Comment Bouchez, De Wever et Prévot tirent profit de la crise de l’Arizona
Pour Maxime Prévot, la crise (momentanée) de l’Arizona est une belle publicité. Pour Georges-Louis Bouchez, elle est une occasion. Et pour les autres aussi. Voici pourquoi l’Arizona en est là.
C’est à n’y rien comprendre. Ils étaient tous d’accord pour faire un gouvernement ensemble, ils le sont toujours et ils le disent plus fort que jamais, mais il n’y a toujours pas d’accord pour faire un gouvernement ensemble. Bart De Wever (N-VA), encore formateur, Maxime Prévot (Les Engagés), pas encore médiateur, Georges-Louis Bouchez (MR) et Conner Rousseau (Vooruit), dynamiteurs, et Sammy Mahdi (CD&V), spectateur, ont buté, la nuit du 18 août, sur l’introduction d’une taxe sur les plus-values boursières à la quatrième version de la «supernote» socioéconomique rédigée par le président de la N-VA. Depuis le 9 juin, pourtant, c’était très clair, et le pire c’est que ça l’est encore aujourd’hui et que ça devrait toujours l’être demain. Ils avaient, avant le soir du 18 août, été très coopérants. Ils s’étaient mis d’accord sur des dispositions dont les plus fervents apôtres de la suédoise n’auraient pas osé rêver, même la presse flamande le dit et elle a raison, avec des inflexions à droite sur la fiscalité, allégée de plus de trois milliards d’euros, sur le statut des fonctionnaires, moins bien indexés et moins bien pensionnés, sur le budget de l’Etat, qui devrait encaisser des économies pour treize milliards d’euros. Et avec des inclinations régionalistes en certains domaines, notamment une responsabilisation accrue des Régions sur le chômage, qui serait limité à deux ans comme plusieurs partis le réclamaient depuis des années.
Ils étaient d’accord de gouverner ensemble et avaient accepté plein de mesures à mettre en œuvre tous les cinq, et ils le sont toujours, mais ils se sont bagarrés à trois autour de la taxation des plus-values –Georges-Louis Bouchez, Conner Rousseau et Bart De Wever– parce que leur duel à trois est appelé à animer les cinq prochaines années de l’Arizona, et c’est ce qui a fait dire à Maxime Prévot, dans un communiqué de presse d’une dureté rare, que «chuter sur une querelle autour d’une seule mesure est dramatique pour la crédibilité des démocrates».
D’accord sur rien et sur tout à la fois
La mission de formateur de Bart De Wever s’est donc arrêtée le 22 août parce que tous ces gens qui sont tout à fait d’accord sur tout sauf une mesure ne l’étaient plus sur rien tout en continuant à dire qu’ils l’étaient toujours. Et c’est ce qui donne tout son sens à la mission de médiation entamée le lendemain par le président des Engagés: elle doit aider, avec le temps qui passe, à en retrouver, du sens.
Le temps qu’il faudra s’évalue à la perspective, cruciale, des élections communales, et sans doute encore plus de l’après-13 octobre, puisqu’il n’y aura à partir de là plus d’élections d’aucun ordre avant cinq ans, et que chacun, alors, pourra se dire qu’il peut se mettre à l’aise pour tout accepter, y compris les plus coûteux renoncements.
Elles sont cruciales pour tous les partis, ces communales, parce qu’elles sont un grand moment de répartition des ressources humaines, distributions dont les présidents sont les plus méticuleux ordonnateurs. De plus, les cinq négociateurs en chef de l’Arizona y mettent tous beaucoup de leur destin personnel, puisque Maxime Prévot et Bart De Wever sont bourgmestres de grandes villes et disent vouloir le rester, que Conner Rousseau ne l’est pas mais veut l’être à Saint-Nicolas, et que Georges-Louis Bouchez a annoncé vouloir l’être à Mons, et renoncer à tous ses autres mandats s’il l’était. Seul Sammy Mahdi, qui poussera une liste de cartel Open VLD-CD&V à Vilvorde, n’affiche aucune ambition personnelle dans le scrutin à venir. Mais le CD&V est le parti flamand qui compte le plus de mayorats, et est donc la formation flamande pour laquelle les communales sont les plus cruciales. Parce que ces élections sont cruciales pour tous, l’après-communales est rempli, déjà, de tous les possibles. Et c’est dans tous ces possibles, sans doute, qu’on peut trouver de quoi comprendre le non-sens qui a frappé, cette semaine, la rue de la Loi, entre cinq partis qui savent qu’ils doivent le faire mais qui ne savent pas encore tout à fait comment.
Le temps qu’il faudra s’évalue à la perspective, cruciale, des élections communales.
