La progression des centristes sur ce point est «spectaculaire», indiquent les auteurs du rapport, le parti de Maxime Prévot ayant réussi à capter 75% de nouveaux votes, tout en n’en perdant que 29% par rapport à 2019. © BELGAIMAGE

Inquiétants pour Ecolo et DéFi, «spectaculaires» pour Les Engagés et rassurants pour le MR: une nouvelle étude chiffre les transferts d’électeurs entre partis

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Une nouvelle étude universitaire permet d’expliquer le fossé qui sépare le résultat des élections du 9 juin dernier de ce que prédisaient les sondages. Elle révèle le difficile équilibre pour les partis qui, pour se maintenir à flot, doivent à la fois garder leurs électeurs et en attirer de nouveaux.

Le soir du 9 juin, journalistes, chercheurs et observateurs de la vie politique ont été quelque peu surpris par les résultats des urnes. Car le score de certains partis a fait le grand écart par rapport à ce que leur promettaient les sondages, dans le bon comme dans le mauvais sens. En Flandre, la vague noire sur laquelle le Vlaams Belang se voyait déjà surfer n’a pas déferlé. Certes, le parti d’extrême droite a progressé comparé à 2019, mais sans toutefois devenir le premier parti flamand, titre conservé par une N-VA que personne n’attendait là. En Wallonie, la vague rouge sur laquelle le PTB se voyait déjà surfer n’a pas déferlé non plus. Le parti marxiste a lui aussi progressé, mais sa courte victoire fut éclipsée par le fulgurant bond en avant des Engagés.

Une récente étude, réalisée conjointement par l’UAntwerp, l’UCLouvain, la VUB, la KU Leuven, l’UNamur, l’ULB et l’UGent, permet de mieux appréhender ce grand écart entre les sondages préélectoraux et la réalité des votes. L’enquête révèle l’importance de la campagne des partis dans la dynamique électorale (en particulier les dernières semaines avant le scrutin), démontre le déclin de la loyauté partisane et rappelle que les sondages ne sont qu’une photographie des intentions de vote à un instant T.

1. Des électeurs plus volatils en Wallonie qu’en Flandre

Premier concept à appréhender, celui de la «volatilité électorale nette», à savoir le nombre de voix engrangées par les partis en 2024, par rapport à 2019. Constat: en Wallonie, l’élection a été deux fois plus volatile qu’en Flandre, un gap qui n’avait plus été observé depuis 1971. La situation politique a davantage évolué au sud qu’au nord du pays. «Cette volatilité s’explique d’abord par une fidélité électorale tendanciellement plus faible, en raison de plusieurs facteurs: le déclin des piliers, des campagnes sur les réseaux sociaux davantage orientées vers les personnes que vers l’idéologie, et une insatisfaction des citoyens envers les partis au pouvoir», déroule le politologue Jean-Benoit Pilet (ULB).

Groen et l’Open VLD ont perdu une grande partie de leurs électeurs (58% et 52% respectivement), le premier réussissant tant bien que mal à attirer une part significative de nouveaux électeurs, contrairement au second. © BELGA

2. Qui a perdu ou gagné des électeurs par rapport à 2019?

Ensuite, l’enquête dévoile la mesure dans laquelle les partis ont perdu des électeurs qui avaient voté pour eux en 2019, et attiré de nouveaux électeurs (primo-votants, personnes qui avaient voté pour d’autres partis, abstentions ou votes blancs), soit la «volatilité électorale brute».

En Flandre, environ 38% des électeurs ont changé de parti entre 2019 et 2024, bien que les résultats globaux semblent stables. Groen et l’Open VLD ont perdu une grande partie de leurs électeurs (58% et 52% respectivement), le premier réussissant tant bien que mal à attirer une part significative de nouveaux électeurs, contrairement au second. La N-VA est le parti flamand qui a le moins réussi à capter de nouveaux votes, mais est restée stable en perdant peu d’électeurs. Le Vlaams Belang a conservé la plupart de ses électeurs (19% de perte seulement), mais a moins réussi à en capter de nouveaux que le PVDA et Vooruit.

En Wallonie, près de la moitié des électeurs ont changé de parti entre 2019 et 2024.

Sous la présidence de François De Smet, DéFi a connu l’une des pires débâcles électorales de son histoire © BELGA/BELPRESS

En Wallonie, 44% (près de la moitié!) des électeurs ont changé de parti entre 2019 et 2024. DéFI, Ecolo et le PTB ont perdu une grande part de leurs électeurs, tandis que Les Engagés et le MR ont réussi à conserver la majorité de leurs électeurs et à en attirer de nouveaux. La progression des centristes sur ce point est «spectaculaire», indiquent les auteurs du rapport, le parti de Maxime Prévot ayant réussi à capter 75% de nouveaux votes, tout en n’en perdant que 29% par rapport à 2019. Grand perdant de ces élections côté francophone, Ecolo a été lâché par une majorité de ses électeurs d’il y a cinq ans (59%), sans parvenir à remplir son réservoir déficitaire avec de nouveaux bulletins de vote (seulement 29% d’électeurs «chipés» à un autre parti). Pour DéFi, c’est la soupe à la grimace: les amarantes ont perdu 78% de leurs votes à l’occasion de ce scrutin.

3. Qui a chipé combien de voix à qui?

En Flandre, les principaux mouvements se sont opérés de la N-VA vers le Vlaams Belang, bien que les nationalistes flamands aient récupéré certains électeurs chez leurs concurrents d’extrême droite. © BELGA

Troisièmement, focus sur les transferts de voix entre partis politiques, lignes qui seront, à n’en pas douter, attentivement scrutées par les premiers concernés pour établir le bilan de ces élections.

