Lacs de l'Eau-d'Heure, le 9 septembre: un moment heureux pour Georges-Louis Bouchez après un été tendu au MR. © belgaimage

Comment le président du MR Georges-Louis Bouchez, détesté par les siens, a gagné son pari

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Dans les couches supérieures du MR, beaucoup de grands bleus sont exaspérés par Georges-Louis Bouchez. Pourtant, son mandat de président devrait bientôt, comme il le souhaitait, être prolongé jusqu’aux élections

C’est une scène de Far West dans leur tête, où règne le rapport de force et où la loi s’applique au canon du colt. Mais tous les desperados du MR, sauf un, sont à bout d’espoir. Ils s’étaient promis un règlement de comptes, précisément celui de leur président, Georges-Louis Bouchez, en 2023. La fusillade n’aura pas lieu, et Georges-Louis Bouchez a gagné son pari contre les grands bleus du MR : le conseil du Mouvement réformateur devrait prolonger bientôt, au moins jusqu’aux élections législatives, régionales et européennes de juin 2024, le mandat de son président.

Les patrons du parti s’étaient pourtant accordés pour organiser un scrutin interne au terme du mandat de quatre ans inauguré en novembre 2019 par Georges-Louis Bouchez. Lui-même avait donné sa parole, mais a plaidé pendant trois ans pour une prolongation jusqu’à l’après-2024, afin que le Montois soit évalué à l’aune des résultats obtenus.

Mais désormais Georges-Louis Bouchez jouit de la position paradoxalement confortable de celui qui pourrait même faire tenir et emporter en novembre un scrutin interne le réélisant pour un nouveau mandat, de cinq ans celui-là, plutôt que simplement obtenir une dérogation qui, il y a quelques mois encore, était très incertaine – il ne le fera pas, parce que le vrai moment de vérité, pour lui, sera l’été prochain, au soir du dimanche 9 juin.

C’est confortable parce que le président des Francs Borains n’a pas, puisque Sophie Wilmès s’en empêche pour raisons personnelles, d’adversaire susceptible de le battre, d’abord, et, ensuite et surtout, de lui faire respecter la victoire, au moins le temps d’une campagne cruciale. Les grands bleus qui l’avaient choisi, lui, parce qu’ils se trouvaient, eux, mieux ailleurs – Olivier Chastel, Charles Michel et Didier Reynders partis à l’Europe ; David Clarinval resté au fédéral ; Willy Borsus maintenu en Wallonie ; Pierre-Yves Jeholet envoyé à la Fédération Wallonie-Bruxelles – pourraient, peut-être, le battre s’ils forment un front uni, fort incertain. La victoire de l’un d’eux susciterait chez le sortant et ses partisans une telle frustration que le MR s’en irait gravement déchiré aux élections de juin, garantie de défaite collective.

Les pitreries présidentielles ont lassé les grands bleus, comme les promesses non tenues.

Et c’est paradoxal car le président libéral est aujourd’hui moins aimé qu’à l’automne 2019 des couches supérieures de sa formation, ces ministres et parlementaires, pratiquement tous associés dans un mouvement inédit d’unanimité libérale, qui l’avaient alors porté à la présidence aux dépens de Denis Ducarme. Sa candidature avait fédéré chez les Michel et chez Reynders et Cie, chez les jeunes et chez les vieux, jusqu’à sa vieille adversaire Jacqueline Galant, jusqu’aux irréductibles ennemis Marie-Christine Marghem et Jean-Luc Crucke.

Les extravagances de Louis Michel

Aujourd’hui, Jean-Luc Crucke, qui trouvait alors que «tout le monde nous l’envie» et que Georges-Louis Bouchez était «le meilleur d’entre nous», est parti chez Les Engagés, comme Alexia Bertrand, jadis soutien ferme, s’est avec dilection fait transférer à l’Open VLD pour le prix d’un secrétariat d’Etat. Chez les autres, chez ceux qui restent, nous dit-on de toutes parts, l’exaspération est généralisée et les récriminations sont infinies.

Louis Michel lui-même, qui trouvait il y a quelques mois que le problème de Georges-Louis Bouchez, «eh bien je vais vous le dire», c’est qu’il était trop brillant, et que les gens étaient jaloux de lui, estimait, le 10 septembre, face à Martin Buxant sur RTL, qu’il est toujours très brillant, et que les gens sont toujours jaloux de lui, mais que ce sont «ce que j’appelle chez lui quelques extravagances», le problème.

Tous les réformateurs n'idolâtrent pas leur président. Mais en l'absence de Sophie Wilmès, il devrait être prolongé à la présidence...
Tous les réformateurs n’idolâtrent pas leur président. Mais en l’absence de Sophie Wilmès, il devrait être prolongé à la présidence… © belgaimage

Les pitreries présidentielles, le «colle ton zizi à la barre» ou la théâtralisation de l’embryon d’une hypothétique carrière d’officier de réserve, ont certes lassé les grands bleus, comme les promesses non tenues, de celle de quitter son poste de sénateur coopté dès qu’il serait désigné président en novembre 2019 à celle de constituer une cellule commune pour les matières fédérales avec l’Open VLD en décembre 2022, en passant par celle d’apprendre le néerlandais d’ici à septembre 2017.

