Comment ont voté les jeunes francophones aux dernières élections? Ce que révèle le fossé entre Bruxelles et la Wallonie
Le 9 juin dernier, plus de 800.000 jeunes Belges étaient appelés aux urnes pour la première fois. Alors que les primo-votants bruxellois ont massivement plébiscité la gauche (singulièrement le PTB et le PS), leurs homologues du sud du pays ont suivi le virage à droite entamé par la Wallonie.
Elections, clap 1. Le 9 juin dernier, un total de 830.865 jeunes Belges découvraient les urnes pour la toute première fois. Une expérience qui a livré des résultats bien différents d’une région à l’autre.
L’enquête «Sortie des urnes» réalisée par le Centre d’Etude de la Vie Politique (Cevipol) de l’ULB auprès de 3.700 votants révèle en effet des dynamiques divergentes chez les primo-votants wallons et bruxellois.
Au sud du pays, les jeunes de 18 à 23 ans ont massivement plébiscité le MR. Selon l’étude, ils seraient 28,2% à avoir opté pour les libéraux dans l’isoloir, contre 23% en 2019. Ils ont également été séduits par le renouveau des Engagés, qui ont récolté 19,4% des voix chez les primo-votants, contre 9,3% en 2019. Une tendance qui suit la (centre)-droitisation généralisée de la Wallonie par rapport aux précédents scrutins. Le PS arrive en troisième position chez les jeunes (17,9% des voix), suivi par le PTB (15,1%). Ecolo ferme la marche avec 8,6%, un résultat qui reste toutefois supérieur au score global des verts en Wallonie toutes classes d’âge confondues (6,9%).
Bruxelles, à gauche toute
Les primo-votants bruxellois ont par contre adopté un comportement électoral bien différent de leurs homologues wallons. Avec 29% des voix, le PTB est le grand vainqueur chez les 18-23 ans dans la capitale. Un score largement supérieur aux 17,7% engrangés par le parti toutes tranches d’âge confondues, et bien loin des 9,7% récoltés parmi les Bruxellois de plus de 55 ans. Vient ensuite le PS, qui apparaît largement surreprésenté chez les jeunes (25,2% chez les 18-23 ans contre 19,4% à l’échelle globale). Fait notable: malgré son triomphe généralisé, le MR n’a pas du tout séduit les primo-votants bruxellois, qui sont moins de 10% à avoir voté bleu dans l’isoloir, contre 21,8% au sein de la population globale. Les deux partis centristes (Engagés et DéFI) n’ont guère fait mieux, en affichant eux-aussi des scores inférieurs à leurs résultats globaux.
Pour Romain Biesemans, doctorant en science politique au Cevipol (ULB) et co-auteur de l’enquête, ces contrastes observés entre les deux régions du pays sont le reflet de deux paysages politiques foncièrement différents. «Cette différence entre les espaces politiques wallons et bruxellois est poussée à son paroxysme au niveau du choix des primo-votants», note le chercheur. Globalement, le comportement électoral des jeunes Wallons suit la tendance de la population générale, à savoir un virage à droite ou en tout cas au centre-droit. «Il est finalement assez difficile de distinguer les primo-votants du reste du corps électoral wallon, résume Romain Biesemans. Ce qui n’est pas du tout le cas à Bruxelles, où on voit un différentiel énorme entre les scores de certains partis comme le MR et le PTB au sein des classes d’âge inférieures et supérieures. L’électorat jeune a tendance à y voter bien plus à gauche que le reste de la population.»
Malgré son triomphe généralisé, le MR n’a pas du tout séduit les primo-votants bruxellois.
Pour expliquer le succès du PTB chez les jeunes Bruxellois, le chercheur avance plusieurs hypothèses, notamment un travail de terrain particulièrement poussé des communistes dans la capitale. «Ils sont extrêmement présents sur les campus universitaires, par exemple, ce qui a pu leur permettre de pénétrer des poches d’électorat plus jeunes.» Leur programme politique, axé sur l’égalité économique, a pu également engendrer un certain succès dans les quartiers socio-économiquement défavorisés. Leur posture contestataire sur les questions internationales (la guerre à Gaza, par exemple) ou socio-culturelles peut également avoir joué en leur faveur, tout comme leur présence importante sur les réseaux sociaux dans la capitale. «Bref, le PTB a réussi à être audible et à capter certaines tranches de l’électorat qui étaient peut-être destinées à voter pour d’autres partis de gauche, comme Ecolo et le PS. Mais ça n’en reste qu’au stade de l’hypothèse.»
Plus progressistes, les jeunes femmes?
Les jeunes Bruxellois auraient-ils échappé à la forme de droitisation voire d’extrême-droitisation observée dans de nombreux pays européens? Cette tendance est à remettre dans son contexte. De manière générale, les milieux urbains votent plus à gauche et de manière plus progressiste que les milieux ruraux, rappelle Romain Biesemans. «Si l’on compare le vote des jeunes Bruxellois à celui d’autres grandes villes européennes, on ne devrait pas obtenir de grandes différences, avance le doctorant. C’est pareil si l’on zoome sur certaines villes wallonnes comme Liège ou Charleroi, où le vote des jeunes devrait être moins orienté vers le MR que dans d’autres espaces ruraux de Wallonie.»
D’importantes différences se marquent également au niveau du genre en Wallonie. Les femmes de 18 à 23 ans ont ainsi tendance à voter bien plus à gauche que leurs homologues masculins. Selon l’étude du Cevipol, elles ont été 25,75% à avoir opté pour le PS, contre 16,69% des hommes. Elles ont également davantage plébiscité les écologistes (14,4% contre 8,3% des hommes). Les jeunes garçons ont, eux, privilégié le MR (38,24% contre 23,95% pour les jeunes filles).
Un phénomène similaire avait déjà été identifié en Flandre avant les élections. Une enquête menée par l’Université de Gand, la VUB et la KUL en février révélait en effet que les jeunes femmes prévoyaient d’orienter leur vote vers les écologistes de Groen (11,6 %) et les socialistes de Vooruit (8,8 %), contrairement aux garçons qui souhaitaient opter en priorité pour le Vlaams Belang (17,4 %) et la N-VA (15,5 %). Cette tendance s’observe également à l’échelle mondiale, selon une vaste étude du Financial Times, qui pointe les valeurs progressistes des jeunes femmes aux quatre coins du globe contre un retour au conservatisme chez les jeunes hommes.
Bref, le comportement électoral des jeunes Belges marque d’importantes disparités en fonction du genre, du lieu de résidence ou du niveau socio-économique. «Les primo-votants ne sont pas un groupe homogène mais bien des multitudes d’entités aux comportements très différents, conclut Romain Biesemans. Dire que les jeunes votent plus à droite en Wallonie et plus à gauche à Bruxelles serait un résumé bien trop grossier. Les dynamiques sont bien complexes que cela.»
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