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Communes en danger: voici les 7 tuiles qui plombent leur budget

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les villes et communes de Wallonie et de Bruxelles font de plus en plus face à de grosses difficultés dans leurs finances. Voici les sept plaies qui compliquent la vie des élus locaux.

1. L’inflation

C’est la préoccupation du moment pour l’ensemble de la société, a fortiori pour les pouvoirs publics. Pour les communes, la note de la flambée inflationniste et de la crise énergétique qui en découle sera même plus salée que celle de la crise sanitaire, selon les résultats de l’étude annuelle sur les finances locales publiée en juin par Belfius.

Belfius Strategic Research a mis au point le «panier du bourgmestre», à l’image du «panier des ménages», un indice spécifique à la consommation des communes qui démontre que celles-ci sont encore plus sensibles à l’inflation que les citoyens. Ainsi, en prenant l’année 2017 comme référence (indice 100), le taux d’inflation atteint 113,52 en 2022. Mais la courbe spécifique au panier du bourgmestre atteint, elle, 120,4.

L’inflation touche les pouvoirs locaux à tous les étages, l’impact sur les coûts salariaux – 37,5% du panier du bourgmestre – représentant une difficulté majeure (lire le point 2). Les investissements en voirie et bâtiments représentent 20% du panier, ces dépenses étant typiquement celles qui risquent de pâtir des effets de l’inflation.

La hausse des prix de l’énergie, en particulier, constitue une tuile. Belfius, en tablant sur une hausse de 50% des prix, estime que la note augmentera de 12,5 millions d’euros pour les communes bruxelloises et de 65 millions pour les communes wallonnes. Mais toutes ne sont pas logées à la même enseigne, selon qu’elles disposent ou pas d’un contrat fixe à plus ou moins longue durée, ou qu’ elles aient déjà réalisé ou non des investissements pour réduire leur consommation.

Le problème est que la plupart des entités ont confectionné un budget avant de connaître l’ ampleur de la flambée. Elles sont, dès lors, obligées d’opérer d’importantes modifications budgétaires pour éviter de plonger dans le rouge. Selon Belfius, les dépenses ordinaires des communes bruxelloises devraient augmenter de 9,8% cette année, par rapport à 2021 (6% initialement prévus). Cela se traduirait, à politique constante (sans modifier le budget), par une dégradation du solde ordinaire d’environ 90 millions d’euros pour l’ensemble des communes, faisant passer leur déficit d’une trentaine de millions à 122 millions au total. Les réserves constituées au cours des années précédentes leur permettraient de conserver un très maigre boni de deux millions d’euros.

La plupart des communes ont confectionné un budget avant de connaître la flambée inflationniste.

Côté wallon, l’inflation devrait entraîner une hausse de dépenses ordinaires de l’ordre de 7,7% (3,8% initialement prévus). Le solde à l’exercice propre de l’ensemble des communes serait déficitaire à hauteur de 195 millions d’euros, à politique constante toujours.

2. L’indexation des salaires

Au moment de présenter leur budget, la plupart des communes tablaient sur une indexation des salaires cette année, il y en aura finalement quatre dans la fonction publique. Conséquence: de nombreux élus locaux se demandent comment ils pourront se maintenir à flot, d’autant que les dotations des communes vers les CPAS, zones de police et autres zones de secours seront aussi touchées par l’augmentation des charges de personnel.

Selon les simulations de Belfius, les coûts salariaux augmenteront cette année de 9,2% en Wallonie, soit 85 millions de dépenses supplémentaires pour les communes, et de 10,6% en Région bruxelloise, soit 45 millions de dépenses supplémentaires. Le pourcentage plus élevé à Bruxelles s’explique par l’entrée en vigueur d’un nouvel accord sectoriel pour les agents des pouvoirs locaux.

En voyant le verre à moitié plein, on peut aussi prévoir que l’indexation atténuera le choc dans les années à venir, à travers les principales recettes fiscales des communes, compte tenu d’une augmentation de la base imposable. En attendant, elles sont obligées de se serrer la ceinture.

3. La hausse des taux d’intérêt

C’est une inquiétude de plus en plus souvent exprimée: les taux d’intérêt repartent doucement à la hausse, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les charges d’intérêt qui pèsent sur les communes, ni sur leur capacité à s’endetter pour réaliser des investissements. La Banque centrale européenne, en effet, a augmenté son taux directeur de 0,5% en juin, une première en une décennie.

