«Pour le MR, c'est clair», dit le slogan de campagne des réformateurs. Mais sur la norme de croissance du budget des soins de santé, c'est plus flou. © Twitter__Jean-Louis_Hanff

50 nuances de blouses blanches, et nous: comment le MR veut faire des «économies dans les soins de santé»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En voulant limiter la norme de croissance du budget des soins de santé au PIB, le programme du MR dégage des économies dépassant les cinq milliards par an en 2029.

Ce fut un lourd moment du court séjour de Sophie Wilmès au 16 rue de la Loi, de fin octobre 2019 à fin septembre 2020. C’était l’époque des travailleurs essentiels au front et des applaudissements aux balcons. En visite à l’hôpital Saint-Pierre au plus fort de la crise du Covid, devant les caméras de tout le pays invitées pour l’occasion, la Première ministre fut accueillie par une «haie de déshonneur», formée par quelques blouses blanches lui tournant le dos. Ils se sentaient, comme beaucoup de travailleurs du secteur des soins de santé, abandonnés, et beaucoup de leurs patients, électeurs eux aussi, ne sont sans doute pas loin de partager leur froide colère.

Ce qu’ils reprochaient à la Première libérale, c’était notamment d’avoir été ministre du Budget d’un gouvernement fédéral qui avait, ont-ils infatigablement répété, surtout en campagne, avec plus ou moins d’emphase mais toujours avec un petit bout de mauvaise foi, «fait des économies dans le budget des soins de santé».

Avant même l’apparition de ce virus qui allait changer le monde, ces économies avaient déjà fait basculer Maggie De Block dans la vie d’après. Elle était passée, en 2014, du souvent profitable département des migrations au toujours périlleux portefeuille des soins de santé, dont elle avait limité la croissance, ce qui provoqua un effondrement complet de sa popularité. Le Covid allait exposer sa collègue Sophie Wilmès à de tenaces critiques.

En effet, le gouvernement de Charles Michel était revenu, après les attentats, sur les économies sèches imposées à la police et à la justice. Il ne revint pas sur la diète appliquée aux hôpitaux. Les soins de santé avaient, eux, été soumis à un régime d’économies humides, régime à effet dual, puisqu’il permettait aux opposants de considérer que les blouses blanches avaient été définancées tout en autorisant les gouvernants à affirmer qu’elles avaient été refinancées. En effet, de 2013 à 2019, le budget des soins de santé était passé de 23,8 milliards d’euros à 26,5 milliards, ce qui fit dire à Sophie Wilmès, ministre du Budget en affaires courantes et en campagne électorale, en avril 2019, à L’Echo, que «cela fait quatre ans que l’opposition fait mine de ne rien comprendre au budget». Mais l’opposition avait bien compris comment la suédoise avait limité la croissance du budget des soins de santé plutôt que le budget lui-même.

En effet, en Belgique, c’est le gouvernement fédéral, via le Parlement, qui fixe le budget annuel des soins de santé (en réalité celui de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité, l’Inami). C’est le ministre de la Santé qui détermine la trajectoire des montants affectés. Il le fait en négociant avec les acteurs du secteur (les prestataires de soins, les organismes assureurs, etc.), comme pour tout ce qui a trait à la sécurité sociale. Mais il le fait en imposant une limite à ne pas dépasser. La norme de croissance du budget des soins de santé est généralement ambitieuse lorsqu’elle est inscrite dans les programmes électoraux, plus modeste lorsqu’elle est gravée dans les accords de gouvernement fédéraux, et toujours pondérée quand elle est conseillée par les grosses têtes qui calculent les besoins programmés du secteur. Notamment celles du bureau du Plan.

Il y a bien un chiffre, dans le programme du MR, mais il est caché sous des lettres.

La différence entre ces besoins programmés et la norme de croissance exigée fut le lieu des «économies» imposées par le gouvernement Michel au secteur des soins de santé. Avant 2014, le bureau du Plan avait estimé la norme de croissance annuelle nécessaire pour le budget des soins de santé à 2,5% à 3% par an, hors inflation. Dans son accord de gouvernement, la suédoise l’avait fixée à 1,5% par an. Au total, de 2014 à 2019, entre ce qui était recommandé et ce qui fut inscrit dans les lois budgétaires, les soins de santé avaient reçu, sous la suédoise, trois milliards de moins que si les conseils du Bureau du Plan avaient été mis en œuvre.

Ces trois milliards jamais attribués à un budget en croissance permanente, tout ce tas d’argent fantôme, c’est ce que l’opposition appela ravageusement des «économies dans les soins de santé», et elle n’avait pas vraiment tort tout en n’ayant pas complètement raison non plus.

Quoi qu’il en soit, après le gouvernement Michel, il y eut le gouvernement Wilmès, et pendant le gouvernement Wilmès, il y eut la pandémie de coronavirus, et pendant la pandémie de coronavirus après le gouvernement Wilmès, il y eut le gouvernement De Croo. Celui-ci, installé pour prendre en charge la crise sanitaire, introduisit une norme de croissance annuelle de 2,5%, qui correspondait aux préconisations du bureau du Plan. Parce qu’il y avait eu le Covid et le dos tourné des blouses blanches, les travailleurs essentiels au front et les applaudissements aux balcons.

La chose sacrée

La norme de croissance des soins de santé était devenue une chose sacrée. Même si le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, la ramena, pour l’exercice 2023, à 2%, cette norme de croissance, gonflée par une inflation inédite, a porté le budget annuel des soins de santé de 29,8 milliards d’euros en 2019 à 37,3 milliards en 2024. C’est le premier poste de dépenses de la sécurité sociale, donc de l’Etat belge.

Ces 37,3 milliards creusent un déficit public déjà gigantesque. Mais la norme de croissance des soins de santé est toujours une chose sacrée. Le bureau du Plan estime que «les déterminants des prestations de soins de santé conduisent» cette chose sacrée, entre 2024 à 2028, à 3,5% par an, inflation non comprise. Le poste qui augmente le plus est celui du prix des médicaments. C’est énorme, mais les partis ont compris qu’il ne faut pas trop toucher au sacré, et surtout pas en campagne.


C’est pourquoi dans leur programme 2024, Les Engagés promettent une norme de croissance de 3,5%, inflation non comprise.

Et le PTB promet une norme de croissance de 3,5%, mais il n’évoque pas l’inflation.

Et le PS promet une norme de croissance de 3%, inflation non comprise.

Et Ecolo promet une norme de croissance de 2,5%, inflation non comprise, mais les écologistes disent que c’est un minimum.

Tous les partis, donc, s’inscrivent autant que possible dans les évaluations du bureau du Plan, la plupart s’en revendiquent, et tous estiment que si des gains d’efficacité dégagent des moyens, ils ne devront en aucun cas sortir du périmètre des soins de santé.

Tous sauf un. En Belgique francophone, un parti résiste encore et toujours à l’envahissante contrainte de refinancer les soins de santé: le MR.

Le Mouvement réformateur est en effet le seul parti à ne pas avoir présenté à l’électeur d’engagement chiffré sur cette chose sacrée qu’est la norme de croissance. Il ne veut pas, comme tout le monde, qu’on dise qu’il veut faire des économies dans les soins de santé. Mais il veut, contrairement à tout le monde, faire des économies dans les soins de santé.

Indexer la croissance des soins de santé sur la croissance du PIB, c’est ne pas faire des économies en faisant des économies.

C’est pour cela qu’il y a bien un chiffre, dans le programme du MR, mais il est caché sous des lettres, qui disent que la norme de croissance «doit assurer la couverture des besoins réels mais ne peut engendrer une augmentation exponentielle non maîtrisée».

Pour maîtriser cette augmentation, le MR propose de limiter la chose sacrée au taux de croissance du produit intérieur brut (PIB). «Le MR préconise également de se doter de balises financières permettant d’assurer la soutenabilité financière de notre système de santé, par exemple en liant l’évolution des budgets de santé à l’évolution des besoins réels de santé de la population, sans que l’augmentation des budgets puisse être supérieure à la croissance du PIB», lit-on à la page 173 de son programme électoral.

«Pour le MR, c’est clair», dit le slogan de campagne des réformateurs. Mais sur la norme de croissance du budget des soins de santé, c’est plus flou.
© BELGA IMAGE

Une économie annuelle de 5,3 milliards

Or, pour le bureau du Plan toujours, entre 2025 et 2029, la croissance annuelle du PIB sera, à politique inchangée, toujours comprise entre 1,3% et 1,4%. C’est moins que la norme, fort contestée, fixée par la suédoise, qui était de 1,5%, et qui est celle que l’Open VLD a mise à son programme.

Indexer la croissance des soins de santé sur la croissance du PIB, c’est donc limiter la première au nom de la seconde. Et, selon la jurisprudence Michel-De Block-Wilmès, c’est laisser augmenter les budgets tout en limitant l’augmentation, et donc ne pas faire des économies en faisant des économies.

Le programme du MR foisonne d’idées pour mieux utiliser le budget des soins de santé, comme miser sur l’intelligence artificielle.

En appliquant au budget actuel de l’Inami les taux de croissance du PIB projetés par le bureau du Plan, on mesure le vacarme politique et les sacrifices économiques qu’une telle mesure provoquerait. Le budget de l’Inami, alors, s’élèverait à quelque 40,9 milliards d’euros en 2029. Avec une norme de croissance fixée comme actuellement à 2,5%, ce même budget monterait, en 2029, à 46,3 milliards d’euros.

La différence entre les deux, plus de cinq milliards d’euros, c’est, sur une année, près du double de ce qui fut reproché aux quatre années d’exercice du gouvernement Michel-De Block-Wilmès. Sur toute la législature, on atteindrait une différence cumulée de 16,2 milliards d’euros.

Bien sûr, le programme du MR fourmille d’idées pour augmenter le taux de croissance du PIB, ce qui autorisera à dépenser davantage pour les généralistes, les spécialistes, les hôpitaux, leur personnel et leurs patients.

Et puis, surtout, le programme du MR foisonne d’idées pour mieux utiliser le budget des soins de santé, en donnant moins d’argent aux mutuelles ou en misant bien plus sur l’intelligence artificielle – Mathieu Michel y voyait un potentiel pour économiser douze milliards d’euros dans le secteur, par exemple.

Mais comme on ne gagne pas une élection en promettant seize milliards d’économies dans les soins de santé, on comprend que le MR ne fasse pas de cette indexation du budget de l’Inami sur le PIB un trop grand thème de campagne. Et on ne comprend même pas pourquoi il l’a mise au coin d’une page de son programme.

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