Mais c’est surtout le constat que la plus bravache de ses promesses, celle d’atteindre les 30% en juin 2024, n’a aucune chance d’être atteinte, avec ou sans lui, qui plonge grands et moyens bleus dans une lassitude que même la colère, à chaque extravagance, ne parvient pas à briser. Georges-Louis Bouchez a tant travaillé, ces quatre dernières années, à incarner son parti, dans les médias et sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les plus négligées des sections locales, que s’en séparer coûterait cher tandis que le garder ne rapportera rien.

Ils l’ont élu parce qu’ils ne voulaient pas de sa place, aujourd’hui, ils lui reprochent de l’avoir prise, c’est injuste, et ils constatent qu’il menace la leur, et ça c’est tout à fait vrai.

Georges-Louis Bouchez est devenu une menace pour les grands bleus qui l’ont élu parce qu’il est désormais un aussi grand bleu qu’eux. Il est un aussi grand bleu, il est peut-être même devenu plus grand qu’eux, parce qu’ils ont fait plusieurs fois le pari que c’était la dernière fois qu’il écouterait ses propres intérêts plutôt que leur avis.

Il est un danger pour eux parce qu’il menace les places qui font d’eux des grands bleus, et qu’ils espèrent conserver après la campagne. Ils sont aujourd’hui ministres, ou président du Conseil, ou ministre-président, ou commissaire européen, parce qu’ils ne voulaient pas être président de parti, ils pourraient demain n’être plus rien parce que leur président de parti ne le veut plus.

Si le MR gagne les élections avec Georges-Louis Bouchez, il fera entrer son parti dans les gouvernements, et ces grands bleus n’en seront pas parce que Georges-Louis aura gagné, avec les élections, des coudées franches. Si le MR perd les élections avec Georges-Louis Bouchez, leur parti n’entrera pas dans les gouvernements, et ces grands bleus n’en seront pas même si Georges-Louis Bouchez aura perdu, avec les élections, sa présidence.

Les partis autres que le MR y trouvent un épouvantail extraordinairement commode.

La « personnalité rédhibitoire de GLB »

Il menace aussi la campagne des grands bleus elle-même. Ils vont la passer à se justifier ou à se distancier des propos et de la personnalité du président qu’ils ont porté à la présidence, et à qui ils reprochent aujourd’hui d’avoir fait ce que doit faire un président de parti, incarner un projet et atteindre une centralité dans le débat public.

Ce projet, assez audacieux par rapport à la réalité du pouvoir en Belgique, porte une aspiration à l’alternance en Belgique francophone. Ce qui fait qu’ils passeront aussi la campagne, les grands bleus, ces ministres et députés des majorités fédérale, wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à contredire un président de parti qui dit que tout va mal en Belgique, en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles alors qu’ils sont, eux, au gouvernement de la Belgique depuis 1999, au gouvernement de la Région wallonne depuis 2017 et au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles depuis 2019.

Cette centralité est un avantage pour Georges-Louis Bouchez, qui en tire des soutiens, de gens parfois extérieurs au MR. Elle est aussi, dans une certaine mesure, un avantage pour les partis autres que le MR, qui y trouvent un épouvantail extraordinairement commode. Dans une note stratégique présentée il y a quelques mois à leur bureau politique, les coprésidents écologistes Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane prônaient «la mise en exergue de la personnalité rédhibitoire de GLB» pour conquérir de nouveaux publics. Les autres partis, les adversaires (PTB, PS, Ecolo), mais aussi les concurrents (Les Engagés et DéFI) calibrent déjà de larges offensives autour des excès et du manque de sérieux allégués au président du Mouvement réformateur. Mais cette centralité est un autre désavantage pour les grands bleus, qui doivent se préparer à être forcés de se justifier et empêchés de se faire valoir pendant l’année à venir.

Le pari de ces grands bleus, aujourd’hui, c’est de laisser Georges-Louis Bouchez mener la campagne réformatrice, avec l’aigre espoir que le MR ne gagne pas trop, pour que Georges-Louis Bouchez ne soit pas reconduit à la présidence, et que le MR ne perde pas trop, pour qu’ils restent indispensables à la constitution de majorités.

Avant ça, ils avaient fait le pari que leur président les écouterait, après plusieurs nominations foireuses dont celle, illégale, de Denis Ducarme au lieu de Valérie De Bue, et ce pari ils l’ont perdu.

Et ils avaient fait le pari que leur président les laisserait tranquilles dans leur travail, avant plusieurs interventions foireuses, dont certaines, au fédéral, en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, manquèrent de faire tomber leurs gouvernements, et ce pari ils l’ont perdu.

Et ils avaient fait le pari que leur président leur laisserait de la place dans les médias quand il en avait la possibilité, et ce pari ils l’ont perdu.

Ils avaient fait le pari qu’il y aurait une élection interne en 2023, et ce pari ils l’ont perdu.

Ils pensaient, et ils avaient raison, n’avoir qu’une seule cartouche pour en finir avec Georges-Louis Bouchez. Alors ils ont reporté le coup de feu, de pari perdu en pari perdu, et ils avaient tort, parce qu’aujourd’hui, celui des grands bleus qui a le plus de munitions tant que Sophie Wilmès ne se mêle pas à la bagarre, c’est Georges-Louis Bouchez.

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