«La hausse n’est pas encore très spectaculaire, mais il faut se dire que l’évolution des taux durant une dizaine d’années a apporté une marge de manœuvre aux communes, souligne Arnaud Dessoy, responsable de l’étude sur les finances locales chez Belfius. Pour équilibrer son budget, on pouvait compter chaque année sur une baisse des charges d’intérêt. Désormais, au mieux c’est un statu quo, mais ça augmentera probablement. Cela étant, ça n’explosera pas du jour au lendemain, puisque ces charges augmenteront à mesure des nouveaux emprunts.» Ce sera toutefois une latitude dont les pouvoirs locaux ne disposeront plus.

4. La crise sanitaire

Les communes traversent un enchaînement de crises, dont les dégâts se superposent. A Bruxelles, celle du coronavirus aura ainsi affecté leurs finances d’environ 80 millions d’euros en 2020 et de 35 millions en 2021, estimait en début d’année Bernard Clerfayt (DéFI), ministre des Pouvoirs locaux.

Covid
Le Covid a pesé sur le budget des communes. © AFP

La crise sanitaire a démontré à quel point la commune joue un rôle déterminant en situation d’urgence. «L’ impact, même s’il a été un peu moindre que redouté, n’a pas été anodin, indique également Julien Flagothier, conseiller en finances publiques à l’Union des villes et communes de Wallonie. On parle d’une perte de recettes à l’IPP, d’exonérations de certaines taxes locales, de subventions aux indépendants, de recettes de prestation qui n’ont pas pu rentrer», sans oublier les achats de matériel sanitaire, l’organisation du télétravail pour le personnel, etc.

Dans ce contexte, les Régions ont néanmoins octroyé un peu de souplesse aux communes: les wallonnes ont été autorisées à présenter un budget ordinaire en léger déficit, tandis que les bruxelloises ont pu extraire leurs dépenses liées au Covid des dépenses ordinaires.

5. Les pensions

L’ explosion des charges de pension est une bombe à retardement. Une vive inquiétude s’exprime, notamment dans les grandes villes, particulièrement concernées. Les pouvoirs locaux sont entièrement responsables du financement des pensions de leurs anciens agents statutaires, sans intervention du fédéral, ce qui constitue une exception. Jusqu’en 2011, le financement s’appuyait sur une cotisation prélevée auprès des travailleurs statutaires. Mais la base de cotisants s’est progressivement effritée, ne permettant plus d’alimenter suffisamment le système.

En 2011, une loi imaginée par Michel Daerden entendait en assurer la viabilité, mais allait grever les finances communales. Le mécanisme repose sur une double cotisation. Le maintien d’une cotisation de base prélevée chez les statutaires, tout d’abord, dont le taux a été majoré entre-temps. S’y ajoute une cotisation de responsabilisation pour les administrations locales dont la cotisation de base ne suffit pas à couvrir leurs charges de pension. Il était prévu, au départ, qu’elle couvre la moitié de la différence entre la contribution de base et le coût réel des pensions, mais ce coefficient augmente lui aussi: de 50%, il passera à 69% en 2023 et atteindra 75% en 2025.

Les pensions plombent le budget de nombreuses communes. © BELGA IMAGE

Une autre loi, imaginée sous le gouvernement Michel, permet aux pouvoirs locaux ayant mis en place un deuxième pilier de pension pour leurs contractuels de voir leur cotisation de responsabilisation réduite. L’ incitant a peiné à séduire en Wallonie, tandis que les communes s’étaient déjà largement engagées dans le deuxième pilier en Flandre, où le gouvernement régional a repris à son compte 50% de la facture des cotisations de responsabilisation sous cette mandature. Les entités locales du nord et du sud ne sont pas vraiment logées à la même enseigne.

Les communes sont d’autant plus inquiètes que la cotisation de responsabilisation ne cessera de s’alourdir. Selon les projections de Belfius, elle coûtait 68,3 millions d’euros aux wallonnes en 2019, en aura coûté 113,5 millions en 2022, et devrait grimper à 202,6 millions en 2025. Si on y ajoute les cotisations de responsabilisation des provinces et des CPAS, il en coûtera 354,3 millions à ces pouvoirs locaux en 2025, alors que la facture était de 128,5 millions en 2019.