En Flandre, les principaux mouvements se sont opérés de la N-VA vers le Vlaams Belang, bien que les nationalistes flamands aient récupéré certains électeurs chez leurs concurrents d’extrême droite. La N-VA a aussi été chercher sa victoire du côté de l’Open VLD d’Alexander De Croo, qui «a perdu des électeurs dans tous les sens», écrivent les auteurs. A noter que Groen a perdu beaucoup de voix au profit de Vooruit et du PVDA.

Le MR a siphonné les voix conquises par le Parti Populaire il y a cinq ans, réussissant ainsi sa stratégie de droitisation du discours.

En Wallonie, le MR a abandonné des électeurs au profit des Engagés, mais a réussi à en attirer certains du PS, et à transformer une part non négligeable des votes blancs et abstentionnistes de 2019 en votes libéraux en 2024. Aussi, la formation de Georges-Louis Bouchez a siphonné les voix conquises par le Parti populaire (formation d’extrême droite qui n’existe plus) il y a cinq ans, réussissant ainsi sa stratégie de droitisation du discours. Les Engagés ont, eux, ratissé large, en attirant des électeurs du MR, d’Ecolo et du PS. En parallèle, l’ex-CDH a conquis une grande partie des primo-votants. Enfin, une part des voix exprimées en faveur du PTB il y a cinq ans se sont diluées en votes blancs et abstentionnistes. «Le parti a été considéré comme la principale force de protestation en Wallonie, mais certains de ses électeurs de 2019 ont décidé de ne pas voter du tout en 2024», soulignent ironiquement les politologues.

4. La campagne électorale, plus que jamais moment clé

Enfin, ce sont les moments lors desquels les différents partis ont gagné ou perdu des électeurs qui ont été analysés. Une subdivision qui démontre l’importance de la campagne électorale dans la dynamique du scrutin, jusqu’au jour J.

Une campagne durant laquelle Bart De Wever a répété qu’une alliance avec Tom Van Grieken n’était pas à l’ordre du jour, tout en décrédibilisant la formation d’extrême droite. © BELGA

Au nord du pays, c’est l’efficace campagne de la N-VA qui lui a permis de rester la première force politique. «Au cours de la campagne, le Vlaams Belang n’a pas perdu beaucoup de terrain par rapport aux autres partis flamands, de sorte que sa victoire moins importante que prévu peut presque entièrement s’expliquer par la campagne réussie de la N-VA parmi les électeurs potentiels du Vlaams Belang», précise le rapport. «Des électeurs qui avaient tourné le dos à la N-VA pour lui préférer le Vlaams Belang ont fait marche arrière durant la campagne, analyse Jean-Benoit Pilet. Une campagne durant laquelle Bart De Wever a répété qu’une alliance avec Tom Van Grieken n’était pas à l’ordre du jour, tout en décrédibilisant la formation d’extrême droite. «Le bourgmestre d’Anvers a réussi à recentrer la campagne sur les enjeux socioéconomiques, au détriment de l’immigration, si chère au Vlaams Belang, reprend le chercheur de l’ULB. Sans oublier la polémique suscitée par les propos de Tom Van Grieken au sujet du wokisme et de la transsexualité, qui ont démontré que les Flamands n’étaient peut-être pas aussi conservateurs que ce que le Vlaams Belang pouvait imaginer.»

«Des électeurs qui avaient tourné le dos à la N-VA pour lui préférer le Vlaams Belang ont fait marche arrière durant la campagne.»

Au sud du pays, quels sont les moments gagnants expliquant la percée des Engagés? L’enquête montre qu’ils sont parvenus à convaincre les électeurs indécis et les primo-votants, particulièrement dans les dernières semaines avant le vote. «De quoi les renforcer après leur première croissance électorale, conquise lors de leur refondation après 2019, et la seconde, liée à ce qu’on appelle l’effet bandwagon (NDLR: le fait de se décider tardivement, en suivant la majorité), continue Jean-Benoit Pilet. Quand un parti a le vent en poupe dans les sondages, certains électeurs montent dans le train, car ils veulent être du côté des gagnants, de ceux qui pourront faire la différence après les élections.»

Méthodologie

Pour arriver à ces résultats, les chercheurs des différentes universités se sont basés sur la méthodologie NotLikeUs (NLU), une enquête en panel menée en trois vagues auprès du même échantillon de participants, constitué de 2.709 Flamands et 1.244 Wallons. En ligne, les auteurs ont demandé aux répondants d’exprimer leur intention de vote à trois reprises, pour observer les changements dans les préférences des électeurs. En février-mars 2024 (soit au début de la campagne électorale pour les élections du 9 juin), ils ont été interrogés sur leurs choix de vote en 2019 et leurs intentions de vote pour 2024. Ils ont à nouveau été questionnés durant les mois de mai et de juin, à l’aube des élections. Avant une dernière sollicitation, juste après les élections, pour enregistrer les votes réels des participants. L’étude mesure à la fois ce que les auteurs nomment la «volatilité nette» (changement global de part de voix entre 2019 et 2024) et la «volatilité brute» (mouvements d’électeurs individuels entre les partis). Les flux d’électeurs entre les partis sont analysés en détail, y compris ceux qui ont changé de parti entre 2019 et 2024, ainsi que ceux qui ont modifié leurs préférences au cours de la campagne électorale. La méthodologie employée par les auteurs permet d’obtenir une image précise des mouvements d’électeurs et des facteurs influençant leur comportement durant les élections de 2024.

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