectaire avec des œillères. C’est quelqu’un de dangereux.

Les secondes sont aujourd’hui les reines du débat public. Elles sont réputées pragmatiques, parfois elles s’en convainquent, souvent elles le font croire à leurs électeurs, toujours les journalistes s’en félicitent, parce que le monde journalistique se divise en deux catégories de personnes, celles qui ont une idéologie et celles qui disent ne pas en avoir.

La fin des idéologies est proclamée surtout pendant une campagne communale, parce qu’il est démontré par les faits que l’électeur communal vote encore moins que son homologue législatif, régional ou européen pour des grands principes aériens mais pour des personnes avec des mains, et c’est pourquoi les candidats communaux se débarrassent des étiquettes qui ont une idéologie pour s’autocoller des stickers qui disent ne pas en avoir. Cette tenace dilection pour le triomphe des secondes sur les premières indique un aveuglement, assez vertigineux quand on y pense, de la part des politiques et de la part des journalistes.

Parce que prétendre n’avoir que des solutions concrètes à l’esprit, c’est faire croire qu’aucun esprit ne préside à ces solutions. Se faire passer pour exclusivement orienté vers le résultat, c’est, à l’échelon communal, affirmer qu’un trottoir rénové par un fonctionnaire communal vaut un trottoir rénové par un travailleur clandestin qui vaut un trottoir rénové par un travailleur en CDI, alors que ces trois solutions de rénovation procèdent de trois esprits différents, ce qui les rend concrètement différentes. Ou c’est proclamer sans le dire qu’une absence de crèche est la même chose que la présence d’une crèche, ou qu’une crèche publique est la même chose qu’une crèche privée, parce que la seule chose qui compte est que les enfants soient bien gardés, peu importe par qui, alors que ces trois résultats découlent de trois visions du monde très situées, et certainement pas d’aucune.

Dire qu’on n’a pas d’idéologie, c’est même la plus ravageuse des idéologies pour un politique, parce que c’est valider l’idée qu’il vaut mieux ne pas en avoir. Or, sans idée et sans idéologie la politique n’a aucun sens, car sans idée et sans idéologie il ne faut pas de débat, pas de majorité et pas d’opposition, et donc il ne faut pas d’élection. Les politiques qui propagent cette idéologie sont bêtes, donc, parce qu’ils abîment leur vocation sur le long terme. Encore peuvent-ils se dire que c’est rentable à court terme, et ça l’est, des gens gagnent des élections communales grâce à ça, donc ça se défend, et là ils peuvent se dire pragmatiques ou «orientés résultats» sans avoir l’air trop sots parce que des électeurs aiment ça. Mais que des journalistes propagent goulûment cette billevesée n’est en revanche rentable pour personne, et surtout pas pour eux, parce que s’éloigner de ce concret nécessairement idéologique expose un biais, le leur, qu’il est idéologique, et que les lecteurs n’aiment pas ça. En tout cas on l’espère.

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