Pour les communes bruxelloises, la cotisation de responsabilisation se chiffrait à 23,6 millions en 2019, elle sera de 36,1 millions en 2022 et de 61 millions en 2025. Si on y ajoute les cotisations de responsabilisation des CPAS, le montant global était de 44,6 millions en 2019 et devrait atteindre 107,2 millions en 2025.

6. Le report de charges

D’autres niveaux de pouvoir prennent des décisions, mais en bout de course, ce sont les communes qui trinquent. C’est, en substance, ce qui irrite plus d’un mandataire local. Les sujets de discorde ne manquent pas.

Bernard Clerfayt
Face aux difficultés des communes à boucler leur budget, certaines attaquent en justice des décisions, comme Bernard Clerfayt. © Belga

C’est ainsi, pour citer un exemple, que le bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, Olivier Maingain (DéFi), a entrepris, l’an dernier, d’attaquer au conseil d’Etat une revalorisation de statut des employés des communes bruxelloises décidée par le gouvernement régional et son ministre des Pouvoirs locaux, Bernard Clerfayt (DéFI lui aussi). L’ augmentation en question doit, en moyenne, être financée à 75% par la Région et 25% par les communes. Un report de charge, qui vient s’ajouter à tant d’autres, dénonce le bourgmestre woluwéen.

A vrai dire, en matière de reports, c’est souvent le fédéral qui est pointé du doigt. Le tax shift imaginé par le gouvernement Michel, par exemple, reste en travers de la gorge des pouvoirs locaux. Réduire l’impôt sur les personnes physiques fait également fondre les recettes communales du taux additionnel sur cet impôt.

Une autre pierre d’achoppement est la délégation aux communes de l’aide sociale, le fédéral ne finançant pas pleinement le revenu d’intégration sociale. Les centres urbains, en particulier, sont pris en étau. Les dépenses de transfert des communes vers les CPAS augmentent. Dans leur globalité, elles se chiffrent à 607 millions d’euros (+ 8,2% par rapport à 2021) dans le budget des communes wallonnes et à 418 millions (+ 12,3%) à Bruxelles.

Les dotations aux zones de police connaissent aussi des augmentations (+ 5,2% en Wallonie, + 2,4% à Bruxelles), alors que les villes et communes doivent assumer une part de leur financement de manière plutôt inégale. Là aussi, des décisions émanant du fédéral, comme un accord sectoriel, finissent par s’abattre sur les communes, d’autant plus que les frais de personnel comptent pour 90% des dépenses des zones de police.

D’autres niveaux de pouvoir prennent des décisions, mais en bout de course, ce sont les communes qui trinquent.

Encore une pomme de discorde: les zones de secours, qui doivent être financées de manière égale par les communes et le fédéral. La répartition 50-50 n’est pas respectée. A ce sujet, une éclaircie est à signaler pour les communes wallonnes: le gouvernement régional réclame des provinces qu’elles reprennent progressivement à leur charge le financement des zones de secours, à hauteur de 60% des contributions communales à l’horizon 2024. Une décision qui enchante moins les provinces que les communes, soit dit en passant.

7. Et tout le reste

Quelques exemples de doléances. Les communes ont assumé l’accueil des réfugiés ukrainiens. Plusieurs en Wallonie ont fait face aux inondations de l’été 2021. Certaines s’estiment lésées par le fonds des communes en Wallonie, par la dotation générale aux communes en Région bruxelloise. D’autres s’inquiètent de voir les structures hospitalières auxquelles elles sont associées en mauvaise santé financière. Certaines perdent des plumes en créances irrécouvrables, ou pâtissent de revenus cadastraux obsolètes. Le transfert de la perception du précompte immobilier à la Région wallonne, au 1er janvier 2021, a provoqué une perte de quelques pour cent de recettes fiscales, indique-t-on. Et cette même matière, transférée à la Région bruxelloise trois ans plus tôt, n’y est pas toujours gérée de manière optimale non plus, apprend-on. A entendre les mandataires, la liste des difficultés est décidément longue comme le bras.

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