Pour Vooruit, cette crise temporaire couronne une curiosité: le fait que Conner Rousseau, confortablement réélu à la tête du parti après le scandale de ses propos racistes, a pu laisser passer, au fil des quatre supernotes, des économies si lourdes dans des secteurs où les socialistes flamands sont encore aimés, et des cadeaux si intéressés dans des milieux où ils ne sont que peu appréciés. L’introduction d’une taxe, très limitée, sur les plus-values, n’aurait guère gauchi le bilan du candidat bourgmestre de Saint-Nicolas, et c’est, dit-on, directement lié aux négociations régionales en Flandre menées avec les mêmes partis, le CD&V et la N-VA. Elles sont presque, pour Rousseau, un enjeu plus important. Dans l’enseignement et dans la santé notamment, les socialistes veulent montrer une espèce de retour du cœur plus accessible aux classes populaires flamandes qu’à travers, disons, une taxe sur les plus-values boursières dont elles ne ressentiront jamais les éventuels effets. Et puis, le socialiste qui se sacrifie pour son pays, parfois, il ne finit pas mal. En tout cas pas tout de suite, surtout pas quand, avant cette fin, il a pu le diriger, ce pays: Conner Rousseau, mine de rien, est premier ministrable si tout empire dans l’Arizona.
Pour la N-VA, cet accroc intérimaire valide deux ambitions: d’abord, il faut sauver Anvers et gouverner la Flandre, et pour cela Bart De Wever a besoin de Vooruit. Or, à Anvers, la N-VA a obtenu moins de 28%, le PTB-PVDA a réalisé plus de 22%, et Vooruit à peine 10%, le 9 juin dernier. Ce qui justifie l’introduction, peu aimée des patrons flamands, de cette taxe sur les plus-values, et les précautions mises pour négocier un accord flamand un peu plus social que d’habitude. Bart De Wever doit maintenir coûte que coûte un axe avec Conner Rousseau, pour le reste on verra, et c’est pour ça qu’il a mis une énorme pression sur Georges-Louis Bouchez, qui a réagi comme on le sait, mais comme on ne s’y attendait pas, et c’est ainsi que se valide une deuxième ambition de Bart De Wever, celle de démontrer que la Belgique est ingérable, même quand c’est lui qui la gère. Et que même quand ils sont de droite, les francophones ne sont pas commodes. Il pourra en reparler pendant cinq ans.
Maxime Prévot est le faiseur d’accords, le sheriff des solutions contre les cow-boys qui causent des problèmes.
Pour le MR, cette crispation momentanée entérine une stratégie: Georges-Louis Bouchez est le meilleur quand il s’agit de réagir aux attaques qu’on lui soumet. On croit le coincer en le forçant à s’opposer à une taxe qui n’affligera que les plus riches? On veut le faire céder en le faisant passer pour la canaille qui bloque tout avant les communales? Il remet sa cape de victime de la gauche, fait croire qu’il a refusé une augmentation de la TVA sur des produits de première nécessité qu’il a acceptée quatre fois, et rappelle à sa fanbase qu’il faut voter pour lui sinon on ne se débarrassera jamais de la gauche, ni à Mons, où elle est majoritaire, ni au fédéral où il semble, à écouter le président réformateur, qu’elle soit presque hégémonique. Et puis, si tout se dégrade longtemps, après les communales, dans longtemps, et que Bart De Wever renonce, mais qu’il veut tout de même que la Belgique soit gouvernée par la droite, Georges-Louis Bouchez, sait-on jamais, sera toujours premier ministrable si tout foire dans cet Arizona.
Pour Les Engagés, cette pause médiatrice consacre une ligne: Maxime Prévot est le faiseur d’accords, l’arbitre du duel à trois, le sheriff des solutions contre les cow-boys qui causent des problèmes, et Les Engagés sont ceux qui «prennent leurs responsabilités». Que le roi et Bart De Wever aient poussé pour que le bourgmestre de Namur intercède est la meilleure publicité qui soit pour un parti et son président qui, de version en version des supernotes, avaient tout de même dû ravaler quelques espoirs programmatiques. Il vaut à cet égard mieux pour les deux, le parti comme son président, qu’ils aillent aux communales auréolés de cette consécration de forme, celle du facilitateur de solutions, plutôt que lestés de déceptions de fond sur, disons, le statut des enseignants, les économies dans les pensions ou les soins de santé, ou la hausse de la TVA sur certains biens. Et puis qui sait, plus tard, si sa médiation est un succès mais pas trop, qu’elle ne remédie pas à toutes les intoxications de l’Arizona, que Bart De Wever renonce mais qu’il souhaite que la Belgique soit gouvernée par le centre, Maxime Prévot, pourquoi pas, sera alors premier ministrable si tout coince encore dans l’Arizona.
Pour le CD&V, ces tensions d’un moment rappellent deux échecs: partenaire du centre, concentré sur les thématiques socioéconomiques, dans une coalition de droite, le CD&V avait foiré aux élections après la suédoise. Partenaire de droite, concentré sur les questions régaliennes et migratoires, dans une coalition de droite, le CD&V avait foiré aux élections après la Vivaldi. Bien informé de ces deux échecs, fort concerné par ces deux défaites, Sammy Mahdi reste discret et s’abrite, dans l’ombre des trois cow-boys et de son allié médiateur. Et puis après tout pourquoi pas?, si sa discrétion du moment est un succès, que Bart De Wever renonce mais qu’il souhaite que la Belgique soit gouvernée par un Flamand, Sammy Mahdi sera à la fin des fins premier ministrable si rien n’avance dans l’Arizona.
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