Charles Michel tête de liste à l’Europe: pourquoi la polémique enfle (analyse)
La tête de liste européenne de Charles Michel fait jaser par-delà les frontières belges. Certains y décèlent un nouvel indice de l’opportunisme arrogant de l’ex-Premier ministre. D’autres, comme Didier Reynders, voient leurs ambitions réduites à peau de chagrin. Tous craignent que le siège bientôt vide de l’actuel président du Conseil européen ne soit occupé par le leader hongrois Viktor Orban. Analyse.
Cette tête de liste restera probablement l’une des plus commentées de la campagne électorale pour les élections de 2024. Charles Michel emmènera bien la liste européenne du MR : le choix du président Georges-Louis Bouchez n’agite pas uniquement le milieu belgo-belge, mais fait également des vagues dans le grand bain européen. Car pour tirer la liste, celui qui fut Premier ministre de la Suédoise entre 2014 et 2019 devra écourter son mandat de président du Conseil européen. Entre la mi-juillet – date de la prestation de serment des députés européens – et le 30 novembre, quelqu’un devra se charger de l’intérim.
Un choix immédiatement critiqué – parfois avec des mots durs –, certains décelant là l’égoïsme et l’opportunisme qui caractériseraient Charles Michel. Sur X, ses opposants politiques au niveau belge n’ont pas manqué l’occasion de s’exprimer. « Charles Michel ou l’art de penser à soi avant les autres. Pauvre Europe. #EgoGate », tweete la députée fédérale Sophie Rohonyi (DéFi).
« On se doit de reconnaître cette constance magistrale de Charles Michel à privilégier son intérêt personnel sur l’intérêt collectif« , fulmine de son côté le Secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS).
Par sa décision, l’actuel président du Conseil européen met en danger les institutions. En effet, les dirigeants devront rapidement s’accorder sur son successeur, sous peine de laisser le siège à Viktor Orban, au moment où la Hongrie reprendra la présidence tournante de la Belgique.
Charles Michel tête de liste à l’Europe, Didier Reynders ne peut que ronger son frein dans son coin
Le virage à 180 degrés de Charles Michel scelle quasiment le sort du toujours ambitieux Didier Reynders. Le Commissaire européen de la Justice avait annoncé de longue date sa disponibilité pour le parti à son ex-cabinettard, aujourd’hui leader de sa formation politique, Georges-Louis Bouchez. Qui, tout en assurant que Didier Reynders garderait une place au sein du MR, n’a pas dû réfléchir longtemps une fois les souhaits de Charles Michel prononcés. « Ce dernier reste capitaine du navire, analyse la politologue Emilie Vanhaute (ULB). Georges-Louis Bouchez, même s’il s’en défend, a émergé grâce au soutien de Charles Michel ». Le jeune président du MR a justifié son choix : quand on a dans ses rangs le président du Conseil européen, il est logique qu’il emmène la liste continentale.
« Sachant que Charles Michel a été prolongé comme président du Conseil européen, je ne parlerais pas d’échec »
Un poids lourd du MR
Sur les ondes matinales de la RTBF, Didier Reynders a tenté de garder la face, réaffirmant son amour de l’Europe, et sa volonté de continuer à travailler sur les dossiers qu’il a eus à traiter. Ce weekend, le Liégeois a bien été forcé de passer au plan B pour la suite de sa carrière. À 65 ans, il brigue, comme en 2019, un poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe. Rester Commissaire européen, son ambition initiale, semble s’envoler puisque suspendue à un hypothétique 3e siège européen pour les libéraux.
Reynders-Michel, la guerre des clans toujours d’actualité ?
En arrière-fond de cette course pour la tête de liste européenne, il y a la rivalité historique entre les clans Reynders et Michel. Qui n’en est plus une, assurent des sources libérales internes. « Je pense que Didier a senti le coup venir, et a enclenché la mécanique en premier (en annonçant le premier ses ambitions européennes, NDLR) », pense une Bleue d’expérience.
Sauf que. Le vent aurait pu tourner dans la bonne direction pour le Commissaire européen. Si la tête de liste européenne du MR a mis autant de temps à émerger, c’est parce que Charles Michel espérait pouvoir briguer un haut poste européen ou international à l’issue de son mandat. Sa relation conflictuelle avec la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen et sa volonté de toujours figurer au premier plan l’en ont peut-être empêché.
« Il sera difficile pour Charles Michel de revenir à un poste de second plan, lui qui a cherché coûte que coûte la lumière des projecteurs »
Jérémy Dodeigne, politologue à l’UNamur
Le choix de « la marionnette de la N-VA » serait-il un constat d’échec ? « Sachant qu’il a été prolongé comme président du Conseil européen, je ne parlerais pas d’échec », objecte un poids lourd du MR. Qui refuse le prisme de la guerre des clans. « Cette question ne pose pas problème au sein du parti, on devrait plutôt se satisfaire d’avoir deux hommes d’Etat de leur talent dans nos rangs ».
Quelle ambition réelle pour Charles Michel ?
En tirant la liste, Charles Michel est (sauf énorme dégringolade du MR aux prochaines élections) assuré d’obtenir un siège de député au Parlement européen. Pour l’instant, le principal intéressé reste discret sur ses ambitions. « C’est un joker, il veut assurer ses arrières pour ne pas se retrouver sans rien », estime Emilie Vanhaute. Pour la politologue, le libéral pourrait faire valoir son expérience pour occuper des postes ministériels traditionnellement convoités par le MR, comme celui des Affaires étrangères et européennes.
« Une chose est sûre : il sera difficile pour Charles Michel de revenir à un poste de second plan, lui qui a cherché coûte que coûte la lumière des projecteurs », indique Jérémy Dodeigne, politologue à l’UNamur. Le professeur fait référence au Sofagate, et à ses multiples rencontres à l’étranger, notamment avec Volodymyr Zelenski, pour un poste traditionnellement de l’ombre. « Peut-être Charles Michel envisage-t-il de présider le groupe Renew (famille libérale, NDLR) au Parlement européen, voire carrément l’hémicycle », continue le chercheur. Le fait que la Belgique ait déjà obtenu un nombre important de postes européens (Herman Van Rompuy a été avant lui président du Conseil européen) ne joue pas en sa faveur.
Pire : si les Vingt-Sept n’arrivent pas à s’entendre sur son successeur, et que Viktor Orban lui succède cet été, sa réputation sera définitivement entachée. « L’Histoire retiendrait alors de lui un bilan à la tête du Conseil européen qui n’est pas honorable, prévient Jérémy Dodeigne. Il ne faut pas oublier que Charles Michel, à 48 ans, est encore jeune ».
- Charles Michel
- MR
- Georges-Louis Bouchez
- Conseil européen
- Sophie Rohonyi
- DéFi
- Relance
- Thomas Dermine
- PS
- Viktor Orban
- Didier Reynders
- Emilie Vanhaute
- ULB
- RTBF
- Conseil de l’Europe
- Commissaire européen
- Commission Ursula Von der Leyen
- N-VA
- Etat
- Parlement européen
- Jérémy Dodeigne
- UNamur
- Sofagate
- Volodymyr Zelenski
- Herman Van Rompuy
- Vingt-Sept
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici