Charles Michel vs Elio Di Rupo, le match dans le match des deux poids lourds belges à l’Europe
Elio Di Rupo et désormais Charles Michel se lancent dans la campagne européenne. Deux ex-Premiers ministres, certes expérimentés, mais n’incarnant guère le renouveau.
Charles Michel et Elio Di Rupo seront tous deux têtes de liste lors des élections européennes du 9 juin, dans la circonscription francophone. Deux anciens Premiers ministres, de générations différentes, mais qui font partie du personnel politique bien installé.
Du côté du MR, c’était pour l’un ou pour l’autre: Charles Michel ou Didier Reynders. Et c’est finalement le premier, président du Conseil européen, qui occupera la tête de liste du MR aux élections européennes, au détriment du commissaire européen, qui convoitait également ce leadership. L’annonce a été faite, mettant fin à tout suspense, par le principal intéressé le 6 janvier, avant d’être confirmée le lendemain par Georges-Louis Bouchez, son président de parti, lors du lancement d’une tournée d’une semaine de vœux à travers les circonscriptions.
Ce choix est animé, explique Charles Michel, par la volonté de se soumettre à l’exercice démocratique des élections. Par ailleurs, argumentait de son côté Georges-Louis Bouchez le lundi 8, il est parfaitement logique qu’en comptant dans ses rangs le président du Conseil européen, celui-ci conduise la liste au moment des élections. Le MR, de ce point de vue, serait sot de ne pas s’appuyer sur un candidat d’un tel rang.
Conséquences en cascade
Mais cette tête de liste attribuée à Charles Michel n’est pas sans provoquer quelques conséquences, dont la plus notable est son inévitable démission du poste de président du Conseil européen, en juillet, à quelques mois de la fin du mandat. L’annonce en ce mois de janvier laisse six mois aux Etats membres pour anticiper et se retourner. Mais il n’est pas impossible que le poste revienne temporairement au Hongrois Viktor Orbán, eurosceptique s’il en est.
C’est notamment pour cela que cette démission à venir de Charles Michel – parce qu’il ne fait guère de doute qu’il sera bien élu au soir du 9 juin prochain – a été qualifiée de «désertion» par une partie de la presse belge et internationale, mais aussi dans les travées européennes, à Bruxelles. Le candidat Charles Michel, opportuniste, privilégierait donc son parcours personnel, par rapport aux responsabilités qui lui incombent dans son mandat européen, à l’heure où l’UE a plus que jamais besoin de sérénité et de stabilité.
Une autre conséquence concerne son rival libéral de longue date, Didier Reynders, coiffé au poteau alors qu’il ne faisait lui-même pas grand secret de sa volonté d’occuper la tête de liste. Ses ambitions se sont entre-temps redirigées vers le secrétariat général du Conseil de l’Europe, qui lui avait échappé en 2019. L’Ucclois était dans l’intervalle devenu commissaire européen à la Justice, poste qu’il occupe encore à ce jour.
Mais dans la course aux «top jobs» internationaux qui devrait survenir, le sort de Didier Reynders demeure relativement incertain, d’autant plus que dans le subtil équilibre international à dégager, il ne sera sans doute pas le seul libéral belge à briguer un mandat de prestige. Charles Michel sera de la partie. Alexander De Croo aussi, éventuellement.
Un Michel, mais pas deux
A un échelon plus local, le lancement des vœux du MR, le 7 janvier à Louvain-la-Neuve, fut aussi pour le président du parti l’occasion de dévoiler les têtes de listes aux autres niveaux de pouvoir. Valérie De Bue endossera la tête de liste à la Région wallonne. Et c’est la députée fédérale et bourgmestre de Waterloo Florence Reuter qui l’occupera au fédéral. La conséquence directe est que Mathieu Michel, secrétaire d’Etat et accessoirement frère de Charles et fils de Louis, se trouvera en deuxième place. Il était pressenti pour mener les troupes libérales au fédéral. Ce ne sera finalement pas le cas, même s’il est plus que probable que lui aussi sera élu dans cette circonscription où le MR envoyait trois députés à la Chambre il y a cinq ans.
L’échelon européen jouit d’un certain prestige, c’est une façon de conclure sa carrière politique.
Cet ordre de préséance est favorable à Florence Reuter, elle qui, au passage, en a été avertie en tout premier lieu non pas par Georges-Louis Bouchez mais par Charles Michel, avec lequel elle avait mené la campagne en 2019. Ce choix peut être perçu comme une volonté de ne pas placer un Michel «de plus» à une place de choix, au détriment du puîné de la famille. Mais la réalité est un peu plus nuancée, avance-t-on dans les rangs libéraux. Que Florence Reuter ait enregistré des scores très honorables lors des précédents scrutins, qu’elle soit à la tête d’un gros fief électoral (Waterloo, trente mille habitants) et qu’elle ait patiemment attendu son tour constituent une série d’arguments qui ont également pesé dans la balance au moment d’établir des choix.
Au PS, un autre poids lourd
Du côté du PS, le choix de la tête de la liste européenne a été confirmé en décembre dernier. Il s’agira d’un autre poids lourd, en la personne d’Elio Di Rupo, actuellement ministre-président wallon, qui sera secondé par la secrétaire générale de la FGTB Bruxelles, Estelle Ceulemans.
Chez les socialistes, la décision de confier ce rôle au Montois s’est opérée dans un tout autre contexte. Lui-même a fait connaître sa volonté de poursuivre ses ambitions politiques à l’échelon européen. Elio Di Rupo avait déjà été élu au Parlement européen en 1989. En 2004, il se frottait encore au scrutin européen, en tant que tête de liste déjà, en décrochant presque 484 000 voix de préférence, ce qui était sensiblement plus que Louis Michel, à l’époque, qui en récoltait un peu plus de 327 000 dans l’ensemble de l’espace électoral francophone.
Pour le PS, confier la tête de liste à Elio Di Rupo doit aussi représenter une façon de tourner la page après l’affaire du Qatargate, dans laquelle ont peu ou prou été impliqués les deux députés européens Marie Arena, qui figurait en deuxième position derrière Paul Magnette aux élections de 2019, et Marc Tarabella, entre-temps exclu du parti. Il ne faut en outre pas exclure que le scandale connaisse de nouveaux épisodes et de nouvelles révélations d’ici au 9 juin, auxquelles Elio Di Rupo ne serait pas directement associé, le cas échéant.
L’Europe pour finir en beauté
Il n’est par ailleurs pas totalement incongru qu’une personnalité politique en fin de carrière se dirige vers les institutions européennes. «Cela se voit assez couramment dans d’autres pays, confirme Nathalie Brack, professeure au Centre d’études de la vie politique (Cevipol) de l’ULB. Certaines personnalités ont acquis de l’expérience, cela peut être une qualité, notamment lorsqu’elles sont assez généralistes. Et l’échelon européen jouit d’un certain prestige, c’est une façon de conclure sa carrière politique.»
La candidature de Charles Michel s’avère un peu plus surprenante, selon la professeure. Entre autres parce qu’il s’en remet au jugement de l’électeur pour un mandat pour lequel il n’a pas été élu. Et qu’il ne poursuit pas jusqu’à son terme, ce qui constitue une première.
Voilà donc que deux anciens Premiers ministres participent au scrutin européen. On peut y voir une sorte de match dans le match, entre deux poids lourds de la politique belge, qui figureront sur les listes dans les bureaux de vote de l’ensemble de la Belgique francophone. Ce n’est pas que la tête de liste aux élections européennes soit de coutume attribuée à des seconds couteaux, mais l’exercice de popularité sera éventuellement riche en enseignements.
Les autres principales têtes de liste francophones connues à ce jour sont le député européen Marc Botenga (PTB), la députée européenne Saskia Bricmont (Ecolo), qui figurait en deuxième place derrière Philippe Lamberts en 2019, et un nouveau venu, Yvan Verougstraete (Les Engagés). Lors des précédentes élections, le PS, Ecolo et le MR avaient décroché deux sièges européens, le CDH (devenu Les Engagés) et le PTB en avaient obtenu un chacun.
Juin est encore loin, y compris pour Charles Michel et Elio Di Rupo
«A vrai dire, il est probable que les électeurs ne se souviennent plus vraiment des conditions dans lesquelles Charles Michel ou Elio Di Rupo ont été désignés en tête de liste au moment de voter, dans six mois. De l’eau coulera encore sous les ponts, poursuit Nathalie Brack. Il sera par contre intéressant d’observer si le contenu de leur campagne portera réellement sur des enjeux et des propositions européennes.»
C’est un truisme: les élections européennes ne passionnent guère les foules. Le fait que deux anciens Premiers ministres, de générations différentes, partent au combat pourra-t-il renforcer cet intérêt? «La séquence actuelle, avec la candidature de Charles Michel et les réactions qu’elle suscite dans la bulle européenne, fait qu’un focus est placé sur le scrutin européen. Mais c’est temporaire. Il est difficile de prévoir quel sera l’intérêt pour le sujet dans six mois, d’autant plus que d’autres élections ont lieu à la même date et d’autres encore en octobre», observe Sandrine Roginsky, professeure en communication politique à l’UCLouvain, spécialiste du niveau de pouvoir européen.
A vrai dire, la situation est probablement ambivalente. Deux poids lourds qui se concurrencent de la sorte peuvent rendent l’issue du scrutin intéressante, mais leur présence renforce probablement cette impression selon laquelle le personnel politique se renouvelle très peu. «Attention, la crise de la démocratie représentative est une tendance bien plus large. Mais même s’il est jeune, Charles Michel a déjà une longue carrière derrière lui, y compris à l’Europe .» Et Elio Di Rupo n’incarne pas particulièrement le renouveau.
«C’est un phénomène assez intéressant à observer: ces choix des partis, qui optent volontiers pour l’un et l’autre extrême. D’un côté, des personnalités très bien installées, et de l’autre, une volonté de faire appel à des candidats de la société civile, qui n’ont parfois aucune expérience de la gestion publique», note Sandrine Roginsky. Assurément, Charles Michel et Elio Di Rupo savent dans laquelle des deux catégories ils boxent.
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